• Aucun résultat trouvé

Partie 1 Contexte, enjeux et méthodes

1.1 Le nord-est de l’Inde : un espace partagé

Au croisement de grandes aires culturelles

Entouré de la Birmanie à l’est, de la Chine au nord, du Bhoutan à l’ouest et du Bangladesh au sud, le nord-est de l’Inde se trouve au croisement de plusieurs grandes aires culturelles : l’Asie du Sud, l’Asie du Sud-Est, la haute Asie et l’extrême orient. Ces dernières regroupent plusieurs grandes zones linguistiques : indo-aryenne, sino-tibétaine (tibéto-birman), austro-asiatique (môn-khmère) et thaï-kadai (Siam) (Carte 2).

La Carte 2 illustre la répartition des groupes ethnolinguistiques du nord-est de l’Inde, mais elle ne pourrait suffire à présenter toute leur diversité. Chaque groupe reformule sa langue et son identité en se mêlant ou en se distinguant des autres. Certaines langues sont menacées d’extinction tandis que d’autres se créent. Les linguistes ont néanmoins répertorié plus de cent cinquante langues15

dans la région (Breton 1997 ; Moseley 2010).

Le plateau du Meghalaya est peuplé par les Khasi aux langues môn-khmers (Gurdon 2007 ; Nongkinrih 2002). Les monts Patkaï, hauteurs des frontières indo-birmanes, sont peuplés de « tribus » aux langues et dialectes tibéto-birmans, dont les Naga, les Mizo et les Kuki. Les Karbi (également nommés Mikir) parlent eux aussi une langue tibéto-birmane et peuplent le plateau des Karbi Anglong. Les hauteurs himalayennes proches du Bhoutan et du Tibet sont peuplées de groupes tibéto-birmans, les Monpas et les Sherdukpen. Plus à l’est, les versants de l’Himalaya oriental sont peuplés par les Adi

15

31

du groupe Tibéto-birman des Tani, groupe tibéto-birman dont sont issus les Mising qui nous intéressent ici. Ces derniers occupent quant à eux la plaine alluviale du Brahmapoutre. Depuis le XIIe siècle, les Mising se sont installés dans la plaine tout en maintenant des échanges économiques avec les Tani et en cohabitant avec les Chutiya, les Bodo, les Garo, les Dimasa-Kachari (tibéto-birmans) et les Ahom (thaï-siam) (Waddell 1901 ; Sen S. 1999 ; Deb 2006 ; Prakash 2007 ; Ramirez 2014). Ces groupes étaient connus dans les textes anciens du Mahabharata16 sous le nom de Kirata.

Zone d’étude. /---/ 100 km

Carte 2 : Carte ethnolinguistique du nord-est de l’Inde. Suivant la cartographie du Géoportail

Language and Location Map qui reprend les données de la carte de Breton (1997), les surfaces rouges correspondent aux langues indo-aryennes : le bengali à l’est, l’assamais (assamiya) en Assam. Les tons rose-violet correspondent aux langues tibéto-birmanes dont la population se répartit dans les

différentes chaînes de montagnes (Bhoutan, Arunachal Pradesh, Nagaland). La surface bleu clair recouvre le plateau du Meghalaya où la population parle le khasi, une langue môn-khmère. Dans la zone d’étude, la langue dominante est l’assamais. Toutefois, selon l’Unesco, les langues mising et déori, présentes au centre de la plaine, sont minoritaires et menacées d’extinction, tout comme les langues tibéto-birmanes, très nombreuses et diverses dans les montagnes. Sources : Breton 1997, Moseley 2010. Géoportail du LLMAP, carte de Breton 1997. Voir également site internet du projet ANR Brahmapoutre.

16

32

La plaine fut simultanément conquise par des groupes de langues indo-aryennes, venus du nord de l’Inde, qui remontèrent le Brahmapoutre et établirent des royaumes dans le Bas-Assam. Des vestiges archéologiques attestent de la présence de brahmanes shaktistes17 dans la région dès les premiers siècles de notre ère. Ils ont ancré leur présence dans ce territoire au cours des règnes : des Varman de 350 à 650 après J.-C. (contemporains de la dynastie Gupta du VIe siècle); des Salasthamba de 650 à 1000 après J.-C. et des Pala de 1000 à 1138 après J.-C. (Jacquesson 1999 : 215-217). Ces dynasties brahmaniques gouvernèrent le royaume de Kamarupa qui est devenu le district éponyme où siège de nos jours l’administration centrale de l’État d’Assam. Le centre de ce royaume se trouvait à Pragjyotisa, la ville actuelle de Guwahati.

Pendant que les dynasties indo-aryennes régnaient dans le Bas-Assam, à partir du XIIe siècle, les Chutiya, les Dimasa-Kachari et les Ahom formèrent d’autres États dans le Haut-Assam (Jacquesson 1999 : 239-245). Les Chutiya fondèrent leur capitale à Sadiya et régnèrent sur l’est de la vallée de 1187 à 1522, tandis que les Dimasa-Kachari dominaient à la même époque la vallée du Dhansiri, depuis Dimapur. Originaires de la Haute-Birmanie et apparentés aux Shan, du groupe ethnolinguistique thaï-siam, les Ahom18 commencèrent à pénétrer dans la vallée au XIIe siècle. À cette époque, les Shan dominaient les plaines voisines du Myanmar (Birmanie) où une riziculture suffisamment productive leur avait permis d’accumuler des richesses au sein d’un État centralisé. Pour s’enrichir, l’État shan devait mobiliser et sédentariser une main-d’œuvre paysanne nombreuse, dont le travail était régulé et contrôlé. Lorsqu’ils conquirent la plaine alluviale du Brahmapoutre, les Ahom introduisirent en Assam leurs pratiques administratives et constituèrent un nouvel État. Ils fondèrent leur premier royaume en 1228 dans le Haut-Assam. Cette dynastie influente donna son nom à l’Assam (Baruah S. L. 1985). Au XVIe siècle, les Chutiya furent confrontés aux Ahom et devinrent vassaux du roi Suhungmung Dihingia (1497-1539) en 1522. Certains d’entre eux se réfugièrent alors dans les villages mising, situés le long des piémonts himalayens et dans les collines alentour. Ils étaient voisins des territoires peuplés par des cultivateurs itinérants (essarteurs) pratiquant la défriche sur brûlis, comme les Adi (groupe Tani proche des Mising, tibéto-birman) dans l’Himalaya oriental, les Karbi dans les Karbi Anglong ou les Kachin en Birmanie (Leach 1954 ; Scott 2001). Le métissage résultant du contact entre les Chutiya et les tribus des montagnes contribua à former la communauté mising (Pegu 2005). Les clans issus de cette union s’installèrent progressivement dans la plaine où ils établirent leurs villages le long du fleuve.

17

Shaktisme : culte de la shakti, la puissance féminine s’incarnant dans Durga, Kali, Kamakhya et d’autres divinités féminines.

18

Les chroniques royales des Ahom (les buranjis), celles des rois koch et celles des empereurs moghols donnent quelques indications détaillées sur les événements qui se succédèrent à la cour des rois et sont les sources principales utilisées par les historiens pour l’étude de l’histoire médiévale de l’Assam (Gait 1905 ; Acharya 1966 ; Baruah S. L. 1985 ; Jacquesson 1999).

33

Pratiquant des cultes principalement chamaniques jusqu’au XVIe siècle, les tribus des plaines se sont hindouisées19 sous l’influence des brahmanes indo-aryens qui remontèrent le Brahmapoutre et diffusèrent leur foi (dharma) jusqu’à Sadiya (Jacquesson 1999 : 215-230). Les Ahom, suivis des Bodo, des Rabha et des Kachari abandonnèrent progressivement leur langue au profit de ce qui devint l’assamais, une langue indo-aryenne, qui se diffusa à l’échelle régionale (Gait 1905). D’après P. Ramirez : « Si la chronologie des différentes migrations est mal connue, il semble que les apports extérieurs furent continuels et que de nombreux processus d’acculturation eurent lieu dès la plus haute époque » (Ramirez 2010 : 58). Le peuplement de la plaine est donc le résultat de nombreuses vagues de migration. Selon Jean-Luc Racine : « L’Assam et ses marges constituent l’Inde du Nord-Est, formant le point d’attache du monde indien aux confins d’autres mondes asiatiques (…) dont les premiers signes s’inscrivent dans les langues comme dans les physionomies, dans les mœurs comme dans les paysages » (Racine 1996 : 248). Les groupes coexistent et composent une mosaïque ethnique complexe, comme l’expliquait Mills en 1928 : « L’Assam se situe sur l’une des plus grandes routes de l’humanité » (Mills 1928 : 24). Les différents courants de l’hindouisme, de l’islam, de l’animisme, du bouddhisme et du christianisme s’y rencontrent. Ce mélange est encore tout à fait perceptible aujourd’hui.

Malgré sa forte administration centralisée et structurée, le royaume ahom connut sa décadence vers la fin du XVIIe siècle, en raison notamment des multiples attaques des Mogholes et des Koch, puis de l’émergence d’un mouvement religieux réformateur : le vaishnavisme, initié par le guru Shankardev au XVIe siècle et diffusé par son disciple Madhabdev (Gait 1905 ; Baruah S.L. 1985 ; Jacquesson 1999). Ce mouvement religieux ébranla les structures du pouvoir lorsqu’il remit en question le système de castes des brahmanes shaktistes de la cour des rois ahom qui maintenait les paysans dans une position subalterne à la leur. Le mouvement devint populaire, car il proposait d’intégrer les paysans de toutes les tribus au sein de la société vaishnavite dès lors qu’ils acceptaient la dévotion de la Bhakti, un culte hindou prônant la vénération de Krishna (Neog 1980 : 95-153). À partir de 1817, l’État ahom fut dépassé par la guerre civile menée par des groupes d’opposants à l’intérieur et affaibli par les incursions birmanes à l’extérieur (Baruah S. L. 1985 : 302-368). Les Ahom firent alors appel aux Anglais pour rétablir l’ordre au sein de la société assamaise (Baruah S. L. 1985 : 324) et vaincre les Birmans (Baruah S. L. 1985 : 361).

La prise de contrôle du territoire du Nord-Est de l’Inde et de l’Assam par la Compagnie britannique des Indes orientales en 1826, puis par l’Empire britannique en 1856, dont les limites de

19

Muirhead-Thomson (1948 : 13-14) constatait que le processus se poursuit : Furthermore the activities of the

Hindu Mission, or Hindu sabha of Assam, were directed towards persuading backward tribesmen that they really were hindus, comme le signale F. Jacquesson (1999).

34

1907 sont présentées sur la Carte 3, ajouta de la complexité à la composition ethnolinguistique, sociale et environnementale de la région (Mc Cosh 1936 : 194).

Carte 3 : Carte du Bengale oriental et de l’Assam en 1907. Échelle : 1/ 4 000 000. Réalisé par J. G. Bartholomew. Les territoires du Bengale oriental (Eastern Bengal) et de l’Assam sont coloriés en rose tandis que les royaumes du Bhoutan, du Tripura, du Manipur et les collines Khasi sont indiqués en jaune.

35 Selon le grand-père de Pushpa Doley 20 :

Après l’invasion des Birmans, l’Assam n’existait plus politiquement et devint une position clé pour les Anglais. Les Birmans furent vaincus lors de la Seconde Guerre anglo-birmane. Le traité de Yandaboo (le 24 février 1826) donna alors le pouvoir aux Britanniques. Tandis que le royaume ahom, affaibli par les Birmans, était toujours embourbé dans la guerre civile, les Anglais remontèrent le Brahmapoutre et prirent le contrôle de la vallée.

Les Britanniques trouvèrent en Assam des terres aux sols riches propices à la production industrielle du thé et firent venir en train une main d’œuvre tribale provenant du centre de l’Inde (Bihar, Orissa, Jharkhand…) pour travailler dans les plantations. Ces ouvriers, appelés, « tea tribes », regroupent, jusqu’à nos jours, des tribus parlant des langues austro-asiatiques et dravidiennes très diverses (Shakespear 1914). Ces ouvriers furent encadrés par des Bengalis et surveillés par des Gorkhas népalais (Racine 1996). De plus, pour mettre en valeur la plaine alluviale, les Britanniques encouragèrent la venue de paysans du Bengale (Bangladesh et Bengale-Occidental actuel), du Bihar et du Népal qui s’installèrent principalement dans le Bas-Assam avec leur bétail, des buffles et des zébus. Les pâturages des bancs de sable du Brahmapoutre (sapori) et de la plaine alluviale furent des terrains propices au développement de l’élevage et de la production laitière. Les communautés koïbotras, vivant principalement de la pêche, considérées comme des basses castes, peuplaient déjà l’ensemble de la plaine alluviale du Brahmapoutre, de l’Assam jusqu’au Bengale. Puis, les guerres entre l’Inde et le Pakistan en 1947, et celle entre le Pakistan occidental et le Pakistan oriental en 1970, poussèrent des familles hindoues à quitter le Bengale. Certains de ces migrants se sont installés dans les bourgs d’Assam pour y créer des petits commerces, d’autres dans les zones rurales pour cultiver les terres. Les Assamais, dont les descendants des royaumes ahom etaient déjà bien mélangés aux autres populations, formaient le groupe linguistique dominant et gardèrent les terres les moins exposées aux inondations.

Les différents groupes linguistiques d’Assam coexistent toujours ainsi, suivant une vaste palette de formes d’organisations sociales et de modes de subsistance. Ces groupes cohabitent et échangent leurs savoirs et savoir-faire hérités de leurs territoires d’origine : la vallée de l’Irrawadi, la vallée du Gange ou les contreforts himalayens pour d’autres. Ils influent sur les manières de mettre en valeur les milieux et de gérer les inondations liées aux crues du fleuve créant des processus de compositions et de recompositions territoriales dans la plaine. Le phénomène d’échanges culturels, techniques et économiques entre les groupes tribaux et la société de langue assamaise contribuent à construire l’identité pan-assamaise.

20

Entretien réalisé le 09 février 2007 avec le grand-père (65 ans) de Pushpa Doley (25 ans) passionné d’histoire, à Polashguri (Dhansiri Mukh), Bokakhat.

36

Morcellement du nord-est de l’Inde, après l’indépendance

Bien qu’une identité pan-indienne et pan-assamaise se soit construite lors de la colonisation, les distinctions ethniques furent exacerbées par les Britanniques qui adoptèrent des politiques particulières et créèrent des frontières pour séparer les territoires de montagnes peuplés de tribus pratiquant des cultes chamaniques ou christianisées par les missionnaires, de ceux des plaines dont les habitants appartenaient au monde de l’hindouisme et de l’islam (Robinson 1841 ; Mackenzie 1884 ; Gierson 1909 ; Hamilton 1912 ; Shakespear 1914 ; Racine 1996). Ainsi, jusqu’en 1907, la ville de Tawang et son monastère était inclus dans le Tibet (Carte 3). En 1914, l’Himalaya oriental fut intégré sur la nouvelle carte de l’Inde suivant la ligne de Mac-Mahon qui fut proclamée par l’Empire britannique à la suite de la Convention de Shimla. La ligne de crête de l’Himalaya représentait une « frontière naturelle » entre l’Inde et le Tibet. Détaché du Bengale oriental et de l’Assam, ce territoire fut dès lors placé sous la seule autorité du gouverneur de l’Assam jusqu’à la création en 1955 de la NEFA délimité par l’Inner Line (North-East Frontier Agency)21. Pour les commissaires britanniques, la politique de l’Inner Line visait, entre autres, à empêcher l’absorption des tribus dans le monde pan-indien dominant, car ils constataient qu’à travers toute l’Inde les tribus étaient progressivement intégrées au système de caste (Elwin 1957 ; Bose 1997 ; Risley et Crooke 1999). Les administrateurs anglais freinaient de tels changements sociaux et préféraient laisser les missionnaires chrétiens convertir les communautés tribales (Racine 1996 : 253). Ils concevaient les tribus comme des populations différentes qui devaient être soumises à un régime spécifique. Or, cette politique reposant sur le principe de « diviser pour mieux régner » contribua finalement à alimenter les demandes d’indépendance et les mouvements sécessionnistes comme celui des Naga et des Bodo (Nag 2002).

Lors de la proclamation de l’indépendance et de la partition de l’Inde, en 1947, le Nord-est indien constituait un ensemble administratif appelé « Grand Assam ». La région se trouvait enclavée entre la Chine, la Birmanie (Myanmar), le Pakistan oriental (Bangladesh à partir de 1971), le Bhoutan et ne restait rattachée au reste du pays que par l’« isthme » du Cooch-Bihar. Bien qu’entouré de frontières internationales, le nord-est de l’Inde constitue depuis cette époque un carrefour relié à la péninsule indienne par des réseaux culturels, administratifs, politiques et commerciaux. Néanmoins, les peuples continuent à circuler en franchissant illégalement les barrières montagneuses et les frontières politiques qui restent jusqu’à nos jours très difficiles à contrôler par les États.

21

Bien que la North-East Frontier était une partie intégrante du territoire de l’Union indienne, la population de la zone ne jouissait pas de tous les droits démocratiques et des privilèges d’un citoyen jusqu’à la création de l’État d’Arunachal Pradesh en 1987 (Bose 1997). En effet, les habitants de ce territoire n’élisaient pas leurs représentants devant le parlement, les représentants y étaient nommés par le gouvernement central à Delhi, au détriment des chefs de villages reconnus par les communautés. Dans ce cadre de self-government, la population ne bénéficiait pas de dispositifs statutaires. Il n’y avait donc pas de lien « direct » entre la population et l’administration (Elwin 1957, 1958, 1965).

37

Création d’une catégorie constitutionnelle pour les tribus : les Scheduled Tribes

Lors de la rédaction de la Constitution indienne, Bhimrao Ambedkar, nommé ministre de la Justice par Nehru au sein du premier gouvernement de l’Inde indépendante, et représentant des communautés des basses castes, appelées dalit de nos jours, a insisté pour que la catégorie des depressed classes regroupe les populations qu’il considérait comme opprimées et désavantagées, qualifiées de « subalternes » par Ranajit Guha et Gayatri Spivak (Guha & Spivak, 1988). Pour cela, les populations devaient être distinguées les unes des autres par l’administration civile selon leur appartenance à la société de castes ou aux tribus.

Les « basses castes » d’une part, s’ordonnent au plus bas d’un système hiérarchique rigide de statuts fixés par la naissance, la caste dite jati en hindi, et selon un ordre « idéal » fondé sur le degré de pureté et de la souillure rituelle : l’ordre des varna (Dumont 1966), tandis que les « tribus », groupes minoritaires de tradition orale, se tiennent en dehors de la hiérarchie brahmanique varna-jati et s’organisent au sein d’un système clanique (Carrin 1996).

Prenant en considération ces éléments de différenciation, ainsi que la subalternité de ces deux groupes (basses castes et tribus) face aux castes hindoues dominantes, l’Assemblée constituante reconnut la nécessité de les inscrire dans deux catégories parallèles : celle des Scheduled Castes (SC) et celle des Scheduled Tribes (ST) (Jaffrelot 1996). Le terme de Scheduled Tribes se réfère, selon la définition officielle, aux populations isolées et en retard, dit « backward », qui font référence le plus souvent, aux populations indigènes. Ces populations sont également appelées Upajati en hindi dans le nord et Adivasi22 dans le centre de l’Inde. En revanche dans le nord-est de l’Inde, le terme Adivasi n’est utilisé que pour désigner les tribus employées dans les plantations de thé, également appelées Tea Tribes.

22

Adivasis (hin.) : adi, « commencement », et vasi, « résident de », signifie littéralement « aborigènes » : les adivasis sont les premiers occupant du sol.

38

Carte 4 : Carte politique des États du nord-est de l’Inde, du Sikkim et du Bengale occidental (West Bengal) en 2003. Échelle : 1/ 4 000 000. Réalisation de l’Oxford University Press, 2003.

39

Les tribus et les basses castes sont ainsi répertoriées sur deux listes conformément aux articles 342 et 366 de la loi sur les tribus et les castes répertoriées de 1950 - Scheduled Tribes and Scheduled Castes Order Act -, promulguée par le président de l’Union indienne, Dr Rajendra Prasad (1884-1963)23. Ces catégories s’appliquent aux populations caractérisées par un état de développement considéré comme « en retard », auxquelles l’État accorde une discrimination positive, notamment sous la forme de quotas d’emplois dans les services publics, d’inscription dans les écoles supérieures et de représentation politique (Xaxa 1999).

La Constitution indienne a finalement inventorié les Scheduled Tribes (ST) sur une liste comprenant 461 groupes dont 209 se trouvaient dans la région du nord-est de l’Inde (Xaxa 1999). Ces chiffres sont toutefois contestés, car certaines tribus souhaitent apparaître sur la liste de manière distincte. La liste pourrait ainsi comprendre plus de 635 groupes, pour l’ensemble de l’Inde, si leurs demandes étaient approuvées (Burman 2003). En outre, le statut est accordé pour des États particuliers bien qu’une ST peuple souvent plusieurs États. Les Tea Tribes, originaires du centre de l’Inde ne sont pas inscrites sur la liste des Scheduled Tribes de l’Assam alors qu’elles figurent sur celle de leurs États d’origine (Orissa, Jharkhand, Chhattisgarh). Les Mising sont inscrits en Assam et en Arunachal Pradesh, mais ceux qui se sont installés en Arunachal Pradesh après 1971, constituent une minorité non reconnue en tant que ST. Ils n’y bénéficient donc pas des droits qui sont réservés à ce statut.

Les Naga, quant à eux, réclamèrent dès l’indépendance bien plus que le statut de ST. Ils menèrent un mouvement de résistance armée contre le gouvernement central de Delhi pour obtenir leur autonomie (Hazarika 1994). Confronté à cette hostilité, le gouvernement central entreprit des débats parlementaires pour définir une politique pouvant s’appliquer aux communautés tribales résidant sur les marges du territoire national. Il en résulta la formulation du sixième amendement (Sixth Scheduled) de la Constitution indienne de 1950 (Bose 1997 : 231) qui ouvrait la possibilité de former des conseils et des territoires autonomes dans lesquels les communautés tribales pourraient gérer leurs affaires endogènes suivant leurs lois coutumières et leurs usages. Les Naga acquirent un conseil de district autonome en 1957 et, se détachant de l’Assam, ils accédèrent ensuite au statut d’État indien de plein droit, appelé Nagaland, le premier décembre 1963. Suivant le même processus, cinq autres États furent