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Les musiques répétitives, minimalistes, des années soixante dix

3. inFlUences

3.7 Les musiques répétitives, minimalistes, des années soixante dix

On trouve bien souvent des répétitions dans la musique, mis à part dans la musique sérielle et dodécaphonique, et c’est grâce à ces répétitions que l’on distingue l’unité du thème et de la musique, « la permanence de la forme en la diversité du devenir »265. Selon

Johan Girard, il existe deux groupes singuliers de répétition :

« Certaines sont des redites et d’autres des renaissances ; les unes nous plongent dans un passé mort, les autres, tout en reliant le présent au passé, les conjoignent en l’actualité d’un présent spirituel et éternel : elles nous rappellent, si l’on veut, le passé, mais, en nous soustrayant à ce qui en lui est mort, pour nous faire éprouver ce qu’il y a en lui de toujours vivant. »266

C’est cette seconde répétition qui est importante au sein de mon travail et qui sera employée jusqu’à saturation dans la musique répétitive américaine comme dans les œuvres de Philip Glass, notamment dans l’opéra Einstein on the Beach267 ou bien dans

l’œuvre In C268 (en Do) de Terry Riley, véritable œuvre multi-répétitive, de seulement cin-

quante trois motifs.269 Composée pour un nombre de musiciens indéterminé voire illimi-

té, cette œuvre nous donne le sentiment que le mouvement perpétuel existe dans un monde « complètement statique »270. On peut trouver l’origine de la musique dite « ré-

pétitive » des années 70 dans les musiques traditionnelles, notamment dans les percus- sions africaines. La répétition offre « une quantité d’exemples où l’appareil auditif de base se trouve […] piégé par les modules polyrythmiques inlassablement répétés que jouent des instruments à percussion »271.

265. GIRARD Johan, Répétitions – L’esthétique musicale de Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass, Paris, éd.

Presses de la Sorbonne nouvelle, 2010, p. 15. 266. ibid, p .15.

267. GLASS Philip, Einstein on the Beach, 300 min, 1976.

268. RILEY Terry, In C, 55 min, 1964.

269. NYMAN Michael, Experimental music – Cage et au-delà, Paris, éd. Allia, 2005, p. 221.

270. ibid, p. 218.

Erik Satie, dans sa pièce Vexations272, soit la répétition d’un même thème trois cent

quatre-vingts fois, utilisa le procédé répétitif d’une autre manière de ce qui se faisait le plus couramment à l’époque : l’ostinato273. Ce sera une véritable source d’inspiration

pour la musique contemporaine qui usera « de la multi répétition, de boucles sonores et de l’idée d’infini »274, ce qui pour moi est primordial. « La perception d’une œuvre mu-

sicale, dont la forme est construite sur les variations d’un thème initial, procède par le repérage de relations internes. Ces relations vont procurer l’idée d’une logique dans la construction de l’œuvre, mais au prix de discontinuités de l’attention à certains ins- tants. »275 De même que le spectateur se repère en appréhendant le thème et ce qui suit,

ce plaisir de reconnaissance fait partie de la musique. « Saisir le rapport du présent avec ce qui est écoulé, c’est perdre le contact avec ce qui suit immédiatement pour établir une connexion imaginaire. Celle-ci brise l’adhérence au présent, qui n’est plus perçu qu’« en marge ». »276 Et « Comme il n’y a guère de variation dialectique entre des thèmes, ni de

construction linéaire de l’ensemble, l’écoute ne se désolidarise pas du présent. »277 Une

adhésion totale au présent par la répétition d’un même thème non évolutif. On se trouve alors à l’opposé d’une musique qui serait improvisée, constituée d’évènements sonores et d’un art de la conséquence.

3.7.1

Le bourdon et le drone

Le drone ou le bourdon fut très répandu tout au long de l’histoire de la musique. « C’est un anesthésiant de l’intellect. »278 À la base, le terme de bourdon où bourdonne-

ment signifie un bruit gênant, un son continu perturbant la quiétude d’un lieu. En Eu- rope, la vielle à roue avait la particularité de pouvoir jouer une mélodie sur une nappe d’un accord joué en continu par des cordes fixées à l’extérieur du clavier mélodique. On

272. SATIE Erik, Vexations, 9 min 51 s, 1893.

273. Motif mélodique ou rythmique répété obstinément, généralement à la basse, d’une œuvre. Défini- tion consultée sur http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ostinato/56786

274. NYMAN Michael, op. cit., p. 70. 275. AVRON Dominique, op. cit., p. 105.

276. FRANCÈS Robert, La perception de la musique, Paris, Presses universitaires de France, 1956, p. 246. 277. AVRON Dominique, op. cit., p. 106.

278. SCHAFER Raymond Murray, Le paysage sonore – Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, New York, éd. M&M, 1979, p. 118.

peut également citer la cornemuse où le bourdon est incorporé au son de celle-ci, ain- si que bon nombre d’autres instruments du monde entier comme le didgeridoo, le shō

dans le gagaku279, où le drone se retrouve aigu, ne servant plus de support mais servant

de ligne mélodique. Le bourdon ou drone, très utilisé dans la musique indienne influen- cera La Monte Young lors d’une rencontre avec Pandit Prân Nath, chanteur indien avec lequel La Monte Young joua de la tampura, instrument modal spécifique qui a le rôle fondamental de tenir le drone afin de pouvoir apposer la voix du chanteur. La Monte Young reprit ainsi le flambeau, très inspiré par le shō japonais et la tampura indienne. Il voit dans le drone la possibilité d’une appropriation et d’une incertitude temporelle. C’est dans cette indétermination temporelle que le drone est important. De nombreuses pièces de Young n’ont pas de durée limitée, il parle alors de « temps potentiel existant »

280. Ce temps douteux, non délimité, est très bien exploité dans son œuvre Compositions

1960 #5281 :

« Libérez un papillon dans l’espace d’exécution. À la fin de la composition, assurez- vous que le papillon puisse s’envoler au-dehors. La composition peut être de n’importe quelle durée dans le cas d’un temps disponible illimité, les portes et fenêtres devront être ouvertes avant la libération du papillon et la composition pourra être considérée comme achevée quand s’échappera le papillon. »282

Cette œuvre demande donc une composition proche de l’intemporel, une compo- sition qui n’évolue pas. Le drone ou bourdon est intemporel et immersif, proche du spi- rituel, c’est en cela qu’il influe sur ma pratique et la composition de certaines de mes mélodies.

3.7.2

Le décalage et le déphasage

En ce qui concerne la méthode du déphasage, je me réfère à l’œuvre de Steve Reich, principal initiateur de ce procédé, utilisé notamment dans son œuvre Drumming283, com-

279. Au Japon, musique vocale et instrumentale, souvent accompagnée de danses, qui a des fonctions profanes ou religieuses. Définition consultée sur http://www.musicologie.org/sites/j/japon.html 280. NYMAN Michael, op. cit., p. 133.

281. LA MONTE Young, Compositions 1960 #5, 1960.

282. NYMAN Michael, Experimental music – Cage et au-delà, Paris, éd. Allia, 2005, p. 134.

posée pour un ensemble de percussions. À partir d’une rythmique élémentaire, Steve Reich va déphaser le rythme qui sera « sujet à un cycle de déphasage par rapport à lui- même »284. Il n’y a aucune modulation si ce n’est le rapport entre rythmes donnés « en

registre constant […] tel un drone à pulsation perpétuelle »285. Ce flux constant de dépha-

sage provoque des effets de questions réponses, de dialogues incertains, de nouvelles mélodies ou rythmes, de nouveaux contrepoints. Ce flux rythmique provoque chez l’au- diteur une focalisation de l’attention sur autre chose que les instruments joués qui se décalent, « ajoutant toute une dimension de sons inédits et insoupçonnés qui n’auraient pu être produit autrement »286.

284. NYMAN Michael, op. cit., p. 230. 285. ibid, p. 231.