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Partie 1 Contexte, enjeux et méthodes

1.2 Les Mising, un peuple tibéto-birman, au bord du Brahmapoutre

Parmi les sociétés peuplant l’Assam, la communauté mising fait partie depuis l’indépendance de l’Inde des groupes inscrits sur la liste des tribus répertoriées (Scheduled Tribe) de l’État dans la catégorie « Miri/Mising ». L’ethnonyme « Miri27 » était utilisé sans distinction par les Assamais et les Britanniques pour désigner les différents groupes tribaux habitant de manière dispersée les collines et la plaine. L’ethnonyme « Mising » est officiellement employé depuis une décision en 1972 du Comité littéraire et culturel de la tribu, le Mising Agom Kebang (MAK) et reconnut en 1995 par le Conseil autonome mising (MAC), mais on trouve encore souvent la terminologie « Mishing » dans certains ouvrages.

Les sources écrites concernant cette communauté sont peu nombreuses puisqu’il s’agit d’une société de tradition orale. Les chroniques des rois ahom et les recherches menées par des administrateurs, missionnaires et ethnographes britanniques avant et après l’indépendance de l’Inde fournissent quelques descriptions concernant l’organisation des sociétés peuplant les marges du Nord-est indien (Dalton 1845 ; Needham 1886 ; Bordoloi 1894 ; Lorrain 1910 ; Hamilton 1912 ; Elwin 1957 ; Fürer-Haimendorf 1982)28. Depuis 1950, ces études sont devenues des ouvrages de référence pour les élites intellectuelles de la communauté, les associations mising et les missionnaires chrétiens, qui ont ainsi publié en anglais plusieurs ouvrages et des revues sur l’histoire et la culture de la communauté (Mipun 1987 ; Nyori 1993 ; Roy 1997 ; Kuli 1998 ; Pegu N. 1956, 1981, 2005). Depuis 1972, le Mising Agom Kebang, haute instance de la communauté dévouée à la préservation et à la diffusion de la langue écrite et de la littérature mising, a entrepris de réécrire l’ethnographie et l’histoire des tribus abor et miri (respectivement rebaptisées « adi » et « mising ») dans la langue mising écrite29.

Dans ce sous-chapitre, il ne s’agit pas de donner une définition homogène de cette communauté puisqu’elle s’enrichit continuellement des échanges (culturels, matériels et techniques) avec les autres groupes de la plaine et des montagnes, mais aussi avec les sociétés du reste du monde. Nous

27 Pour E.A Gait (1905), le terme de ‘Miri’ signifiait ‘au milieu’, car durant l’époque britannique, les Mising ont souvent joué le rôle d’intermédiaire et d’interprète entre les Tani et les Ahom, puis avec les Anglais.

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Les études, décrivant le caractère des tribus abor et miris ainsi que leurs relations avec les Britanniques, furent employées par le gouvernement colonial, puis postcolonial, pour maîtriser les territoires et les sociétés des périphéries, mais aussi pour définir et contrôler les frontières. Il s’agissait de cartographier le pays en y inscrivant les « tribus », classifiées en catégories. Ces communautés d’origine montagnarde ont été appelées « Miris » par les Assamais et les britanniques.

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Selon Nahendra Padun (2008), la langue Mising écrite, Mising Agom, est née en 1880. Les recherches et les études autour de la langue mising débutèrent à la fin du règne des Ahom, lorsque la Compagnie britannique des Indes orientales, East India Company, prit le pouvoir. Plusieurs groupes de missionnaires chrétiens (catholiques et baptistes) s’installèrent en Assam et étudièrent les langues des tribus du nord-est de l’Inde. Après l’indépendance, de plus en plus de Mising ont accédé à l’éducation et à des études de niveau universitaire. Le comité d’étude de la langue mising, le Mising Agom Kebang, fut fondé en 1972. En 1978, le comité décida de formaliser la langue écrite avec l’alphabet roman.

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montrerons également l’hétérogénéité de ce groupe tant du point de vue économique que de ses stratégies sociales.

Démographie et appartenance ethnolinguistique

La population mising représente environ 2 % de la population totale de l’Assam et près de 23 % de sa population ST et forment numériquement le second groupe de la catégorie après les Bodo30. Elle a quadruplé en 30 ans (1971-2001), passant de 250 000 à presque 900 000 individus (Tableau 2). Cette hausse résulte de la croissance démographique naturelle mais aussi d’une croissance des déclarations d’appartenance au groupe ST Miri lors des recensements. Selon le recensement de 2001, 517 170 personnes, soit 88 % des membres de la communauté mising en Assam, parlaient leur langue maternelle tout en assimilant l’assamais, les 12 % restant ayant progressivement abandonné leur langue maternelle pour ne parler que l’assamais. Les Mising représentent plus de 40 % de la population de Majuli (district de Jorhat) et de Dhakuakhana (district de Lakhimpur), mais moins de 15 % de la population dans la subdivision de Bokakhat (district de Golaghat) (Carte 5). Il s’agit d’une communauté vivant principalement en zone rurale. Les élites rurales tendent toutefois à gagner les villes ce qui explique qu’une communauté de plus de 10 000 personnes résidait dans les espaces urbains en 2001.

Tableau 2 : La population mising en Assam en 1971, 1991, 2001 et 2011. Source : Census of India Population d’Assam Population totale des Scheduled Tribes en Assam % des ST en Assam Population mising totale % des mising parmi la population d’Assam % des mising parmi les ST Population mising rurale Population mising urbaine 1971 14 625 000 - - 259 551 1,77 % - - - 1991 22 294 562 2 874 441 12,89 % 467 790 2,10 % 16,27 % 462 928 4 862 2001 26 655 528 3 308 570 12,41 % 587 310 2,20 % 17,74 % 576 903 10 403 2011 32 169 272 3 887 371 12,08 % 884 979 2,75 % 22,76 % - -

Pour le Linguistic Survey of India, une classification linguistique préparée par Gierson (Gierson 1909), puis par LaPolla et Thurgood en 2003 (Figure 2), la langue mising s’inscrit dans le groupe du nord de l’Assam (North Assam group) appartenant à la branche tibéto-birmane de la famille de langues sino-tibétaines (Pegu N. 2005 ; Taid 2010). Elle appartient au groupe Tani qui rassemble plus de dix langues de l’État de l’Arunachal Pradesh actuel.

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Concernant les Bodo, le recensement comptait 1 352 771 individus, soit 40,9 % de la population tribale totale d’Assam.

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Selon l’Unesco, cette langue reconnue parmi les langues régionales de l’Assam serait néanmoins menacée d’extinction 31

(Carte 2). D’après le recensement de 2001, le taux d’alphabétisation moyen au sein du groupe était de 60,1 % (71.4 % pour les hommes et 48,3 % pour les femmes).

Figure 2 : Arbre linguistique de la langue mising. La langue mising appartient au groupe des langues Tani, de la branche tibéto-birmane des sino-tibétains. Source : La Polla et al. 2003.

Au-delà d’une langue commune, les groupes tribaux tani reconnaissent un ancêtre commun, appelé « Abotani », et partagent les mêmes mythes d’origine. L’appartenance ethnolinguistique et l’usage actuel d’une langue commune est donc de première importance dans la définition de l’identité collective des Mising, car c’est notamment par la langue vernaculaire que se diffusent les mythes fondateurs de la communauté. Depuis l’époque coloniale, les historiens britanniques et les élites littéraires assamaises et mising s’accordent à dire que les Miri (Mising)32

seraient issus de plusieurs segmentations des tribus tani qui peuplent toujours les vallées ainsi que les basses et moyennes montagnes de l’Himalaya oriental (Arunachal Pradesh) (Bordoloi 1894 ; Kuli 1998 ; Lego 2005). Les textes généralement transmis oralement par des narrations peuvent faire l’objet d’une reconstruction notamment au cours du travail de transcription et d’interprétation réalisé par les sociétés littéraires, dont le Mising Agom Kebang (MAK).

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Unesco, Interactive Atlas of the world’s languages in danger (http://www.Unesco.org/culture/languages-atlas/en/atlasmap.html et http://www.Unesco.org/culture/en/endangeredlanguages/atlas) (liens valide en août 2014).

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Migration des collines vers la plaine et formation du territoire mising

Les chroniques des rois ahom ne mentionnent pas explicitement l’existence d’un peuple nommé « Miri » ou « Mising ». L’appelation « Miri » est mentionnée pour la première fois dans un ouvrage en 1828 par le capitaine John Bryan Neufville33. Selon les premières sources écrites, des communautés de langues tibéto-birmanes auraient quitté les vallées himalayennes pour migrer par vagues successives vers la plaine alluviale du Brahmapoutre en Assam en raison de conflits entre localités et entre clans liés à l’exploitation et au partage des ressources (Nyori 1993 ; Gait 1905 ; Lego 2005 ; Pegu N. 2005). Il reste toutefois difficile de déterminer la temporalité de la migration de ces clans. Du XIIe au XXe siècle, les Miri (Mising) jouèrent le rôle d’intermédiaires entre les sociétés des plaines et les tribus tani des montagnes (Krick 1852 ; Mackenzie 1884 ; Hamilton 1912 ; Bose 1997 : 73). Comme le soulignent E. Leach (Leach 1954) et particulièrement James C. Scott (2001 : 86), dans l’ensemble de l’Asie du Sud et du Sud-est , les frontières entre les « tribus montagnardes » et les « peuples des vallées » sont fort poreuses sur la longue durée. De ce fait, il y a en permanence des montagnards qui deviennent des gens d’en bas, et inversement34.

Les Mising font partie de ces populations intermédiaires qui ont culturellement et écologiquement un pied dans les collines et l’autre dans la plaine. Cette particularité s’observe notamment dans l’architecture des maisons et dans l’organisation du foyer mising qui est explicitement emprunté aux autres groupes tani. Les Mising maintiennent par ailleurs des échanges culturels, linguistiques et techniques avec les autres peuples de la plaine. Comme nous le verrons par la suite, les savoirs ainsi construits sont particulièrements importants dans la mise en place de leurs stratégies d’adaptation aux aléas du milieu fluvial, même si les Mising ont aussi maintenu une certaine autonomie et une part d’indépendance envers les populations avoisinantes, numériquement plus nombreuses et économiquement dominantes.

En quête de terres fertiles, suivant les rives au gré des crues et des modifications du tracé des chenaux, parcourant les bancs de sable (sapori), naviguant dans les espaces lacustres et les zones humides formées par les bras abandonnés du fleuve, les communautés mising occupèrent progressivement la rive nord du Brahmapoutre ainsi que ses affluents, le Subansiri, le Ranganodi et, sur la rive sud, le Dhansiri (Carte 5 et Carte 15). Pour s’adapter aux crues annuelles du fleuve et aux

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“ Resuming the right bank above the head of the Mojouli, and the Siti district, the river pursues a tract now quite barren of culture, and covered with trees and jungle, until it approaches the first line of hills, and washes the country inhabited by the tribe of Mírís, a nearly barbarous race, rudely armed with bows and arrows, and differing altogether in language, appeareance, and manners from the inhabitants of Asam proper. They have 1ome villages on the bank, of which· Motgaum is principal, having been recently re-peopled by the Gaum, or chief, who resumed his allegiance to the Asam government, and claimed protection from the hill Abors, his neighbours” (Neufville 1828 : 324).

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modifications de son cours, ils adoptèrent un mode de vie mobile en déplaçant leurs villages, suivant les divagations des chenaux, sur les bourrelets de berges surplombant les basses terres. Ils rencontrèrent d’autres tribus (Boro, Kacharis, Karbis) et d’autres communautés (Assamais, Bengalis) qui peuplaient les terres les plus stables. Aux côtés des Bengalis, des Biharis et les Koïbotras, ils furent donc contraints d’occuper les terres vacantes dans les zones les plus instables : des espaces aux marges d’une plaine agricole exposée aux inondations et des interstices souvent délaissés. Leur territoire est depuis ce temps discontinu et s’organise de manière réticulaire.

Dans le cadre des relations de classes et des hiérarchies sociales, si les Mising furent englobés dans la masse paysanne alors, ils furent assujettis aux rois des dynasties Chutiya et Ahom, puis aux administrateurs de l’Empire britannique des Indes et enfin à ceux de l’État d’Assam après l’indépendance. Les villages mising, principalement localisés le long des cours d’eau, affluents et chenaux du Brahmapoutre, sont fréquemment emportés en raison des processus hydrogéomorphologiques qui érodent les berges. Par conséquent, les familles dépendent des propriétaires assamais ou des monastères vaishnavites de Majuli, pour qui elles cultivent les terres. Néanmoins, la communauté mising est aussi composée d’un grand nombre de classes sociales, allant des élites littéraires, politiques et économiques aux paysans « sans terre ». Par conséquent, nous considérerons dans cette thèse les stratégies déployées par les différents groupes et les différentes communautés mising dans le cadre des relations qu’ils entretiennent avec les groupes sociaux avec qui ils partagent des espaces communs sous l’autorité de l’administration territoriale. Ces interactions sociales contribuent à définir le territoire mising qu’il soit politique ou symbolique.

Du territoire politique au territoire symbolique

Cette étude des interactions entre société et milieux dans la plaine alluviale du Brahmapoutre s’ancre dans une approche territoriale. La notion de « territoire » peut être considérée sous l’angle juridique qui se réfère au territoire politique dans le cadre d’un système administratif tel que défini par un État, mais aussi sous l’angle social, culturel, et même affectif, c’est-à-dire un territoire tel que perçu, vécu et approprié par un individu ou par une communauté. Les relations entre les membres de la communauté s’enchevêtrent dans l’espace pour former un territoire au maillage complexe. C’est le sentiment d’appartenance à un lieu qui doit être alors pris en compte.

Le territoire politique et administratif

Selon la liste des circonscriptions habitées par des mising, le territoire de la communauté s’étend sur un corridor longeant le Brahmapoutre. Parmi les 27 districts administratifs de l’État d’Assam (Carte 5), les villages mising se trouvent principalement dans le Haut-Assam, dispersés dans les districts de Dhemaji, Lakhimpur et Sonitpur sur la rive nord ; Golaghat, Jorhat, Sivasagar

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(Sibsagar), Dibrugarh, Tinsukia sur la rive sud. Une vingtaine de villages se trouvent aussi dans les zones de plaines et de piémonts de l’Arunachal Pradesh (non indiquées sur la carte), à proximité de Pasighat, dans les districts du Lower Subansiri, de l’East Siang et du West Siang. Chaque district est administré depuis un chef-lieu où siège le Deputy Commissioner (DC office). Cet agent de l’administration est désigné par le gouvernement central et représente l’État. Il est accompagné d’un magistrat (district magistrate), d’une cour de justice (district court) et d’un bureau des panchayat du district (Jila Parishad). Chaque district est partagé en 2 ou 3 subdivisions (an.) ou tehsil (hin.). Pour le recouvrement des impôts, les districts sont divisés en revenue circles (mouzas, hin.), gérés par les mouzadar qui collectent les taxes foncières dans les villages enregistrés au cadastre : revenues villages. Pour la mise en place des programmes de développement, les services de tous les ministères (Agriculture Department, Rural Development Department, Water Resources Department, etc.) sont coordonnés dans chaque subdivision par le bureau du development block. Les « development blocks » correspondent souvent aux circles, il peut y en avoir deux par subdivision (Figure 3).

Figure 3 : Structure administrative de l’Assam et localisation des villages étudiés. Unités concernées par l’étude :

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Carte 5 : Proportion de Mising dans les districts de l’État l’Assam. Échelle : 1/ 3 000 000. Source : d’après les données du Mising autonomous council, 2011. Réalisation d’É.C. 2013.

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Inspiré de la pensée politique du Mahatma Gandhi, le gouvernement indien mit en place, en 1957, un système décentralisé de gouvernance reposant sur la démocratie villageoise, le Panchayati Raj, adopté pour l’Assam en 1959. Ce système est organisé selon une structure pyramidale d’assemblées (yat, hin.) dont cinq (panch, hin.) représentants sont directement élus par la communauté villageoise. Le système des panchayat a pour objectif de rompre les inégalités dans l’accès aux fonctions décisionnelles. C’est pourquoi des sièges sont réservés aux Scheduled Castes et aux Scheduled Tribes. Les assemblées servent de relais entre les autorités locales et les citoyens pour la mise en œuvre des projets de développement qui suivent les directives nationales du plan quinquennal. Elles sont structurées en comités hiérarchisés suivant les échelles territoriales suivantes : le Jila parishad, au niveau du district, l’Anchalik panchayat, au niveau des subdivisions et le Gaon panchayat (GP), au niveau d’un regroupement de villages. Ainsi, il existe 2 489 Gaon panchayat (GP) en Assam pour 26 247 villages (gaon, as.).

Un territoire approprié : l’espace vécu et perçu

Bien que le territoire puisse être défini comme un espace politique, juridique et administratif, il peut également être conçu comme un espace approprié par une communauté. L’usage des ressources - matérielles ou symboliques - structure le territoire et reflète l’identité collective (Smadja 2009). Ainsi, pour les représentants du Conseil de tous les étudiants mising (TMPK- Takam Mising Porin Kebang) (2006) : « Les Mising (…) ont d’abord découvert la plaine fertiles des piémonts de l’Arunachal Pradesh et peuplent (de nos jours) les berges du Subansiri et du Brahmapoutre jusqu’à Kaziranga sur la rive sud et Bhoroli sur la rive nord ».35 Les Mising vivent au bord du fleuve et en tirent les ressources indispensables à leur subsistance. Ils revendiquent un territoire autonome au travers du MAC.

Le patrimoine social, économique et culturel des sociétés s’ancre dans le territoire dans la mesure où les ressources d’un tel espace sont appropriées et gérées suivant des normes. Une société constitue en territoire l’espace qu’elle occupe en agissant sur les composantes naturelles de son milieu (minéraux, végétaux, animaux), directement (prélèvements), ou indirectement (agriculture, plantations, élevage). Ces composantes deviennent des ressources exploitées pour les besoins de la communauté (Evans-Pritchard 1940). L’espace dans lequel on se déplace pour collecter les ressources nécessaires à sa subsistance correspond au territoire d’usage. Par exemple, pour un foyer, le territoire comprend le

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The Misings, a major tribe of the North Assam branch of Tibeto-Burman family, first discovered the vast fertile plains land in the foot hills of Arunachal and along the course of river Subonsiri and Brahmaputra up to Kaziranga on the south bank and river Jia Bhoroli on the north.: TMPK, 2006, A Memorandum demanding creation of Mising Autonomous Council under the 6th scheduled of the Indian Constitution submitted by Takam Mising Porin kebang et Mising Mimag Kebang, In: Lisang - XIITh Biennal General Conference at Amarpur,

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site de la maison, ses annexes, les parcelles cultivées et s’étend jusqu’aux espaces de pâturage où le bétail est envoyé. Dans la plaine alluviale du Brahmapoutre, le territoire d’usage est donc en permanente recomposition, car les espaces changent suivant les dynamiques hydrologiques et les fermes temporaires doivent trouver chaque année de nouveaux pâturages.

L’appropriation et la gestion des territoires et des ressources peuvent faire l’objet de conflits. Pour défendre leurs droits d’accès aux ressources, certains groupes, comme celui des Mising, qui nous intéresse plus particulièrement ici, mettent en avant leurs spécificités culturelles, leur attachement au sol et construisent une identité collective pour défendre leurs intérêts.

Un territoire réticulaire structuré par les réseaux claniques

Le territoire des Mising s’est construit par l’appropriation des ressources, l’usage des espaces à l’échelle locale, mais aussi par la construction d’une identité collective et spatialisée issue des réseaux claniques. En effet, chaque famille mising est rattachée par des liens de parenté à deux des 54 clans, opin (ms.), composant la communauté. La société mising est régie suivant une règle de filiation unilinéaire selon laquelle la transmission de l’appartenance est déterminée en référence au père. Dans le contexte d’une structure de la parenté patrilinéaire et exogame, les hommes choisissent généralement leurs femmes au sein de la même tribu mais en dehors de leur clan, soit dans leur propre village s’il est composé de plusieurs clans, soit dans les villages voisins. Chaque village est composé de plusieurs lignages, mais un clan majoritaire domine. Les mariages doivent se conclure avec des clans de prédilection : ainsi les hommes du clan des Pegu se marient le plus souvent avec des femmes du clan des Doley, vise et versa. Au sein du foyer, l’homme le plus âgé de la famille prend les décisions (système patriarcal), mais les femmes jouent un rôle important dans la structuration du territoire réticulaire puisqu’elles contribuent à maintenir les liens entre les villages. Bien qu’elles quittent leur maison natale pour aller vivre dans le village du conjoint (système patrilocal), les retours fréquents dans leurs villages maternels participent au tissage de la toile d’un territoire réticulaire fondé sur les liens de parenté (Bhandari 1992 ; Baruah 2007). De « proche en proche », ces relations intervillageoises construisent le sentiment d’appartenance au territoire et contribuent à la définition de l’identité individuelle et collective.

Parmi les 54 clans existant au sein de la tribu mising, nous avons principalement suivi les familles des clans Pegu et Doley qui habitent la subdivision de Bokakhat, Majuli et Dhakuakhana, celles des Mili, Bori, Kardong, Saro de Bokakhat ; mais également celles des Payeng, Kaman et Regon de Majuli (Figure 4).

Les prénoms quant à eux sont majoritairement hindous, tels que Indreshwar, Padmeshwar, Dipti, ce qui indique que les Mising se réfèrent au système hindou qui fait sens pour eux. Ceci n’implique toutefois pas une intégration au système de castes plus large de la société assamaise.

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Figure 4 : Un territoire réticulaire structuré par les réseaux de travail, les réseaux institutionnels et