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Chapitre 5 La théorie de l’autopoièse

A. Le jeu incessant entre l’autonomie, l’autopoièse et la commande

A l’intérieur de l’organisation, comment établir la coordination entre acteurs? Qui établit la coordination entre niveaux de l’organisation? Qui fixe les buts à atteindre? Qui pilote? Comment? Qu’est ce qui maintient l’organisation en dépit des tendances à la désintégration? Quels sont les mécanismes qui évitent que les jeux de pouvoir ne mettent perpétuellement en cause l’existence de l’organisation? Pourquoi et à quelles conditions les acteurs préfèrent-ils l’ordre des organisations plutôt que “l’ordre spontané”286?

“Paradoxalement, la question du contrôle, et donc de la maîtrise intra-organisationnelle, a jusqu’à maintenant été abordée, au plan théorique, essentiellement par son envers, la perte de contrôle, qu’on peut interpréter comme la limite de la dispersion des décisions. (...) Il s’agit pourtant d’un problème essentiel, pour comprendre les caractéristiques des formes organisationnelles, pour pouvoir comparer leurs performances respectives, et pour saisir un des facteurs clés expliquant pourquoi il y a une limite à la taille des organisations.” (Claude Ménard, 1990, p. 36).

286 Michael Polanyi a amplement développé les avantages et désavantages du "Spontaneous Order compared with Corporate Order". (Michael Polanyi, 1951, p. 114).

Au moyen de distinctes combinaisons de contrainte (coercition) et de recherche de légitimité (consensus) (voir Antonio Gramsci, 1975; Nicos Poulantzas, 1968287) les acteurs (ré)construisent, rétablissent et maintiennent un certain consensus sur leurs appréhensions respectives des situations et, ce faisant, sur les finalités et les limites de l’organisation288. La caractérisation de ces deux mécanismes de régulation est ainsi ré-interprétée par Michel Crozier et Erhard Friedberg :

“Toute entreprise collective - on ne nous démentira pas sur ce point - repose sur un minimum d’intégration des comportements des individus ou groupes, bref, des acteurs sociaux concernés, qui poursuivent, chacun, des objectifs divergents, voire contradictoires. Très schématiquement, cette intégration peut être réalisée de deux façons. Ou bien par la contrainte ou son corollaire, la manipulation affective et/ou idéologique, bref par la soumission imposée ou consentie des volontés “partielles” des participants à la volonté et aux objectifs de l’ensemble. Ou bien par le contrat, c’est-à-dire la négociation et le marchandage, qui peut se dérouler de façon explicite aussi bien qu’implicite” (Michel Crozier et Erhard Friedberg, 1977, p. 21-22).

Dans le même sens , Claude Ménard différencie deux formes de coordination dans les organisations, à savoir le contrôle289 (un transfert non volontaire de pouvoir lié à la hiérarchie290) et l’autorité291 (un transfert volontaire de pouvoir) (Claude Ménard, 1990). Selon Kenneth Arrow, l’exercice de l’autorité est non seulement nécessaire pour canaliser des conflits, sinon qu’il sert aussi à réguler la quantité d’information circulant à l’intérieur de l’organisation, et donc à réduire la complexité :

287 Sur les concepts de légitimité et de coercition comme moyens d'intégration entre acteurs, voir les travaux de Poulantzas (1968) basés sur Gramsci (1975).

288 "However, purposeful social systems do not originate by themselves but as a result of human aims and purposes. Although the spontaneous formation of new systems also plays an important role in society, social systems must be intentionally designed by human beings for human purposes. The goal is not "self-generated" system behavior but rather one that is intended to fulfill the desired aims. From this point of view, social systems are "made" by human beings and are not nature-given systems." (H. Ulrich, 1984, p. 81).

289 "Par contrôle, on entend, dans une relation d'ordre partiel strict, l'ensemble des procédures que doit mettre en oeuvre un supérieur hiérarchique par rapport à ses subordonnés, pour assurer sa maîtrise des décisions et leur exécution." (Claude Ménard, 1990, p. 35).

290 “ (…) on dira qu'il y hiérarchie entre deux sous-ensembles de participants A et B quand le sous ensemble B se réfère aux objectifs du sous-ensemble A plutôt qu'aux siens propres lorsqu'il prend une décision, et subordonne sa décision à celle de A lorsqu'il y a conflit." (Claude Ménard, 1990, p. 32).

291 "Par autorité nous entendons le transfert du pouvoir de décision, de façon explicite ou implicite, d'un agent ou d'une classe d'agents à d'autres agents." (Claude Ménard, 1990, p. 31).

“L’autorité est nécessaire pour réaliser la coordination des activités des membres de l’organisation.(…)

1. Puisqu’il y a interaction des activités des individus, dans la mesure où ce sont tantôt des compléments tantôt des substituts, puisque ces activités se disputent souvent des ressources limitées, une décision centrale sur le choix des activités individuelles sera supérieure à des décisions distinctes.

2. La décision centrale optimale dépend de l’information répartie entre les membres de la société.

3. Puisque la transmission de l’information est coûteuse, dans la mesure où elle utilise des ressources, notamment le temps des individus, il est plus avantageux et plus et plus efficace de transmettre tous les éléments d’information une fois pour toutes à un organe central plutôt que de faire connaître chacun d’eux à tous les individus.

4. Pour les mêmes raisons d’efficacité, il peut être plus avantageux pour un décideur ou un organe central de prendre la décision collective et de la transmettre plutôt que de retransmettre toute l’information sur laquelle elle repose”. (Kenneth Arrow, 1976, p. 84-85).

De même, il peut être nécessaire de respecter l’autorité acquise par certains centres de décision si l’on veut éviter les tendances à l’auto-blocage, assez fréquentes au sein des organisations (Beer, 1975; E.H. Klijn, G.R. Teisman, 1991, p. 108).

Toute tentative de pilotage de la part d’un acteur implique l’existence de certaines règles, que ces règles soient connues par les autres acteurs et qu’ils sachent les appliquer. En d’autres mots, tout pilotage suppose un certain préapprentissage : tous les acteurs doivent avoir intériorisé certaines règles s’ils veulent rester efficaces au sein de l’organisation. Même vouloir sortir des règles établies demande le respect de certaines règles, sous peine d’échec...

Cette intériorisation de règles se traduit par le respect de routines et de procédures permettant d’éviter le conflit ou de le canaliser de manière productive, que ce soit dans un contexte de commande hiérarchique ou dans un contexte d’autogestion292. D’autres procédures ou routines évitent le recours permanent à la force 293. Les règles de base (plus ou moins formalisées)

292 "Power is thus neither the center nor the essence of politics. (…) because routines make the use of power unnecessary.” (Karl Deutsch, 1966, p. 124).

293 “Plus encore : la rationalité “bornée”, limitée, des agents les conduit nécessairement, puisqu’ils ont des intérêts propres et que, rationnellement, ils savent les autres agents assujettis à des limites analogues, à avoir des comportements “opportunistes”. Il y a là pour eux une source de gains. Mais il en résulte un univers de conflits, enracinés dans la rationalité même des agents. L’organisation apparaît alors comme

augmentent la prévisibilité de certaines relations, en particulier les rôles espérés et les marges de manoeuvre ou d’interaction des acteurs et donc la “structure” de l’organisation. L’ensemble de ces règles définit aussi les marges de manoeuvre de l’organisation vis-à-vis de son environnement.

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