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Chapitre 5 La théorie de l’autopoièse

C. Caractéristiques des systèmes autopoiètiques

Les systèmes autopoiètiques sont caractérisés de la manière suivante :

• les systèmes autopoiètiques sont des systèmes autonomes; les processus d’interaction régénèrent continuellement leur propre organisation :

“Il s’ensuit qu’une machine autopoiètique engendre et spécifie continuellement sa propre organisation. Elle accomplit ce processus incessant de remplacement de ses composants, parce qu’elle est continuellement soumise à des perturbations externes, et constamment forcée de compenser ces perturbations. Ainsi, une machine autopoiètique est un système homéostatique (ou, mieux encore, à relations stables), dont l’invariant fondamental est sa propre organisation (le réseau de relations qui la définit).”(Francisco Varela, 1989, p. 45).

• les systèmes autopoiètiques produisent leur propre identité228 (contrairement aux systèmes “allopoiètiques” dont l’identité est définie de l’extérieur).

“Ces systèmes produisent leur identité; ils se distinguent eux-mêmes de leur environnement : c’est pourquoi nous les nommons autopoiètiques, du grec autos (soi) et poien (produire) ( Maturana et Varela 1980; Varela et al. 1974).” (Francisco Varela, 1989, p. 45)229.

228 “Autopoiesis means literally “self-production.” (Milan Zeleny, 1981, p. 4)

229 “C’est Burnet (1959), qui fut le premier à chercher une explication scientifique de cette tolérance immunologique dont font preuve les organismes à l’égard de leurs propres composants : il postula l’existence d’un mécanisme “d’autoreconnaissance”, qui permet à l’organisme “d’apprendre” à distinguer les éléments de sa propre structure (le soi) des éléments étrangers (le non-soi).” (Francisco Varela, 1989, p. 114).

• Les machines autopoiètiques sont des unités avec des frontières topologiques précises générées de l’intérieur par les processus de production; composants et processus constituent des unités concrètes dans l’espace230.

Les systèmes autopoiètiques n’ont ni intrants ni extrants231; bien que les systèmes autopoiètiques ont besoin d’un environnement, ils ne réagissent pas à des stimulus extérieurs. Tous les changements observés par un tiers sont des changements induits de l’intérieur; la quantité et la qualité des changements dépend de l’organisation et de la structure du système au moment observé232 et non par réactions par rapport à l’environnement. L’ensemble des composantes au sein du système et l’ensemble des interactions qui peuvent potentiellement produire son identité et ses limites, constituent l’organisation de ce système; l’ensemble des composantes et des interactions qui produisent présentement l’identité et les limites présentes du système constituent sa structure233. Il s’en suit

230 “We maintain that there are systems that are defined as unities as networks of productions of components that (1) recursively, through their interactions, generate and realize the network that produces them; and (2) constitute, in the space in which they exist, the boundaries of this network as components that participate in the realization of the network. Such systems we have called autopoietic systems, and the organization that defines them as unities in the space of their components, the autopoietic organization. We also maintain that an autopoietic system in physical space (i.e., an autopoietic system whose components we define as physical, such as molecules) is a living system, and, therefore, that a living system is an autopoietic system in a physical space.” (Humberto Maturana , 1981, p. 21).

231 “Des événements extérieurs peuvent les perturber, et elles peuvent subir des transformations structurales internes, afin de compenser ces perturbations. Si les perturbations se répètent, la machine peut, à son tour, répéter des séries de transformations internes. Mais toute relation qu’on peut trouver entre une série de perturbations et une série de transformations internes appartient au domaine dans lequel une machine est observée, et non pas à son organisation : ce faisant, l’observateur traite la machine autopoiétique comme une machine allopoiètique. En fait, les descriptions autopoiétique et allopoiètique d’un système forment un couple complémentaire dont l’usage dépend de l’observateur. Ce couple est une manifestation de la dualité universelle entre “autonomie” et “commande”.” (Francisco Varela, 1989, p. 46; voir aussi Francisco Varela, 1989, p. 145, p. 150).

232 “Autopoietic systems, then, are not only self-organizing systems. Not only do they produce and eventually change their own structures but their self-reference applies to the production of other components as well. This is the decisive conceptual innovation. it adds a turbocharger to the already powerful engine of self-referential machines. Even elements, that is last components (in-dividuals), which are, at least for the system itself, undecomposable, are produced by the system itself. Thus, everything which is used as a unit by the system is produced as a unit by the system itself. This applies to elements, processes, boundaries and other structures, and last but not least to the unity of the system it self. Autopoietic systems, of course, exist within an environment. They cannot exist on their own. But there is no input and no output . Autopoietic systems, then, are sovereign with respect to the constitution of identities and differences. They do not create a material world of their own. They presuppose other levels of reality.” (Niklas Luhman, 1986, p. 174).

233 “Remember that a system maintains its identity to the extent that it maintains its organization. Its structure nevertheless can vary substantially, and therefore the kinds of eigenbehavior available to the system at every moment of time will vary (by principle 1). From an output type stance, a system is adaptative simply because its organization is maintained invariant through changes of structures which do not violate constraints. In the first place case we have the relation system-environment as an instructive or prescriptive rule. As long as the identity is maintained through the conservation of the organization,

qu’une même organisation peut être supportée par de multiples structures (Humberto Maturana, 1981, p. 24)234 . De cette définition découle une conclusion importante sur le domaine des perturbations que le système peut subir (en d’autres mots le domaine des adaptations possibles).

• La caractéristique antérieure implique que les systèmes autopoiètiques adaptent leur propres structures par auto-référence, selon le domaine des transformations qui caractérise le système. Le domaine des perturbations possibles correspond au possibilités de comportement propre sans rupture de l’identité (Francisco Varela, 1989, p. 45)235 et236. Toute organisation opérationnellement close a des possibilités de comportement propre. Les modifications de comportement se font par initiative propre, et non par réaction à des changements dans l’environnement. C’est ce que Varela et Maturana appellent l’adaptation par la clôture.

II. Trois notions pertinentes pour l’étude de la problématique de pilotage A. La notion de clôture opérationnelle

La notion de clôture opérationnelle est à rapprocher de la notion cybernétique de retro-alimentation (Francisco Varela, 1989, p. 87). Tout système autonome est

there is adaptation, but it does not say in which particular way this can come about. The ways are dictated by the system’s closure and the corresponding eigenbehaviors.” (Francisco Varela, 1984, p. 27).

234 Le rapport entre les notions de structure et d’organisation peut être assimilée par analogie au rapport proposé par Deutsch entre la totalité des ressources disponibles et les ressources réellement utilisées par un acteur donné. Plus le “slack” au niveau des ressources serait important et plus une organisation donnée pourrait puiser dans sa variété de structures possibles : le slack de ressources déterminent le champ du comportement propre. Le champ “du comportement propre” serait-il assimilable à la notion d’autonomie relative de Poulantzas?

235 A nouveau Karl Deutsch a anticipé cette discussion sur l’autopoièse : “As long as it has autonomy, the net wills what it is. It wills the behavior patterns (“the personality”) that it has acquired in the past and that is changing and remaking with each decision in the present. Thanks to what it has learned in the past, it is not wholly subject to the present. Thanks to what it still can learn, it is not wholly subject to the past. Its internal rearrangements in response to new challenges are made by the interplay between its present and its past. In this interplay we might see one kind of “inner freedom”. (Karl Deutsch, 1966, p. 108).

236 “En conséquence, les systèmes ne diffèrent que par le domaine où ils sont réalisés et où a lieu la sélection, et non pas en ce qu’ils sont ou ne sont pas adaptés. Ainsi l’évolution des systèmes vivants autoreproducteurs qui maintiennent leur identité dans l’espace matériel (aussi longtemps que leur organisation autopoiétique invariante est conforme aux contraintes de l’environnement où ils existent) est nécessairement un processus permanent d’adaptation; et seuls se reproduisent ceux dont l’autopoièse peut être réalisée, indépendamment de l’importance des transformations que peut subir leur type d’autopoièse à chaque étape reproductrice.” (Francisco Varela, 1989, p. 69).“Tout comportement auto-organisé est engendré par la diversité de la cohérence interne d’un système opérationnellement clos” (Francisco Varela, 1989, p. 197).

opérationnellement clos (Francisco Varela, 1989, p. 89). Face aux critiques de Edgar Morin237, Castoriadis (1983) et Henri Laborit (1974, p. 193), Varela précise :

“Mais il faut noter que la clôture n’est pas une fermeture : le terme de clôture se réfère au fait que le résultat d’une opération se situe à l’intérieur des frontières du système lui-même; il ne présuppose pas que le système n’a pas de d’interaction avec l’extérieur, ce qui serait la fermeture. Mon objet n’a pas pour objet les systèmes isolés; mais je m’intéresse à la clôture de nombreux systèmes naturels, car cela paraît nécessaire pour leur compréhension.” (Francisco Varela, 1989, p. 217). Edgar Morin formule alors la thèse de la clôture de la manière suivante :

“Le problème devient plus intéressant encore lorsqu’on suppose une relation indissoluble entre le maintien de la structure et le changement des constituants, et nous débouchons sur un problème clé, premier, central, évident de l’être vivant, problème pourtant ignoré et occulté, non seulement par l’ancienne physique, mais aussi par la métaphysique occidentale/cartésienne, pour qui toutes choses vivantes sont considérées comme des entités closes, et non comme des systèmes organisant leur clôture (c’est-à-dire leur autonomie) dans et par leur ouverture.” (Edgar Morin, 1990b, p. 31)

Un extrait du Prince de Nicolas Machiavel, nous donne une application pertinente de cette idée :

“Le prince doit s’informer de toutes choses, et entendre leurs opinions, ensuite décider par lui-même, selon ses principes. (…)En dehors d’eux, il ne voudra entendre personne, et accomplira ce qu’il aura décidé avec une complète obstination. Celui qui agit autrement est perdu par les flatteurs, ou change souvent d’avis, selon le dernier qui a parlé, ce qui ne peut guère lui valoir d’estime. (...) C’est pourquoi un prince doit toujours entendre les conseils, mais selon son avis à lui, non sur celui des autres; il doit même décourager chacun de lui donner des conseils qu’il ne sollicite point. Il doit cependant les solliciter, et entendre ensuite patiemment la vérité requise, s’irriter même si quelqu’un la dissimule par prudence. Certains s’imaginent que les princes qui ont une réputation de sagesse la doivent seulement à leurs conseillers, non à leurs qualités naturelles, mais ils se trompent. Car voici une règle infaillible : un prince qui manque de sagesse ne sera jamais sagement conseillé (...)”(Nicolas Machiavel, 1972, p. 123-125)

Le thème de la clôture pose un problème au niveau de nos conceptions de l’information. Nous avions dit que le pilotage implique agir et qu’agir, c’est appliquer de la force ou transmettre des informations. Qu’est-ce qui se passe au niveau de l’information dans les systèmes opérationnellement clos? Selon Varela, il n’y a ni intrants ni extrants dans le cas de systèmes autopoiètiques.

237 “Pour ce qui est de la clôture-ouverture, j’apprécie beaucoup le travail de Varela, mais même au seul niveau organisationnel, je crois qu’il faut penser la clôture et l’ouverture ensemble. L’autonomie se nourrit de l’extérieur, elle s’ouvre sur lui, elle en dépend, et, simultanément, elle se clôt sur elle-même pour empêcher la désintégration de son être dans l’environnement.” (Edgar Morin, 1983, p. 328).

Inversement, selon les conceptions standard, l’information est quelque chose qu’un acteur transmet par un émetteur, pour être véhiculé par un vecteur, puis capté par un autre acteur. La théorie de l’autopoièse bouscule même les versions les plus avancées de la théorie de l’information (pour lesquelles l’information est non seulement signe mais aussi sens) puisque :

“To assume in these fields that information is some thing that is transmitted, that symbols are things that can be taken at face value, or that purposes and goals are made clear by the systems themselves is all, it seems to me, nonsense. The fact is that information does not exist independent of a context of organization that generates a cognitive domain, from which an observer community can describe certain elements as informational and symbolic. Information, sensu strictu, does not exist. Nor do, by the way, the laws of nature.”( Francisco Varela, 1981, p. 45, voir aussi Francisco Varela, 1989, p. 182, Niklas Luhman, 1986, p. 175)

Selon Varela, la notion de l’information comme une chose que l’on transmet provient d’une perspective organisationnelle basée sur la commande. Elle n’a plus de sens quand on part de la perspective de l’autonomie :

“C’est pourquoi, lorsque nous passons de la perspective de la commande à celle de l’autonomie, ce que nous nommons l’information est très différent de ce que nous nommons ainsi dans la “gestalt de l’ordinateur”. Toute information renvoie au maintien de l’identité du système et ne peut être décrite que par rapport à cette identité, puisqu’il n’y a pas d’architecte qui ait conçu ce système. En ce sens, on ne recueille et on ne transmet jamais d’information, et, dans l’environnement d’un système, il n’y aucune différence entre des entités informationnelles et des entités non informationnelles.” (Francisco Varela, 1989, p. 11)

La notion de clôture opérationnelle permet de mettre en valeur et de projeter un nouveau regard sur les raisons des problèmes “de communication” au sein et entre les organisations :

“Social systems use communication as their particular mode of autopoietic reproduction. Their elements are communications which are recursively produced and reproduced by a network of communications and which cannot exist outside of such a network. Communications are not “living” units, they are not “conscious” units, they are not “actions”. Their unity requires a synthesis of three selections : namely, information, utterance and understanding (including misunderstanding). This synthesis is produced by the network of communication, not by some kind of inherent power of consciousness, or by the inherent quality of information. Also -and this goes against all kinds of “structuralism” - communication is not produced by language. Structuralists have never be able to show how a structure can produce an event. At this point, the theory of autopoiesis offers a decisive advance. It is the network of events which reproduces itself, and structures are required for the reproduction of events by events.” (Niklas Luhman, 1986, p. 174).

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