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Chapitre 5 La théorie de l’autopoièse

B. La notion de multi-stabilité et son utilité pour aborder les processus de changement identitaire

IV. Conclusions du Chapitre 6

Les principales faiblesses des approches de pilotage peuvent provenir de :

• la sous-estimation de l’importance de la distinction entre la régulation par la commande, par l’autonomie et par sa variante l’autopoièse;

• la méconnaissance des différentes propriétés qui en découlent;

• la méconnaissance des effets des systèmes de régulation et des propriétés organisationnelles sur les structures des organisations.

Ainsi par exemple, la principale limitante de l’approche de négociation de l’Ecole de Harvard peut être expliquée du fait qu’elle suppose des organisations régies par la commande, la hiérarchie et la récursivité (il suffit de négocier, et “bien” négocier avec le niveau adéquat de décision). L’approche de négociation de Harvard a une applicabilité restreinte sinon nulle dans le cas d’organisations ou d’espaces organisationnels caractérisées par l’autonomie (ou par l’autopoièse), et par l’hétérarchie et des limites diffuses.

Une organisation peut être parfaitement gouvernable, être viable à long terme et réaliser ses fins, en faisant coexister des niveaux d’organisation ou des centres de décision caractérisés par la prédominance de la commande, avec d’autres caractérisés par l’autonomie. C’est cette particularité qui contribue à l’extrême variété des structures organisationnelles. Ce “désordre” peut être la condition même de sa viabilité.

Mais une prédominance inadéquate de l’un ou l’autre des mécanismes de régulation peut affecter la viabilité de l’organisation ainsi que la nature de ses limites. Nous doutons profondément que l’on puisse, face à la complexité, recommander l’une ou l’autre forme d’organisation. Une structure polycentrique

283"Socio-cultural systems have multiple feedback loops which maintain structure and correct deviations from established norms. During periods of relative stability, the systems are "governed" by means of set of rules (or laws) and an established hierarchic structure of power. There is sufficient determinism in such periods to permit predictions within a limited range of events - for example, likely responses to certain types of inputs or perturbations. The social sciences would be impotent without the existence of such regularities; there is no science of a random series of events. Whether in the economy, in politics, in the sphere of the family or that of the community, the feedback loops operate with sufficient regularity to allow the various disciplines to postulate "laws" (of market forces, dominance structure, kinship relations and the like) and deduce consequences from antecedents. However the situation changes in certain periods of turbulence. While the particular outcome of "revolutions" and other sudden changes and transformations can always be explained retrospectively, they can hardly be predicted." (Ervin Laszlo, 1986, p. 164).

peut être utile dans certaines circonstances, inadaptée dans d’autres : elle peut impliquer des coûts de négociation et de fonctionnement tels que l’intérêt de participer à l’organisation diminue et se traduise en désintégration ou du moins affaiblissement de sa base de ressources.

Il est probable que plus la structure d’une organisation est variée, c’est à dire plus ses propriétés seront multiples, plus les résultats des efforts de régulation de la part d’autres organisations seront incertains, surtout si leurs bases de ressources sont comparativement étroites. Cependant, maintenir des structures trop variées demande un effort de pilotage considérable et exerce une demande extrêmement élevée sur la base de ressources de l’organisation.

Cela explique la divergence des intérêts des acteurs face à la “stabilité” ou aux programmes de “stabilisation”. Un état donné de stabilité peut être adverse pour une organisation donnée. Elle sera alors inclinée à modifier cet état. Paradoxalement, passer d’une situation d’équilibre à une autre situation est un exercice précaire : l’acteur n’est pas sûr de déboucher sur une situation d’équilibre “meilleure”, il n’est même pas sûr d’arriver à une nouvelle situation qui soit “d’équilibre”. Cet exercice est d’autre part extrêmement exigeant en ressources rares et demandera une capacité d’adaptation démesurée, en particulier des acteurs dont la base de ressources est insuffisante. Les acteurs les mieux pourvus en ressources tendront à profiter de leur situation privilégiée, aussi bien au moment de l’instabilité qu’au moment du passage de l’instabilité vers plus de stabilité.

Une organisation peut-elle modifier intentionnellement les structures organisationnelles en adaptant les stratégies et les systèmes de régulation? Dans quelles circonstances? A quelles conditions? Comment alors mieux comprendre le fonctionnement et les interactions des différents niveaux organisationnels?

Troisième partie Les limites du pilotage

“Le livre traite de problèmes de philosophie et, comme je le crois, montre que la formulation de ces problèmes repose sur un malentendu de la logique de notre langage. On pourrait résumer tout le sens du livre en ces mots : tout ce qui peut être dit doit être dit clairement ; et ce dont on ne peut parler on doit le taire. (…)Le livre, en conséquence, tracera des limites à la pensée, ou plutôt - non à la pensée, mais à l’expression des pensées, car pour tracer une limite à la pensée, nous devrions être capables de penser des deux côtés de cette limite (nous devrions donc être capables de penser ce qui ne peut être pensé).” (Ludwig Wittgenstein, 1961, p. 27)

“But what are the right decisions? When are they in time? How much wasted effort can be tolerated? What is the nature of support and how much is essential? If we have to go over each policy and each program of government and of society and determine its dearing upon these problem areas, we will reach a judgment that will be revealing, and have a high degree of validity; but it will be nearly as laborious as governing itself.” (Graham, 1960, p. 64).

Les situations caractérisées par des bases de ressources inadéquates, la complexité, l’incertitude, le conflit et l’adversité, la variété des systèmes de régulation (commande, autonomie, et sa variante l’autopoièse), la variété des structures organisationnelles (composantes allopoiètiques, autonomes et autopoiètiques) et la variété des niveaux d’organisation contribuent à limiter sérieusement la capacité de gouverner. Peut-on y faire face? Peut-on mieux s’y préparer? Peut-on mieux s’organiser? Comment un acteur donné peut-il étendre le domaine de la gouvernabilité. Comment gouverner aux confins?

Sur la base des travaux de René Passet, Yezehkel Dror et Carlos Matus nous proposons une modélisation des niveaux et des systèmes de régulation organisationnelle. Nous verrons que reconnaître l’existence de différents niveaux de régulation n’implique aucunement l’attribution d’une quelconque relation d’autorité ou de hiérarchie entre les niveaux de “micro”, “macro” ou “mega-régulation” : l’analyse de l’opération de ces systèmes nous renvoie à nous-mêmes, acteurs individuels. La question posée par Karl Deutsch reste alors d’une extrême actualité : quelle régulation politique est suffisante et nécessaire284 pour que le mécanisme de régulation du marché (qui possède des avantages certains) puisse subsister sans détruire la viabilité de la société dans son ensemble?

“Instead of looking simply for a “strong central power” to prevent conflicts- a power that conceivably may become precarious in certain domestic political conflicts and that in international politics not as yet exists- we might rather ask how much central authority together with what distribution of autonomous organizations and what levels of efficiency in self-steering would be required to keep the frequency and intensity of group conflicts below the danger level for the whole system.” (Karl Deutsch, 1966, p. 208)

Les chemins de la viabilité sont nombreux, et c’est la capacité et la rapidité d’adapter les formes de gestion et d’organisation qui compte (avec ou sans gestion formelle des crises, avec ou sans ateliers de gestion stratégique, de cercles de qualité et de centres d’innovation). Nous tenterons de préciser les caractéristiques du domaine mouvant de l’autonomie relative. Quels peuvent

284 Voir aussi Bob Jessop : “Thus the modern political state is caught in a dilemma. As a force whose vocation is to create order, it operates by setting no limits to politics. And thereby it reproduces hopes and expectations which it must inevitably disappoint. It survives only because the nature of the demands made upon it constantly change and because it successfully maintains the myth that change of party, regime or constitution will alter things (Luhman 1986 : 169; cf. Marx 1844). Indeed the openness of the modern political system to new demands is both a source of flexibility (especially where there is real competition between government and opposition forces) and of a potential for overload(because the system becomes too open and internalizes the complexities and disorders of its environment.) In turn this generates various strategic dilemmas and contradictions concerned with managing the uneasy balance between openness and closure (Luhman 1984b : 112, 118)” (Bob Jessop, 1990, p. 322).

alors être les critères de la viabilité? Quel est le domaine des interactions viables? Quelle serait la nature du système régulateur qui permettrait de modifier les systèmes de régulation et de gouverner la transformation identitaire? Comment amplifier le domaine de ce qui est gouvernable? La problématique de gouvernance émerge dans le cadre de processus multi-stables (constitués à la fois de successives et enchevêtrées situations de stabilité et de crise). La notion de multi-stabilité permettrait d’étendre le domaine des réflexions sur les modes de régulation autonome, autopoiètique et par la commande. Quels serait alors leur rôle dans les transformations identitaires?

Tout au long de ce travail nous avons tenté de forger un outil adéquat d’analyse et de compréhension des phénomènes de gouvernance dans une région convulsionnée de la Colombie. A l’aide des outils de réflexion proposés au cours des chapitres précédents nous tenterons de mettre en valeur certaines caractéristiques de l’évolution de la situation de gouvernance en Amazonie colombienne, durant la période 1975-1990. Cela nous conduit à distinguer trois périodes.

La première (1975-1981) est dominée par l’illusion que tout peut être résolu par la régulation par la commande. Elle est marquée par l’intervention directe du niveau national (en particulier à travers la tutelle exercée par le Département Administratif des Intendences et Comisariats DAINCO) et est caractérisée par des réponses exclusivement réglementaires et technologiques face aux problèmes environnementaux et une prééminence des options déterminées par le secteur militaire de l’Etat face à la problématique socio-politique;

La deuxième période (1982-1987) est caractérisée par la prise de conscience de la complexification des problèmes de développement et par les tentatives de respecter et d’augmenter les espaces d’autonomie. Cette période est marquée par l’essai d’une solution politique face aux problèmes socio-politiques, et une tentative de rapprocher la recherche de solutions technologiques avec les intérêts directs des acteurs, en passant par l’engagement actif des entités territoriales décentralisées et l’établissement de dialogues régionaux et locaux sur les options d’utilisation du territoire.

La troisième (1988-1990) se caractérise par l’abandon des alternatives de régulation et par un double processus : à la fois un retour aux illusions de la régulation de la commande et une forte tendance vers un comportement autopoiètique au niveau de l’Etat La période 1988-1990 marque le retour à une approche formelle et procédurale des problèmes d’environnement à la fois que le retour à une réponse militaire face aux conflits socio-politiques. Celle-ci débouche sur une crise aiguë des institutions politiques et de la société colombienne dans son ensemble.

Nous avons choisi de réaliser cette analyse du point de vue de l’Etat, organisation que nous avons connue de plus près, mais des analyses similaires pourraient être réalisées du point de vue d’autres acteurs. Les nombreux travaux existants nous

évitent d’entrer dans les détails et nous ne prétendons aucunement épuiser le sujet. Nous dégagerons les grandes lignes des événements les plus marquants aux fins de notre étude.

Cet exercice de réflexion a postiori possède de sérieuses limitations. Nous en sommes conscients : en général, faire des commentaires sur ceux qui gouvernent est plus facile que gouverner; faire des commentaires après coup est encore plus commode. Bien que la méthode choisie mette en valeur des comportements ou des décisions qui paraissent inadaptés ou erronés, par rapport aux connaissances et de l’expérience dont nous disposons aujourd’hui, notre intention première n’est pas de disqualifier ni de juger, sinon d’apprendre.

Nous développerons le point de vue selon lequel, dans la plupart des cas observés en Amazonie Colombienne, les difficultés d’adaptation et d’innovation dans le cadre d’un équilibre multi-stable, constituent en fait les éléments fondamentaux de la problématique de gouvernance dans cette région. Notre définition du champ d’étude de la gouvernance s’oriente vers les conditions propices aux changements nécessaires (Fals Borda, 1965, p. 44), chez l’acteur même et chez les autres acteurs. Mais il est fréquent d’observer qu’un acteur propose des changements qui vont soit en deçà, soit au delà de son autonomie relative. Un comportement autopoiètique interne d’une organisation pourrait se produire simultanément avec une régulation par la commande vers (et perçue comme telle par) d’autres acteurs. “L’autopoièse autoritaire” représenterait alors une “étape de transition” possible mais nullement nécessaire ni inévitable entre l’autonomie et la commande.

Chapitre 7

Les différents niveaux et systèmes de régulation organisationnelle

I. Introduction : les niveaux de régulation suggérés pour l’étude de la

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