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Chapitre 5 La théorie de l’autopoièse

C. La notion d’auto-référence

III. Conclusions du Chapitre 5

La théorie de l’autopoièse met en valeur le thème de la régulation par l’autonomie, ce qui remet en cause certaines idées bien ancrées sur le fonctionnement des organisations et les origines des “dysfonctionnements” ou de l’adversité. La théorie de l’autopoièse questionne fondamentalement les prétentions de certaines des approches de gestion en milieu complexe et oblige à repenser notre manière d’aborder le pilotage face à des organisations ayant une tendance au comportement autopoiètique. En particulier, la théorie de l’autopoièse remet en question notre conception de ce qu’est l’information et de l’effet qu’elle peut produire dans les organisations autopoiètiques.

La théorie de l’autopoièse et les débats auxquels elle a donné lieu permettent de jeter un nouveau regard sur la problématique des limites, non seulement celles de l’organisation, mais aussi sur le problème des “limites” de la gouvernabilité. Ces limites, qui est-ce qui peut s’en rendre compte? A quelles conditions?

La notion auto-référence permet de mieux comprendre les causes de phénomènes tels que “la résistance au changement”, “l’inertie organisationnelle”245 et le

245 “One possible translation leads to an ultimate conservatism of bureacracy, or more precisely, to dynamic conservatism. That is a system which possesses the valued features of flexibility, adaptiveness, changeability, but uses them only to preserve its own existence. Change of policy objectives, change of

déficit d’apprentissage. Elle permet de mettre en doute la valeur des nombreuses injonctions que ces phénomènes ont suscité. La théorie de l’autopoièse remet ainsi en cause la validité, dans le cas d’organisations autopoiètiques, des approches de gestion par objectifs ou par extrants (sur laquelle se fonde l’approche par ailleurs stimulante de “réinventer le gouvernement” de David Osborne et Ted Gaebler, 1992) : comme ces organisations sont closes, leurs décisions sont dérivées de logiques intérieures, et ne perçoivent ni extrants ni intrants, les “récompenses” pour les “résultats” seront perçues comme d’autant de perturbations.

Un organisme sans système de clôture adéquate peut être submergé par la complexité. Le processus de clôture organisationnelle qui va de pair avec auto-référence constitue un mécanisme de défense de l’organisation face à la complexité grandissante dans son environnement.

La notion de clôture opérationnelle permet de mettre en valeur le caractère paradoxal des relations entre la commande, l’autonomie, l’apprentissage et l’autopoièse. Pour apprendre, il faut de l’autonomie, c’est-à-dire loi propre au milieu d’interdépendances, régies à leur tour par diverse combinaisons de commande et d’autonomie. Ces interdépendances contribuent à la richesse de l’apprentissage puisque celui-ci dépend en partie de nouveau intrants. Mais, plus il y d’apprentissage, plus il y de transformations qui peuvent menacer l’identité (ou loi propre du système). Le désir de préserver l’autonomie (c’est à dire l’identité du système) peut amener une organisation vers une stratégie de réduction des interdépendances, et tendre ainsi vers un comportement autopoiètique. L’auto-référence et la clôture organisationnelle peuvent conduire à l’appauvrissement des mécanismes d’apprentissage et d’innovation et donc affecter considérablement le domaine de l’adaptation. Elles peuvent conduire à la permanence de comportements déphasés par rapport aux changements intervenus dans l’environnement246. Un comportement autopoiètique interne d’une organisation peut se produire simultanément à une régulation par la commande vers et perçue comme telle par les autres acteurs. Un comportement autopoiètique autoritaire représenterait “une étape de transition” possible mais non nécessaire ni inévitable entre l’autonomie et la commande.

La notion de couplage structurel permet de mieux comprendre les nombreuses situations de permanence de conflits : dans certaines situations, les acteurs

functions and instrumental change all preserve the existence of the institution. The continuance of the institution, the organization, is the ultimate or only goal. Whatever happens, be it policy change or budgetary cutbacks, the bureaucracy will never die.” (W.J.M. Kickert, 1991, p. 203).

246 Un cas extrême pourrait être celui relaté par André Raspaut, rescapé de l’horreur, qui décrit à la fin de son livre hallucinant comment les prisonniers de Buchenwald se refusaient d’en franchir les limites, continuaient à suivre la routine du camp au milieu d’un désordre grandissant, alors que les gardiens allemands avaient déjà abandonné les installations et que les troupes alliées avaient repris le contrôle du territoire (André Raspaut, 1946).

paraissent incapables d’arrêter des interactions destructrices, parce qu’elles ont transformé ces perturbations en sources respectives de leur survie. La notion de couplage structurel permet de mieux comprendre pourquoi certains systèmes ainsi couplés dans une étreinte fatale peuvent perdurer au delà des limites de notre entendement. Quelles sont les implications de la théorie de l’autopoièse, et en particulier de la notion de couplage structurel pour la compréhension des structures organisationnelles?

La notion de couplage permet aussi de mettre en valeur l’existence d’interactions et de composantes capables de contribuer à de nouvelles interactions, nécessitant dans certains cas une transformation de l’organisation, de ses limites et son identité. La théorie de autopoièse, qui émerge du concept d’homéostasie et du feed-back et donc de la préoccupation des premier cybernéticiens pour la stabilité, prétend étudier le dynamisme des interactions et modifications dans un système donné, avec une identité donnée. Mais que se passe-t-il quand il y a des perturbations destructrices telles, qu’il y ait un changement d’identité? Varela et Maturana déclarent le problème de la transformation identitaire hors de leur champ d’étude.

Ce changement identitaire pourrait-il être lui aussi régi par un meta-système combinant des mécanismes de régulation allopoiètiques et autopoiètiques? Ce mécanisme de changement mettrait-il de nouveau en jeu les contradictoires notions d’autonomie, de commande, d’apprentissage et d’autopoièse? L’autonomie, c’est à dire la capacité de réflexion intentionnelle, peut-elle permettre à un acteur de se rendre compte et de sortir de son comportement autopoiètique?

Si une organisation contient toujours une combinaison de deux modes de

régulation, la commande et l’autonomie, et qu’elle est donc constituée à la fois de sous-systèmes allopoiètiques et autonomes (dont certains autopoiètiques),

quelles seraient les implications de ces diverses combinaisons de régulation pour la conformation et l’évolution des structures organisationnelles? Quelles seraient les conséquences de ces différentes combinaisons de sous-systèmes allopoiètiques et autonomes/autopoiètiques pour l’étude des limites organisationnelles ?

Chapitre 6

Les stratégies et les combinaisons de régulation passées marquent les structures organisationnelles de manière quasi indélébile

I. Introduction

S’il existerait une “archéologie des organisations”, on pourrait interpréter une organisation comme une superposition enchevêtrée et plus ou moins oblitérée d’une variété de structures inter et intra-organisationnelles, produites par les diverses stratégies et modes de régulations présents et passés.

Une organisation peut être caractérisée de manière adéquate par les suivantes paires de propriétés : récursivité et émergence; hiérarchie et hétérarchie; et

centralisation et décentralisation. Ces notions sont dérivées des mécanismes de la

régulation par la commande et par l’autonomie, ce qui délimite leur champ d’application et leurs nombreuses interrelations247. Nous montrerons que ces notions ont des conséquences considérables pour la théorie et la pratique du pilotage.

247 La discussion des notions de récursivité et de récursivité a un sens dans le cadre de l’analyse d’une même organisation ou d’une même partie de l’organisation, caractérisée par au moins deux centres décisionnels de même ou de différent niveau organisationnel. La discussion de la notion de hiérarchie à un sens dans une organisation (ou une partie de l’organisation) caractérisée par la présence de systèmes allopoiètiques, c’est-à-dire dans le monde de la commande; alors que la discussion de la notion de hétérarchie (ou polycentricité) a un sens dans une organisation (ou une partie de l’organisation) caractérisée par des systèmes autonomes (monde de l’autonomie). La discussion des notions de centralisation/décentralisation a seulement un sens dans une organisation (ou une partie de l’organisation) constituée de systèmes allopoiètiques (monde de la commande). Une structure ne peut être à la fois hiérarchique et hétérarchique, même si une organisation est généralement constituée des deux types de structures. Une structure ne peut avoir à la fois la propriété d’émergence et celle de récursivité, même si une organisation cherchera a développer des sous systèmes ayant ces propriétés respectives. Les propriétés de centralisation / décentralisation sont complémentaires et représentent les deux faces de la structure d’une organisation allopoiètique.

II. Réflexions sur les propriétés essentielles des structures

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