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Partie 1 Contexte, enjeux et méthodes

2.5 Cartographie culturelle et outils d’analyse spatiale

Pour collecter des informations et des connaissances sur la relation entre les communautés mising de nos zones d’étude et les processus de recompositions territoriales, nous avons employé des outils de cartographie culturelle et participative. Le protocole mis en place pour l’analyse spatiale repose sur la mise en relation de différentes sources de données : une cartographie culturelle et participative, des relevés et des croquis, des cartes et des images satellites. Les données collectées auprès des communautés de Bokakhat, Majuli et Dhakuakhana ont été croisées avec l’analyse par télédétection des images satellites SPOT et Landsat de l’occupation du sol. Un Système d’Information Géographique (SIG) fut utilisé afin de cartographier la répartition des ressources, les effets des aléas hydrogéomorphologiques ainsi que la mobilité des villages.

109 Cartographie culturelle et participative

La méthode et certains outils de la recherche participative telle que le PRA (Participative Rural Appraisal : évaluation rurale participative) et le PLA (Participative Learning and Action : apprentissage participatif et action) appartiennent à une famille d’approches, de méthodes et d’attitudes permettant aux acteurs de s’exprimer et d’analyser leurs conditions de vie (Chambers et Conway 1991 ; Lavigne Delville 2000, 2005 ; Chambers 2006, 2007). Cette démarche s’inspire du discours que Paulo Freire décrit dans son ouvrage « la pédagogie des opprimés », publié en 1968 (Freire 2000) et du champ du courant radical (post-moderne, subalterniste et post-structuraliste), tourné vers la parole des populations les plus vulnérables, laissées en marge (Spivak 1988, 2009). La représentation de l’espace est un fait culturel relatif à chaque société et à chaque perception du monde (Brody 1988 ; Fox 1998 ; Roué et Nakashima 2002 ; Roué 2003 ; Poole 2003 ; Chambers 2006 ; Benson et Twigg 2007 ; IFAD 2009 ; Hirt 2009 ; Le Tourneau 2010 ; Kienberger 2010). Cette méthode fut employée pour récolter des données auprès des habitants des secteurs étudiés pour produire une cartographie participative du territoire. Une image satellite de Google earth imprimée sur une grande feuille (format A0) fut présentée aux habitants des différentes zones d’étude puis aux élèves du collège de Majuli pour qu’ils identifient les différents éléments constitutifs de leur territoire tels que les villages, les maisons, les digues, les routes, les chemins, les zones agricoles, les zones de pêche, les espaces de pâturage, les ressources végétales, animales et minérales. De plus, les toponymes ont fait l’objet d’une attention particulière, car ils représentent des marqueurs linguistiques qui évoluent au cours du temps et apportent des informations sur l’histoire, les mythes, les caractéristiques d’un lieu et de ses usages (Smadja 2003). Les savoirs locaux et les toponymes furent ainsi intégrés dans l’élaboration d’une cartographie des perceptions sociales du milieu de la plaine alluviale. Ces cartes ont également été complétées par des transects que nous avons dessinés avec les habitants des villages de Dhakuakhana et de Majuli après avoir parcouru leurs territoires à pied, pour relever la localisation des activités quotidiennes (pêche, culture ou pâturage) pratiquées dans les diverses zones agro-écologiques suivant la micro-topographie (Guillerme 1997). Ces cartes et transects ont révélé des conflits autour des limites imposées par les autorités territoriales. Les informations relatives à l’emplacement de ressources naturelles et aux comportements des animaux sauvages sont particulièrement sensibles, comme nous l’avons constaté autour du parc national de Kaziranga. Les enjeux autour du tracé des digues et des routes sont également flagrants lorsque l’on s’attache à cartographier les zones comportant des risques, notamment les endroits où les digues se sont rompues dans le passé, les zones exposées à l’érosion, susceptibles d’être affectées de nouveau, et les zones sinistrées. La localisation des lieux de culte dévoile les zones d’influence des différents groupes religieux. Enfin, l’usage de la cartographie peut constituer un outil politique pour les communautés qui souhaitent y voir apparaître le territoire qu’elles envisagent d’administrer de manière autonome. La

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cartographie participative réalisée sur le terrain a été intégrée dans le projet SIG afin de produire une analyse croisant les perceptions des dynamiques en cours dans la plaine alluviale.

Observation du paysage

Le paysage des villages de l’étude fut analysé à l’aide d’une grille de lecture prenant en compte les caractéristiques géophysiques, l’utilisation des ressources naturelles, la mise en valeur des terres et l’organisation des noyaux villageois dans l’espace. Ces observations ont été consignées dans des carnets de croquis et de nombreuses photographies ont été prises au cours des relevés de terrains, dont certains effectués en compagnie des géomorphologues Stéphane Grivel et Fuzi Nabé. Le paysage est ce qu’un observateur perçoit en découvrant un pays, un regard porté sur un milieu ou un environnement (Brunet, Ferras et Théry 1993). Il est donc une construction cognitive, un produit social dont la synthèse émane de représentations influencées par des références (Gunnell 2009). Pour Augustin Berque, le paysage est « une empreinte », expression d’une civilisation, mais aussi « une matrice » établissant les relations d’une société à l’espace (Berque 2000). L’environnement est conçu comme un « cadre de vie », où l’homme interagit avec l’écosystème par ajustements successifs. Pour appréhender l’évolution de la perception du paysage de la plaine, j’ai relevé des éléments de description dans des ouvrages de l’époque coloniale (Shakespear 1914), dans des ouvrages d’histoire (Gait 1905) et dans des « récits de vie » collectés sur le terrain qui informent sur les événements marquants ayant bouleversé la morphologie de la région, le parcours des individus et la mobilité des villages au rythme de l’érosion des berges du Brahmapoutre.

Cartes et images satellites pour l’analyse diachronique du paysage et des territoires

Dans une perspective d’étude diachronique du territoire du XIIe au XXe siècle, les processus de transformation du territoire furent envisagés par l’étude des récits des rois ahom (Ahom buranjis) traduits en anglais par des historiens britanniques à l’époque coloniale (Gait 1905). Ces textes informent sur les étapes des migrations des différents groupes peuplant la vallée, sur les effets de la domination des Chutyia, des Ahom puis des Britanniques sur les structures territoriales. Des cartes du XIXe siècle, produites par les agents de l’administration coloniale ont été consultées dans les archives de la Royal Geographical Society et de la British Library à Londres. Elles offrent des indications précises sur les étapes de la transformation du territoire. La première carte détaillée couvrant la zone d’étude fut publiée en 1835 à l’échelle 1: 253 440, par J.B Tassin. Elle s’intitule : « Map of Upper Assam comprising the districts of Joorhat, Luckhimpore and Sudiya showing the tea tracts » (Carte 18). Puis, plusieurs cartes topographiques furent réalisées entre 1866 à 1873 par le Survey of India (SOI) pour l’« Atlas of India, Revenue and Topographical Survey » d’après les recensements du Captain J. H Willoughby Osborne, du Lieutenant Barron et de ses assistants (Carte 19). Depuis

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l’indépendance de l’Inde, d’autres cartes à l’échelle 1 : 126 000 (1952, 1966, 1972) et 1 : 25 000 (1955) furent produites par les ingénieurs du gouvernement indien dans le but de recenser les territoires des districts de Jorhat, Lakhimpur, Dibrugarh et Sivasagar (Sibsagar). Elles indiquent la localisation des villages, les lignes de berge et d’autres éléments topographiques importants et utiles dans la perspective d’une étude diachronique. Toutes ces archives cartographiques ont été géoréférencées pour constituer un référentiel spatial sous un Système d’Information Géographique (SIG).

Nous avons ensuite analysé des images satellites Landsat des années 1973, 1990, 2000 et 2010 (résolution : 30 mètres en multispectrale), et aussi des images SPOT des années 1987 (résolution : 20 mètres en multispectrale), 2007 (résolution : 10 mètres en multispectrale) et 2011 (résolution : 2,5 mètres en multispectrale) à l’aide des logiciels ENVI et ARC GIS (Annexe 3). L’objectif était d’identifier la configuration du tracé des chenaux afin d’en déduire les dynamiques et l’évolution des formes fluviales. Cette analyse permet de montrer les dynamiques hydrogéomorphologiques, la répartition, la proportion et les types de sédiments déposés par le fleuve. De plus, le traitement des images satellites les plus récentes, complétées avec les informations issues de relevés sur le terrain et de photographies, a permis de réaliser une étude précise de l’occupation du sol dans les trois zones d’études : Bokakhat, Majuli et Dhakuakhana. Les cartes exposées dans cette thèse présentent de manière synthétique ces résultats.

Bien que ces travaux soient principalement basés sur des données qualitatives, certaines données quantitatives ont pu être extraites des recensements officiels du gouvernement indien (census of india) réalisés tous les 10 ans et de ceux des ONG présentes sur le terrain, pour analyser la situation socio-économique des groupes sociaux étudiés. Pour cartographier les risques, il faudrait superposer les données concernant la vulnérabilité des populations suivant des critères socio-économiques et des données concernant la répartition spatiale des aléas. Ceci débordait le cadre de ce travail et n’a pas été fait, mais pourrait l’être ultérieurement.

Conclusion chapitre 2

Dans ce chapitre, l’ensemble des étapes de l’enquête ethnogéographique, le déroulement du terrain, les zones d’étude et les méthodes employées pour la cartographie ont été présentés afin de montrer sur quel corpus de données reposent les résultats de la thèse. Notre approche méthodologique comprend ainsi, d’une part, les méthodes de l’observation participante et, d’autre part, l’analyse des discours produits par les acteurs locaux interrogés sur la gestion des ressources naturelles et des risques. Afin d’être validées, les données obtenues ont été croisées et les points de vue énoncés furent confrontés les uns aux autres. Une distanciation continue reste indispensable pour surmonter de nombreux biais.

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Conclusion Partie 1

L’objectif de cette première partie fut de présenter les éléments du contexte, du cadre théorique et de la méthode, indispensables au développement d’une thèse portant sur les interactions entre sociétés et milieux dans la plaine alluviale du Brahmapoutre et sur les stratégies d’adaptation d’une communauté paysanne - les Mising - aux aléas hydrologiques. La présentation des dynamiques hydrogéomorphologiques du Brahmapoutre a montré l’ampleur du phénomène géophysique. Des catastrophes se produisent lorsque des événements naturels excèdent les mesures structurelles de contrôle et de maîtrise du fleuve mise en place par l’administration territoriale.

Dans la partie suivante, nous analysons les modes de gestion du milieu de la plaine par les différents groupes d’acteurs. Au-delà de l’approche « technocentriste », technocratique et bureaucratique de la gestion des risques, nous cherchons à redonner une place à la connaissance empirique et aux personnes les plus vulnérables souvent exclues de la prise de décision concernant l’aménagement de leur territoire. L’expérience du terrain m’a conduite à aborder cette problématique avec une approche théorique interdisciplinaire, systémique et critique.

113 Photo 7 : Le Brahmapoutre, février 2007.

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Partie 2 Mise en valeur d’un milieu dynamique