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Chapitre 3 La base de ressources, les stratégies d’interaction et les réponses initiales

D. Les tentations d’une nouvelle technocratie spécialisée dans la gestion en milieu complexe

V. Conclusions du Chapitre 3

Les différents acteurs situés au sein de l’organisation ne peuvent s’arrêter d’agir, même dans les situations les plus complexes, sous peine de perdre leur entité comme acteurs. Agir demande une ample gamme de ressources, souvent rares, inégalement distribuées, inégalement perceptibles et inégalement utilisables par les différents acteurs. Cette asymétrie de positions oblige les acteurs à rendre leur comportement moins prévisible pour les autres acteurs. L’action est ainsi génératrice d’incertitude et de pouvoir. Les jeux de pouvoir contribuent à la complexité des situations que nous percevons; situations constituées d’une alternance aléatoire de conflits, d’adversité, d’incertitude mais aussi de situations simples, gérables, agréables… La notion de complexité qui semblerait “éroder la capacité de pilotage”, correspond-elle à une série de processus successifs et aléatoires faits de concentration-dilatation de processus simples et complexes dans le temps et dans l’espace?

En théorie tout acteur peut utiliser toutes les stratégies d’interaction. Toutefois il est fortement improbable qu’il développe plusieurs stratégies d’interaction simultanément et face à un même acteur (si cela est le cas il aurait probablement un comportement chaotique - comme cela a été fréquemment le cas des acteurs liés à l’économie de la coca en Amazonie Colombienne - : prétendre en même temps négocier et commettre des attentats meurtriers).

Cependant, dans la pratique, les options stratégiques et tactiques seront limitées du fait de la disparité des terroirs économiques, écologiques et politiques propres à chaque acteur. De plus, ces stratégies et tactiques seront limitées du fait d’une panoplie d’instruments finalement assez traditionnelle, terne et étroite (Lester Salamon, 1989, p. 8)189 et cela tend, particulièrement dans les stratégies de conflit violent, à limiter le choix des politiques d’interaction voulues, quelque soit la nature des acteurs.

Il existe plusieurs niveaux d’approche et de représentation de la complexité : la complexité confrontée par l’organisation et qui explique son émergence, la complexité générée à l’intérieur de l’organisation et la complexité générée au moment où l’organisation interagit avec son environnement. Les organisations rament littéralement dans la complexité perçue…Chaque coup de rame donne à

189

"In other words, each distinctive form of government action is really a complex system of action with its own personality, actors and dynamics. Because of this, different instruments can be expected to impart their own distinctive twists to the operation of public programs. What this suggests is the need for a body of theory that focuses not only on the distinction between the public and private sectors, but that also takes account of the distinctive features of the various technologies that the public sector uses to carry out its purposes. In short, it suggests the need for a tools approach that shifts the unit of analysis in policy analysis from individual programs or policies to the generic tools or instruments of public action." (Lester Salamon, 1989, p. 8).

l’organisation l’illusion de la solution mais la rapproche de nouvelles et différentes situations complexes.

L’introduction de la notion de complexité nous donne un répit, celui d’avoir temporairement collé un nom à des situations où les approches traditionnelles de pilotage ne fonctionnent plus ou guère. Mais, comme l’a indiqué Edgar Morin même, “le mot de complexité est un mot problème, pas un mot solution. La complexité est à la base.” (Morin, 1990b).

La nature complexe des problèmes devrait avoir de redoutables conséquences pour le pilotage public et privé. En général, bien que des méthodologies pertinentes ont été générées, la complexité reste un thème sous-estimé. La plupart des organisations s’adaptent en essayant de façonner leur environnement, de manière à pouvoir continuer à piloter avec les approches conventionnelles190. Cependant certains travaux récents prétendent prendre en compte la complexité. Leurs approches et leurs recommandations ne font pas montre d’une rupture profonde avec les approches standard; elles indiquent au contraire une réflexion encore insuffisante sur les implications réelles de la reconnaissance de l’incertitude et de l’adversité. La complexité semblerait pouvoir être confrontée avec de nouvelles recettes. Il en résulte des propositions de pilotage qui ajoutent encore plus de complication à la complexité. La méconnaissance et la sous-estimation de la nature complexe des problèmes dans lesquels nous pilotons constitue une des explications aux failles de la gestion publique et privée.

La nécessité de régulation, c’est à dire d’élimination d’une partie de l’incertitude et des conflits qui peuvent en résulter, se trouve au centre des organisations. Cependant, le problème de gouverner ne se poserait guèresi les organisations

190 Un exemple frappant est constitué par l’introduction massive, depuis les années quatre-vingt, de “la technique du cadre logique” dans les organisations bilatérales et multilatérales. Cette technique, summum de la rationalité, la synthèse et la clarté, a été développée au début des années soixante par la Rand Corporation, pour répondre au besoins de gestion dans le cadre de la course de la technologie spatiale. Elle fût ensuite utilisée dans le secteur privé durant les années soixante-dix (qui la rejeta ensuite avec l’ensemble de la panoplie des outils de gestion stratégique), puis finit par se nicher, on ne sait pourquoi, dans les organismes publics de développement. Son origine peut se tracer dans les manuels de l’armée prussienne, où l’on apprenait aux officiers à différencier les fins, les actions et les moyens…La méthode est particulièrement défendue par la GTZ, organisme de coopération allemande. (Nous l’avons enseignée pendant de longues années, faute de mieux, en insistant toutefois sur l’extrême fragilité des hypothèses qui fondent les relations supposées entre éléments du cadre logique et la problématique confrontée). On n’a jamais constaté d’amélioration particulière dans la gestion des organisations qui l’ont utilisée, en dehors du contexte organisationnel et environnemental pour lequel elle fût crée. Cette technique cependant réconfortante pour les administrateurs à involontairement induit à ce que les investissements de ces organismes de coopération se dirigent vers les seuls types d’activités qui s’adaptent au cadre logique : celles où l’on mélange le béton, le sable et l’acier...Autour du béton, la crise continue à faire rage et ne se résume qu’assez difficilement dans le rituel des quatre ou cinq colonnes recommandées…

seraient soit totalement prévisibles soit totalement imprévisibles, puisqu’une fois adoptée l’une ou l’autre de ces perspectives il n’y aurait plus de choix191.

191 Voir Ackoff et Emery : "Only those purposeful systems can be ideal-seeking that can choose between objectives." (Russell Ackoff et Fred Emery, 1972, p. 240). Voir aussi Masuch : (...) but a more general point can be made here, since perfect planning would render steering impossible. perfect planning would be error-free, thus implying perfect knowledge about the future. Such knowledge is available only if the world- and also the social world - is subject to determinism, and if the laws of this determinism are known. As a consequence, no discretionary space for planning will exist. Perfect prediction and perfect planning will exclude one another." (Masuch, 1986, p. 95).

Deuxième partie

Les mécanismes vitaux de la gouvernance

“Toute observation implique un cadre théorique, et, hors de ce cadre théorique, elle ne peut être interprétée et n’a aucune signification.”

(Francisco Varela, 1989, p. 49)

“Ceci est démontré à la fois par l’examen de certains épisodes historiques et par une analyse abstraite du rapport entre l’idée et l’action. Le seul principe qui n’entrave pas le progrès est : tout est bon.” (Paul Feyerabend, 1979, p. 20)

enfermés dans une logique de confrontation qui paraissait très peu effective (aucun des acteurs ne pouvait arriver à ses fins) alors que cet état de faits avait des effets extrêmement négatifs, aussi bien du point de vue économique (frein aux investissements, coûts exorbitants liés à la protection personnelle et l’armement, pertes de vies humaines et pertes matérielles), que du point de vue social (inégalité sociale croissante, perte de la diversité culturelle) et de l’environnement (destruction irrémédiable de la forêt, de la faune et des sols). Certains acteurs ont réalisé des efforts évidents pour arriver à des solutions et des accords durables. Ces efforts se révélaient infructueux. La situation paraissait inextricable et sans solution apparente.

Au delà de constater que chacun des acteurs suivait une rationalité propre, il nous a semblé important de mieux comprendre les ressorts internes de ces logiques confrontées et les facteurs qui ont contribué à empêcher les modifications nécessaires. Cette partie a pour objet d’aborder les principaux mécanismes de la gouvernance, aussi bien entre qu’à l’intérieur des organisations.

La commande et l’autonomie constituent les deux modes essentiels de régulation régissant toute organisation. Nous essayerons de voir en quoi ces mécanismes se différencient et comment ils sont en relation avec d’autres notions essentielles de pilotage : celles de l’apprentissage et de l’innovation.La notion d’apprentissage interactif permet d’aborder un des premiers obstacles potentiels à la gestion (elle permet notamment d’étudier le phénomène d’hystérésis et sa signification pour le raccourcissement du cycle de vie des politiques publiques). Améliorer la gouvernance : pour maintenir le statu quo ou maîtriser les changements nécessaires? La plupart des définitions de la gouvernance se centrent sur les thèmes du maintien ou de l’obtention de la stabilité192, quelques fois avec l’intention manifeste de maîtriser “la volatilité”. Ainsi, pour les rapporteurs du club de Rome, la gouvernance concerne les mécanismes de

commande qui assurent un équilibre stable entre les centres de pouvoir193, cela

192 "A fundamental requirement for the improvement of any system of public administration is the attainment of governmental stability, public order, and the rule of law. Where civil disorder is endemic or where changes in political control are frequent, administrative improvement is severely handicapped. For areas where governments have been newly organized and where governmental institutions have not yet been thoroughly established, some degree of administrative instability may in the short run be considered as a part of the general political development. But where, over a long period of time, governments are not able to establish orderly political processes, administrative reforms are likely to lag, and the prospects of permanent administrative improvements are slight." (United Nations, 1951 p. 9).

193 "We use the term governance to denote the command-mechanism of a social system and its actions that endeavors to provide security, prosperity, coherence, order and continuity to the system. It necessarily embraces the ideology of the system, which may (democratic) or may not (authoritarian) define means for effective consideration of the public will and accountability of those in authority. It also includes the structure of government of the system, its policies and procedures. Some might say cynically that

indifféremment de la nature autoritaire ou démocratique du régime...194. Cependant, la directivité des projets de gouvernement pèse lourd sur la situation de gouvernance : il est souvent plus facile de gouverner pour administrer l’état des choses que de gouverner pour les changer (Matus, 1987b, 1992). D’autre part les processus interactifs d’apprentissage contribuent à rendre très difficile la régulation par la seule commande. Nous verrons que cette manière de voir va souvent de pair avec la méconnaissance ou le refus de reconnaître l’opération d’un autre principe de régulation, à savoir l’autonomie, condition sine qua non de l’apprentissage.

Humberto Maturana et Francisco Varela ont mis en évidence un comportement organisationnel particulier dérivé de la régulation autonome : celui d’organisations closes à toute incitation venant de l’extérieur. La théorie de l’autopoièse formalisée vers la fin des années soixante constitue un défi pour l’analyse de la régulation puisqu’elle met en doute une série de suppositions sur lesquelles se fonde l’étude de la commande et de l’autonomie.

Nous aborderons la forme à travers laquelle ces différents modes de régulation marquent les structures organisationnelles de manière quasi indélébile. Nous espérons alors pouvoir introduire de manière systématique les facteurs explicatifs des difficultés de gérer les processus de changement profond.

governance is the means to provide a stable equilibrium between the various centers of power." (Alexander King, Bertrand Schneider, 1991, p. 181).

194 Cette approche concorde avec une tradition d'études juridiques, centrée sur la notion de stabilité des systèmes politiques (voir le stimulant essai de Garzón Valdés, 1992 -1987-).

Chapitre 4

La contradictoire relation entre les notions de commande, autonomie, apprentissage et autopoièse

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