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Partie 1 Contexte, enjeux et méthodes

2.2 Approche du terrain et présentation des zones d’études

Premier terrain, premiers résultats et premières pistes de recherche

Au cours du Master 2 Recherche « Environnement : Milieux, Techniques et Sociétés » au Muséum national d’histoire naturelle, l’objectif de la première enquête de terrain, de février à avril 2007, était d’analyser les relations entre les gestionnaires du parc national de Kaziranga et les villages mising des bordures. Les habitants furent interrogés sur les problèmes majeurs rencontrés dans l’espace qu’ils peuplent. Ils ont insisté sur les difficultés qu’ils rencontrent en tant que riverains du PNK et sur leur vulnérabilité face aux aléas du milieu fluvial, notamment en raison de l’avancée du front d’érosion. Ces entretiens nous ont permis d’affiner notre questionnement et de le situer au cœur des enjeux locaux. Des habitants de Bokakhat, Pranab Bori et Dip Bori du village de Bortika, me conseillèrent alors de me rendre sur la rive nord, à Jengraimukh (subdivision de Majuli, district de Jorhat) et à Gogamukh (subdivision de Lakhimpur, district de Lakhimpur), pour rencontrer les leaders du TMPK, qu’ils considéraient comme les meilleurs contacts pour exposer les problèmes contemporains des Mising à l’échelle régionale. En effet, les membres du TMPK, dont Ranoj Pegu, né à Bokakhat, militent depuis les années 1990 pour fonder le MAC, dont le but est de représenter la tribu mising auprès de l’État. Suivant leurs conseils, j’ai traversé le Brahmapoutre pour me rendre à Majuli afin d’interroger certains d’entre eux. Cette courte visite (une semaine) me permit également de faire connaissance avec les moines du monastère d’Uttar Kamalabari, mais aussi avec des agents des différents bureaux de l’administration territoriale chargée de l’agriculture (Agriculture Department) et de la gestion des ressources en eau (Circle Office, Water Resources Department).

L’exploration

Au cours du deuxième terrain, en janvier et février 2008, j’ai décidé d’explorer plusieurs réseaux politiques et religieux pour collecter des données, afin de mieux saisir les enjeux spatiaux s’exerçant sur les territoires du Haut-Assam. Suivant les conseils de mes informateurs de Bokakhat et de Majuli, je poursuivis mon chemin sur la rive nord du Brahmapoutre, en traversant les nombreux bras et affluents du fleuve, dont le Subansiri, pour finalement arriver à Gogamukh. Le Président du MAC, Pramananda Chayengia, était préoccupé par les travaux de reconstructions du secteur sinistré par les inondations de Dhakuakhana, et il me conseilla de me rendre au siège de l’ONG RVC (Rural Volonteer Center), située à Silapattar, pour rencontrer le directeur et les membres de l’organisation. Ceux-ci préparaient leurs activités afin de secourir les populations sinistrées par les inondations de 2007 et l’érosion des terres qui s’en suivit. Les responsables de l’ONG me donnèrent des contacts et des recommandations pour me rendre à Dhakuakhana. Ma visite du côté de Silapattar fut également l’occasion de converser avec les membres de la société littéraire mising, le Mising Agom Kebang

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(Comité de la Langue Mising), qui s’efforcent de valoriser la langue, la littérature, la culture mising et contribuent à construire ainsi l’identité de la tribu. Pour approfondir l’étude de la culture mising, ils me conseillèrent de me rendre en Arunachal Pradesh afin de rencontrer les représentants du comité central du culte de Donyi Polo (Donyi Polo Yelam Kebang), des personnalités politiques retraitées de la tribu adi et des habitants des montagnes de la subdivision du West Siang en Arunachal Pradesh, région d’où les Mising sont originaires. Cette enquête fut aussi une étape importante qui a permis de comparer les techniques agricoles et architecturales des Adi à celles employées par les Mising dans la plaine. Lors de mes premières missions, une telle connaissance du terrain semblait importante pour mes hôtes mising qui souhaitaient me montrer les spécificités de leur communauté par rapport aux communautés voisines. Je pris également contact avec des adhérents des partis politiques dont ceux du Gana Shakti (la force du peuple), du Parti National du Congrès (INC) et de l’Assam Gana Parishad (AGP) pour appréhender les discours politiques autour de l’identité et à propos de la gestion des inondations en Assam.

Photo 3 : Collecte de données et entretiens auprès d’une famille mising de Bortika, avec l’aide de Dip et de Raju, février 2007.

L’approfondissement

Le troisième terrain, en janvier 2009, m’a permis de préparer deux longues missions. Je devais trouver des contacts et déterminer les zones d’études pour m’installer dans des villages. Je décidai de suivre une piste différente du précédent terrain, et un autre réseau : celui des chrétiens et plus

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précisément l’ONG ICARD dont les dirigeants appartiennent à l’institution catholique et salésienne de Don Bosco. Dès mon premier terrain en 2007, j’avais collecté des numéros de leur revue appelée : « Pro Mising Action », consacrée à la culture et au développement rural principalement des territoires mising. Pour rencontrer les membres de cette organisation, je me rendis à Sadiya, une subdivision située à l’extrémité nord-est de l’État d’Assam dans une plaine herbeuse des piémonts himalayens entre les rivières Dibang et Lohit. Sadiya était le centre du royaume Chutiya du XIIe au XIVe siècle. Un poste-frontière y fut installé au cours de l’époque coloniale. Ce secteur est désormais principalement peuplé par des Mising qui entretiennent des contacts réguliers avec les Adi des villages voisins d’Arunachal Pradesh. Un centre de l’ONG ICARD (Don Bosco) accueille chaque année des groupes de jeunes mising pour leur offrir une formation dans le domaine du travail social.

Toutes ces rencontres furent très instructives et je commençais à comprendre les liens entre les différents réseaux, ce qui me donnait un aperçu global du territoire habité par les communautés mising. Après avoir acquis une connaissance générale du territoire et du contexte, j’ai pu délimiter plusieurs secteurs d’étude pour recueillir des données illustrant des situations variées et appréhender les stratégies d’adaptation dans des secteurs comportant des particularités hydrogéomorphologiques. J’ai donc déterminé trois secteurs d’étude : Bokakhat, Majuli et Dhakuakhana, où j’ai réalisé deux missions de six mois chacune, de juin à décembre 2009 et de septembre 2010 à février 2011. Les résultats de ces dernières sont présentés dans cette thèse.

Un dernier terrain : retour aux enquêtés

En juin-juillet 2014, je revenais en Assam pour me renseigner sur l’évolution des politiques de gestion des inondations auprès des agents du Water Resources Department à Guwahati et à Dhakuakhana et des politiques de conservation de la biodiversité auprès des agents du Forest Department à Guwahati et à Bokakhat. Je rendis visite aux familles avec lesquelles j’ai vécu plusieurs mois pour réaliser mes enquêtes, afin de leur montrer les documents audiovisuels réalisés grâce à leur soutien et à leur participation.

À Dhakuakhana, Indreshwar Pegu avait quitté son logement en location dans le bourg pour s’installer à Jonaï, Padmeshwar Pegu avait quitté sa maison de la digue de Matmora pour s’installer dans une zone moins exposée aux inondations, à proximité de Gogamukh, tandis que Nobin Doley avait quitté son village pour se rapprocher de son travail près du bourg. Certains couples s’étaient séparés et d’autres s’étaient formés, des enfants étaient nés, des jeunes et des personnes âgées étaient décédées. À Majuli, Nilakanta Pegu a élargi son école et habite dans le bâtiment annexe, tandis que ses parents n’ont pas bougé du village.

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À Bokakhat, la situation des familles de Bamun gaon n’a pas évolué, elles poursuivent leurs activités d’élevage et la pêche dans les chenaux du Brahmapoutre, malgré l’empiètement des éléphants sortant de la brume au petit matin.

Présentation des zones d’étude

Au cours des missions sur le terrain, l’enquête s’est déroulée dans trois subdivisions de la plaine alluviale du Brahmapoutre : Bokakhat, Majuli et Dhakuakhana (Carte 8). Les trois zones d’étude subissent une érosion progressive et des inondations récurrentes, endommageant les terres agricoles et les établissements villageois, forçant ainsi les communautés à se déplacer. La majorité des habitants des villages étudiés ne disposent pas de propriété foncière. Les villages ont soit perdu leurs terres suite à l’érosion, soit le cadastre n’y a pas été établi (N.C. Non Cadastral). Les activités agricoles, la composition linguistique, les pratiques religieuses et la structure familiale sont similaires, car tous les villages étudiés sont intégrés dans le réseau clanique de la tribu mising.

Cependant, ces trois zones d’étude présentent des problématiques différentes, selon les caractéristiques du milieu et les interactions avec les communautés avoisinantes.

Les communautés mising de Bokakhat, dans le district de Golaghat, sont confrontées à la politique de conservation et aux réglementations du parc national de Kaziranga. Les communautés de l’île de Majuli, dans le district de Jorhat, se trouvent sur un territoire sous influence des monastères vaishnavites au service desquelles elles cultivent les terres. Enfin, les communautés mising de Dhakuakhana, dans le district de Lakhimpur, cherchent un compromis avec les autorités territoriales concernant l’occupation des terres. Ces dernières dépendent des décisions prises par les autorités du district qui ont construit une nouvelle digue et vivent avec la mémoire des dernières ruptures de digue et la crainte des prochaines.

Dans les subdivisions de Bokakhat, Majuli et Dhakuakhana, les contextes démographiques, sociaux et culturels sont relativement contrastés (Tableau 5). Comme présenté dans le tableau 5, d’après les données du recensement de 2001, les densités de population étaient inégales puisque la subdivision de Bokakhat (hors du parc national de Kaziranga) était peuplée de 368 hab/km2, tandis que celle de Dhakuakhana hébergeait 251 hab/km2 et celle de Majuli seulement 166 hab/km2. Ces deux dernières accueillent une faible densité de population, comparée à celle de l’ensemble de l’État d’Assam (340 hab/km²).47

La densité de population de Bokakhat est probablement liée à l’accessibilité de cette zone, traversée par un axe routier majeur longeant la rive sud du fleuve, mais aussi à la relative stabilité du territoire. En revanche, les subdivisions de Majuli et de Dhakuakhana sont moins accessibles et beaucoup plus exposées aux aléas.

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Carte 8 : Carte des secteurs étudiés. Échelle : 1 / 500 000. Sources : Hydro Watersheds (USGS, WWF), Landsat 2000, Geofabriks. Réalisation d’É. C. 2012.

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Tableau 5 : Caractéristiques socio-économiques des zones étudiées. Source : Recensement national de 2001.

Bokakhat* Majuli Dhakuakhana (Part I)

Superficie 384 km

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678,76 km2 (avec Kaziranga) 924,6 km2 406 km2

Population subdivision 141 502 153 400 101 891

Densité de population (sans PNK) 368 hab/km2 166 hab/km2 251 hab/km² Unités administratives 16 Gaon Panchayat 20 Gaon Panchayat 15 Gaon Panchayat

Subdivision Villages étudiés Subdivision Villages étudiés Subdivision Villages étudiés Nombre de villages/subdivision et

échantillonnage 113 villages 6 195 villages 3 157 villages 6

Population 141 502 8 748 153 400 8 165 101 891 4 718 Nombre de foyers 27 373 1 266 25 736 1 275 17 442 712 % ST / population totale 15,45 86 44,46 86,83 39,77 91,58 % SC / population totale 8,28 0,27 14,00 6,62 8,89 0,00 Population : ratio H/F 52 / 48 52 / 48 52 / 48 51 / 49 51 / 49 51 / 49 Taux d’alphabétisation 51,13 45,31 63,22 47,84 63,77 61,82 Alphabétisation : ratio H/F 60 /40 64 / 36 59 / 41 63 / 37 57 / 43 58 / 42 Population active48 63 401 4 693 88 252 4 464 43 977 2 496

% de la pop active / population totale 44,81 53,64 57,53 54,67 43,16 52,90 Pop active : ratio H/F 62 / 38 52 / 48 55 / 45 55 / 45 58 / 42 55 / 45 H : % Travail + de 6 mois / - de 6 mois

par an 79 / 21 80 / 20 72 / 28 71 / 29 84 / 16 71 / 29

F : % Travail + de 6 mois / - de 6 mois

par an 44 / 56 48 / 52 40 / 60 32 / 68 44 / 56 47 / 53

activités agricoles 25 691 4 274 71 481 3 567 34 466 2 098

% des actifs agricoles / pop en activité 40 91 80 80 78 84

Surface moyenne cultivée / famille détenant un bail ou un titre de propriété

12 bighas (soit 1,6 hectares)

Problèmes

10 villages érodés depuis 1950 et déplacés sur les digues. Conflits entre villageois et PNK.

50 villages érodés depuis 1950 et déplacés sur les digues depuis 1998. 50 villages érodés depuis 1950. 157 villages inondés en 1998, 2007, 2008, 2009. 93 % de la population affectée. BPL (seuil de pauvreté) parmi les ST/

subdivision -- -- 60%

*Les calculs de superficie et de densité ne prennent pas en compte le parc national de Kaziranga.

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Selon le Census of India, la population totale active (Total Working Population) se définit comme l’ensemble des personnes en âge de travailler (de 18 à 60 ans) qui exercent un emploi salarié. Cette donnée ne rend pas compte de la réalité des forces de travail puisque les enfants et jeunes de moins de 18 ans, ainsi que les personnes âgées (plus de 60 ans) contribuent également au travail de la ferme.

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Dans la subdivision de Bokakhat, les ST, principalement Mising, représentent une minorité avec 15,5 % de la population, tandis que dans celles de Dhakuakhana et de Majuli, ils composent presque la moitié de la population, avec 44,5 % à Majuli49 et 40 % à Dhakuakhana. Dans les villages étudiés, la proportion de ST est supérieure à 85 % sur les trois terrains puisque l’étude se concentre sur les Mising. On peut déduire de ces données que les ST occupent en plus grand nombre les espaces les moins densément peuplés. Les SC (Scheduled Casts) sont moins nombreuses puisqu’elles représentent moins de 15 % de la population des subdivisions étudiées. À Majuli, ils cohabitent avec les Mising dans les zones exposées aux inondations (Tableau 5).

Le taux d’alphabétisation s’élève entre 50 et 64 % de la population dans les trois subdivisions. Ce taux est plus élevé à Majuli et à Dhakuakhana qu’à Bokakhat. Cette inégalité peut être liée à de nombreux facteurs. Toutefois, les habitants des villages mising étudiés sont moins alphabétisés que la moyenne. Le ratio d’alphabétisation entre hommes et femmes est le même dans les villages étudiés et dans le reste de la population, environ 60% pour les hommes et 40% pour les femmes (Tableau 5).

La part de la population active dans les villages étudiés est plus importante que dans le reste de la population, plus de 50 %. Le travail des terres du labour à la récolte, ainsi que l’élevage occupe la majorité des populations rurales, que ces travaux s’effectuent sur leurs terres ou sur celles d’une tierce personne. Le recensement considère que ces travaux occupent la population concernée plus de 6 mois par an. En comparant les données du recensement des trois zones d’étude avec le reste des subdivisions, on peut constater que les Mising sont plus nombreux à être employés en tant qu’ouvriers temporaires (moins de 6 mois) que la moyenne de la population active et les femmes mising (ST) travaillent plus de 6 mois par an et en plus grand nombre que les femmes des autres communautés (Tableau 5).

Plus de 80% de la population active des villages étudiés travaille dans le domaine de l’agriculture. Parmi eux, une partie travaille sur les terres, dont ils possèdent un titre de propriété ou un bail, et une autre sur les terres de propriétaires où ils sont employés en tant qu’ouvriers agricoles.

La rubrique « agriculture » englobe des activités très diverses telles que la culture du riz, des légumineuses, du colza, l’élevage, la cueillette, l’agroforesterie, la pêche, etc. Cette diversification de la production permet aux familles de satisfaire à leur consommation. Le riz représente la base de l’alimentation. Les surplus, ainsi que certaines activités comme la culture du colza, la production laitière ou l’artisanat sont vendus et intègrent les filières du commerce.

Environ 15% de la population des villages étudiés est composée d’enseignants, d’ingénieurs, d’élus politiques, de médecins ou d’autres professions libérales. Ces « élites » sont intégrées dans les

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classes sociales supérieures et participent souvent aux débats politiques concernant l’aménagement du territoire et la gestion des ressources.

Dans les trois subdivisions, suite à l’érosion des berges, de nombreuses familles se trouvent dépossédées de leurs terres. Dans la subdivision de Dhakuakhana, depuis 1998, 93 % de la population soit plus de 15 000 foyers ont vu leurs terres régulièrement sinistrées par les inondations et l’érosion. Plusieurs villages ont été contraints de se déplacer sur les digues, faute de terrains vacants. Les difficultés rencontrées dans la production du riz par ces groupes sans terre expliquent que plus de 60 % de la population de la subdivision de Dhakuakhana possède une carte de rationnement du PDS (Public Distribution System), un service de l’État qui donne accès à des prix subventionnés pour l’achat de denrées alimentaires de base (riz, lentilles, sel).

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