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Partie 1 Contexte, enjeux et méthodes

1.3 De la crise à la résilience d’un système socio-écologique

Progressivement, au cours du XXe siècle, la croissance démographique en Assam a augmenté la pression sur les ressources et a poussé les populations les plus pauvres, dont les Mising, à s’installer dans les zones les plus sensibles de la plaine alluviale du Brahmapoutre, sur des terres exposées depuis toujours aux crues et à l’érosion, mais malgré tout productives. C’est pourquoi, nous nous intéresserons aux conceptions des aléas hydrologiques et aux stratégies d’adaptation employées par les Mising dans un contexte de fortes contraintes administratives liées aux réglementations foncières figeant les territoires, tandis que la densité démographique ne cesse de s’accroître et que les aléas hydrologiques sont toujours plus complexes à maîtriser, surtout depuis le tremblement de terre de 1950. Comment les Mising parviennent-ils à ajuster leurs modes de vie à ces conditions socio-environnementales ?

Une crise résultant de multiples contraintes sociales et environnementales Des zones rurales densément peuplées

Les zones rurales de la plaine alluviale du Brahmapoutre sont très densément peuplées. En effet, 70 % de la population de l’Inde et du Bangladesh vit des activités agricoles, dans les espaces ruraux. Paradoxalement, c’est le long des fleuves les plus dangereux, aux plaines les plus fertiles, telles que le fleuve Rouge (Vietnam), le Yang-tsé (Chine) et le combinat Gange-Brahmapoutre (Inde et Bangladesh) que les peuplements sont parmi les plus anciens et où l’on trouve les plus fortes densités de population rurale au monde (Bethemont 2002 ; Fanchette 2004).

L’importance des rendements assure des denrées alimentaires suffisantes pour nourrir une population à forte croissance démographique36. Dans la plaine du Gange et dans le delta, où les rendements s’élève à plus de 4 T/ha, le recensement de 1941 indiquait une densité de 200 habitants par km². En Assam, face à des rendements moins élevés, le recensement indiquait une densité moyenne de 63 hab/km² pour la même année. D’après les données des Nations Unies (UNEP/Unisdr) de 2010 et du recensement de la population indienne de 2011 (Census 2011), l’écart reste du même ordre que soixante-dix ans plus tôt, puisque la densité de population en Assam s’élève à environ 400 hab/km² en moyenne, alors qu’elle est supérieure à 1000 hab/km² dans les zones rurales des plaines voisines du Gange en Uttar Pradesh, au Bihar, au Bengale-Occidental et au Bangladesh (Tableau 3, Carte 6). Des rendements rizicoles moins élevés en Assam que dans la plaine du delta voisin pourraient expliquer ces densités plus faibles.

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Selon la Banque mondiale, en 2011, la croissance démographique était de + 1,2% au Bangladesh et de + 1,4% en Inde.

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Carte 6 : Carte de la densité de population dans le nord-est de l’Inde en 2010. Échelle : 1/ 4 000 000. Sources : UNEP/Unisdr Global Risk Data Platform.

Tableau 3 : Du Grand Assam à l’État d’Assam actuel : population et densité de population. Source: Recensements (Census of India) de 1941, 1971, 1981, 1991, 2001, 2011.

Année Surface de l’État en Km² Population totale Densité hab/ km²

1941 Grand Assam 160 000 10 930 388 63 1971 130 400 14 625 000 112 1981 89 000 19 900 000 225 1991 78 550 22 294 562 283 2001 26 655 528 340 2011 32 169 272 397

Le Tableau 3 montre comment le territoire du Grand Assam de 1941 s’est réduit suite à la création des États du Nagaland en 1963, du Meghalaya, du Manipur, du Tripura, l’Arunachal Pradesh en 1972 ainsi que du Mizoram en 1987. La population totale de l’Assam a continuellement augmenté en passant de 63 hab. / km2 en 1941 à 397 hab. / km2 en 2011, puisque la surface de l’État fut progressivement remaniée et réduite à la plaine, à l’exception du massif des Karbi Anglong et des North Cachar Hills.

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Le nord-est de l’Inde est toutefois caractérisé par des densités de population très inégales. Les espaces inondables (berges et bancs de sable du Brahmapoutre) et les collines sont beaucoup moins densément peuplés, tandis que les plus fortes densités de population se regroupent dans les grandes villes, capitales administratives et économiques de chaque district de l’Assam, et dans les villes moyennes, centres administratifs et économiques de chaque subdivision. L’Assam compte sept villes de plus de 100 000 habitants : Silchar, Tezpur, Nagaon, Jorhat, Sivasagar (Sibsagar), Dibrugarh et Guwahati (Carte 4). L’urbanisation de la région se poursuit au-delà des villes, le long des axes de communication majeurs. Les fortes densités humaines et le bâti s’étirent le long des routes, des voies ferrées et des ports fluviaux qui relient les différents noyaux urbains, contribuant ainsi aux dynamiques de rurbanisation. En effet, les bourgs ruraux deviennent des centres urbains attractifs en termes d’emploi et de services.

Des crues saisonnières aux inondations

Dans la plaine alluviale du Brahmapoutre, les crues sont liées aux précipitations de mousson, tandis que les inondations constituent des aléas d’intensité variable pouvant se produire lors des crues importantes. Bien que les crues fassent partie des caractéristiques du fleuve, leur intensité et les dommages qu’elles produisent ont augmenté depuis le séisme de 1950. Les inondations constituent donc un aléa exposant les populations et les terres de la plaine alluviale à un risque naturel majeur37.

Chaque année, 9 000 km2 de terre sont inondés en moyenne en Assam, soit 12,21 % du territoire (Kotoky et al. 2005). La Carte 7 montre que le Brahmapoutre déborde dans la plus grande partie de la plaine située entre 0 et 100 mètres d’altitude, et ce jusqu’à 85 jours par an, du mois de mai

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Le risque est un objet social qu’il faut distinguer de l’aléa, processus physique. Il découle d’interactions entre des phénomènes géophysiques et des processus sociaux. Le risque peut-être défini comme la potentialité d’occurrence d’un danger, plus ou moins prévisible par un groupe social ou un individu. Le risque est la possibilité et le résultat de la combinaison entre aléas naturels, tels que les inondations ou les séismes, et l’exposition de populations plus ou moins vulnérables (Haque 1997 ; D’Ercole et al. 1994 ; Beucher et al. 2004 ; Blaikie et al. 2004). Il faut également distinguer le risque de la catastrophe. En effet, contrairement à la catastrophe, le risque relève du probable (Veyret et Reghezza 2005). Ainsi, les sociétés de la plaine alluviale sont exposées au risque de rupture de digues, lorsque celle-ci se réalise ; les communautés vivent une catastrophe, dont l’ampleur et l’intensité sont exceptionnelles, car les inondations endommagent leurs terres, leurs maisons, les voies de transport, les zones protégées, et elles ralentissent par conséquent les activités économiques. Les sociétés cherchent à diminuer les risques pour empêcher la catastrophe de se produire par la mise en place de mesures de prévention. Le risque dépend du degré d’exposition que chaque société est prête à accepter suivant l’époque et le lieu (Hétu 2001), mais c’est aussi une construction socio-politique qui renvoie à des systèmes de pouvoirs imbriqués en réseaux sur un territoire (Douglas et Wildavsky 1983 ; November 2002 ; November 2011). Chaque groupe d’acteur (communautés paysannes, institutions étatiques et Organisations Non Gouvernementales) construit sa propre conception du « risque ». Celle-ci joue un rôle majeur dans la mise en place ou non de politiques de prévention ainsi que dans les stratégies d’adaptation et d’ajustement des populations peuplant les espaces exposés aux aléas (White 1974 ; Haque et Zaman 1993 ; Oliver-Smith 1999). Mais les discours autour des risques peuvent être également employés afin de dominer les territoires. Ces conceptions et ces discours influencent les façons d’agir et les pratiques des autorités territoriales, comme nous pourrons le voir dans le chapitre 6.

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à celui d’octobre. En Assam, les affluents issus de l’Himalaya oriental contribuent à l’engorgement du fleuve et aux débordements dans la plaine alluviale.

Carte 7 : Carte des zones inondables au nord-est de l’Inde. Échelle : 1/4 000 000. Sources : SRTM 90 mètres, Hydro Watersheds (USGS, WWF), UNEP/GRID-Europe Unisdr, Global Risk Data Platform, 2011. Réalisation d’É.C. 2012.

D’après les données du Water Resources Department, avant 1950, les plus grandes crues du Brahmapoutre furent celles de 1897, 1910, 1911, 1915, 1916, 1931 ; puis après le tremblement de terre, celles de 1950, 1954, 1962, 1978, 1980, 1984, 1987, 1988, 1998, 2004, 2007 (Photo 2), 2008 et 2012. La récurrence des crues est annuelle, mais on peut estimer que les inondations importantes se produisent en moyenne tous les cinq ans (Figure 5). Plus de 3,5 millions d’hectares furent inondés en 1988 ; 1 million en 1993 ; 1,4 million en 199838 ; 2,5 millions en 2004 et 1,5 million en 2008. Les dommages produits sur les infrastructures publiques et les biens de plus de 15 millions de personnes en Assam représentent des coûts importants pour les collectivités et les foyers (Kotoky et al. 2005).

38 L’inondation de 1998 fut un événement majeur en Assam, mais également au Bangladesh qui a vu le niveau des trois fleuves (Gange, Brahmapoutre et Meghna) augmenter jusqu’à inonder près des deux tiers du pays, tandis que le niveau de la mer s’élevait, créant un reflux des eaux dans la baie du Bengale. Elle dura 65 jours, causant des dégâts, dommages et souffrances sur de grands espaces (Kholiquzzaman et Qazi 2006).

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Figure 5 : Surfaces inondées en millions d’hectares et coûts des dommages causés dans l’ensemble de l’État d’Assam. Sources : India water portal - http://www.indiawaterportal.org/articles/state-wise-data-damage-caused-due-floods-during-1953-2011-compilation-central-water

Photo 2 : Les repères marqués sur les pilotis de cette tour d’observation du parc national de Kaziranga indiquent que les crues les plus importantes au cours des 35 dernières années furent celles de 1979, 1980, 1987, 1988, 1998, 2004 et 2007.

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En 2012, la presse a annoncé qu’environ 1,9 million de personnes appartenant à plus de 1 727 villages (cf. Annexe 1) étaient touchées dans 27 des 30 districts de l’État. Au mois d’août de cette même année, 42 brèches dans les digues du Brahmapoutre et de ses affluents laissèrent l’eau de crue submerger 9 000 km2 de terres cultivées (moyenne annuelle) et plus de 4 500 villages39. Les enjeux sont toujours plus considérables en raison de la densification du peuplement dans les zones exposées aux inondations.

Quoi qu’il en soit, les dommages liés aux inondations sont surtout liés à la vulnérabilité des populations. Selon D’Ercole en 1994 : « Si les catastrophes sont si dévastatrices dans les pays en voie de développement, ce n’est pas seulement à cause des diktats de la « Nature », c’est surtout en raison du niveau d’exposition excessif dans lequel se trouvent les populations les plus pauvres » (D’Ercole et al. 1994). Ainsi, la vulnérabilité est le résultat de processus sociaux, souvent liés à la marginalisation d’un groupe au sein d’un territoire et d’une société où les discriminations renforcent les inégalités. Inégalités et vulnérabilité

Au sein des territoires ruraux les plus peuplés, on constate d’importantes inégalités socio-économiques40. Ces inégalités exercent une influence significative sur le degré de vulnérabilité des différentes communautés peuplant la plaine alluviale du Brahmapoutre. Les relations de classes et les structures de domination, les niveaux d’appropriation et de contrôle des moyens de production et de subsistance déterminent les capacités à surmonter les catastrophes. En effet, les communautés les plus exposées aux inondations sont souvent les plus pauvres, car les efforts mis en œuvre par des travaux collectifs sont anéantis par les inondations.

La notion de « vulnérabilité » est utilisée pour désigner un état de fragilité, une propension à subir des dommages ou une faible capacité d’une société à faire face à des événements désastreux. Certains groupes sociaux sont plus exposés que d’autres. Générée par des processus sociaux, la vulnérabilité des individus résulte d’une marginalisation qui s’opère à différents niveaux : mise à l’écart géographique (habitats dans des zones menacées par des aléas naturels ou technologiques), sociale (appartenance à des groupes minoritaires), économique (pauvreté et chômage) et politique (faiblesse de la représentation) (Blaikie et Brookfield 1987 ; Blaikie et al. 2004 ; Gaillard 2007). Elle

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Données du 21 août 2012 diffusées par Reliefweb.int, un service d’information en ligne sur les actions humanitaires coordonnées par l’OCHA (Office for the Coordination of Humanitarian Affairs).

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Il serait intéressant de cartographier les inégalités sociales pour valider l’hypothèse selon laquelle les cellules familiales les plus pauvres résident dans les espaces les plus affectés par les inondations et l’érosion des terres. Un tel travail n’a pas été réalisé dans le cadre de cette thèse en raison de l’absence d’un fichier géoréférencé des limites de villages (gaon, as.) auquel il serait possible d’associer les données socio-économiques du recensement.

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désigne aussi bien des situations individuelles et collectives, des fragilités matérielles et morales, des personnes, des choses ou encore des territoires (Revet 2009a).

Le concept de vulnérabilité est intimement lié à celui de moyens de subsistance, dans le sens où il relève de l’accès difficile ou inégal aux ressources. Plusieurs facteurs sont susceptibles d’amplifier la vulnérabilité, notamment la pauvreté, l’insécurité alimentaire, la tendance à la mondialisation de l’économie, les conflits en cours, ou encore la passivité des populations. L’étude du niveau de vie à l’aide d’indices de pauvreté et de développement humain (IDH) 41, élaborée notamment par Amartya Sen et Jean Drèze (1999), montre aussi que les plus pauvres sont les plus exposés aux risques.

Ainsi, en Assam, classé d’après son IDH au 16e rang parmi les 28 États de l’Union indienne, le revenu par habitant est inférieur de 43 % à la moyenne nationale en 2003 (PNUD 2003). 69 % de la population totale travaille dans le secteur agricole dans le district de Golaghat et 81 % dans ceux de Jorhat et de Lakhimpur (Annexe 2 : Données socio-économiques à l’échelle du district). 59 % de la population de l’État d’Assam42 et de ces districts vit en dessous du seuil de pauvreté (Below Poverty Line - BPL43). D’après les mêmes données, parmi les Mising, 60 % de la communauté se trouve sur la liste des BPL. Selon le Planning Commission of India, un foyer est considéré comme BPL s’il n’a pas d’emploi permanent et que ses revenus ne peuvent satisfaire une consommation minimum de 2 400 Kcal par jour et par personne dans les zones rurales et 2 100 Kcal dans les zones urbaines. Toutefois, l’établissement des listes des BPL par les autorités territoriales est contesté par les habitants, car il ne prend pas en compte la situation des familles démunies et dépossédées de leurs terres à la suite des inondations et de l’érosion. De plus, selon Padmeshwar Pegu, enseignant retraité de Dhakuakhana, en juillet 2009, les familles se considèrent comme « pauvres » lorsqu’elles n’ont pas de terre, mais aussi, lorsqu’elles n’ont pas une source régulière de revenu, un bateau pour se déplacer pendant les inondations, les moyens de prendre deux repas par jour, de produire ou d’acheter de la bière de riz (apong), d’inviter toute leur communauté à célébrer les rituels et les fêtes, d’entretenir leur maison, de la reconstruire ou de la réparer. Dans les territoires les plus isolés de la plaine inondable, la pauvreté

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L’Indice de Développement Humain (IDH) est un indice statistique composite, créé par le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en 1990. Il sert à évaluer le niveau de développement des pays du monde. L’IDH se fonde sur trois critères majeurs : l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie. Cet indice a été développé notamment par Amartya Sen. Il faut noter que les notions de pauvreté et de seuil de pauvreté sont sujettes à débat car il est difficile d’évaluer les productions destinées à l’autoconsommation.

42 D’après les données fournies par le site web du Panchayat and Rural development Department Governement

of Assam (http://pnrdassam.nic.in/) et selon le recensement des BPL (Below Poverty Line) réalisé en 1998,

parmi les 3 412 506 familles recensées en zone rurale, 2 028 058 foyers (soit 59,43 % de la population) vit sous le seuil de pauvreté. 259 316 familles appartiennent au groupe des SC et 428 337 familles à celui des ST.

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En Inde, 450 millions de personnes sur 950 millions se situaient en 1999 sous ce seuil. Des mesures plus qualitatives de la pauvreté sont utilisées également pour la recherche ou les programmes gouvernementaux, qui tiennent compte entre autres du niveau d’éducation et de l’espérance de vie, de la propriété et de la profession (Saglio-Yatzimirsky 2002 ; Drèze et Khera 2010).

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est aussi accentuée par la défaillance de l’État lorsqu’il s’agit de réduire les impacts des inondations par l’organisation des services, des aides sociales et des infrastructures publiques. Les ménages disposant de capitaux humains et financiers supérieurs au seuil de pauvreté (Above Poverty Line - APL) ont la capacité de répondre aux contraintes en construisant des stratégies spatiales complexes et mobiles, combinant des activités agricoles, artisanales et autres (travail ouvrier, commerces et services).

Les institutions publiques, responsables des régulations sociales et économiques, sont chargées d’atténuer les inégalités sociales. Dans le cadre de stratégies de lutte contre la pauvreté rurale, les politiques de développement appliquées aux territoires ont pour mission de résorber la précarité des ménages, et ainsi de réduire la vulnérabilité des communautés en marge. Toutefois, les opérations de développement ayant des objectifs économiques sont critiquées, car elles imposent un modèle hégémonique sans prendre en compte les dimensions sociales et culturelles (Escobar 1997 ; Olivier de Sardan 2001).

Crise de la conception « moderne » de l’eau

Dans la plaine alluviale du Brahmapoutre, les eaux de crues ne constituent pas un facteur de crise, car elles sont au contraire bénéfiques pour la fertilisation des terres et la recharge des zones humides en ressources halieutiques. En revanche, les inondations bouleversent les communautés villageoises en submergeant les champs et en anéantissant les récoltes. L’érosion emporte les terres des villages et prive les habitants de leur lieu de résidence. La crise résulte donc surtout d’un contrôle inapproprié du milieu fluvial par l’endiguement et d’une administration inadaptée des terres par la délimitation des revenues villages sur des plans cadastraux. L’eau est ici considérée dans sa dimension sociale (Swyngedouw 2009) et se trouve au cœur d’une crise de « l’eau moderne » comme le propose Jamie Linton (2010). Car les sociétés « modernes », au sens de Bruno Latour (1997), distinguent l’« Eau », tout comme la « Nature », des « Sociétés ». Une telle conception dichotomique guide pourtant les politiques publiques de gestion des risques, des aléas et de la vulnérabilité qui interfèrent sur le cycle hydrosocial. Pour Jamie Linton (2010), le « cycle hydrosocial » reconnait que les processus hydrologiques dépendent des activités humaines et des institutions. L’Eau est considérée comme un objet culturel et politique. Ce concept permet d’analyser la nature socio-écologique de l’eau où interagissent les institutions, les Mising et le fleuve.

Perception du risque, des aléas et de la vulnérabilité : une conception dichotomique conduisant à une crise des relations entre le fleuve et ses habitants

Les sociétés de la plaine alluviale sont exposées au risque de rupture de digues et aux inondations consécutives, dont l’ampleur et l’intensité sont exceptionnelles, car les inondations endommagent tout autant les biens privés (les terres, les maisons) que les espaces publics (les voies de

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communication ou des zones de conservation de la vie sauvage). De telles catastrophes ralentissent les activités économiques, car la perte d’une récolte présente un coût pour les paysans, tandis que la destruction d’un pont empêche les échanges et implique la mobilisation de nouveaux fonds publics pour la reconstruction.

L’intervention des États et des Organisations internationales (OI) dans le cadre de la gestion des risques et des catastrophes s’est renforcée dans les années 1970 avec la naissance d’ONG internationales telles que Médecins sans frontières (MSF). Depuis, les ONG et les OI organisent des secours humanitaires dans l’urgence pour venir en aide aux populations des zones affectées par des catastrophes naturelles. Les médias diffusent l’information et sensibilisent le grand public ce qui permet des levées de fonds par le mécanisme des dons et pousse les OI à intervenir. Au cours de la Décennie Internationale de Réduction des Risques Naturels (DIRN), de 1990 à 2000, la thématique des désastres fit l’objet de discussions collectives visant à définir une stratégie internationale de réduction des catastrophes (International Strategy for Distaster Reduction)44. Au sein de l’ONU, les débats ont fait émerger de nouvelles approches pour la gestion des risques, passant du paradigme urgentiste à celui de la prévention et de l’anticipation des événements par des mesures de préparation des populations vulnérables aux catastrophes naturelles. Or, la gestion des catastrophes telles que les inondations récurrentes en Inde et au Pakistan, le tsunami de 2004 en Asie du Sud-Est, l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans en 2005, le tremblement de terre de 2010 en Haïti, montre bien la difficulté et les limites de la mise en œuvre des nouveaux paradigmes.

Pourtant, la conférence des Nations Unies de Yokohama en 1994 sur la réduction des catastrophes naturelles insistait sur la nécessité de stimuler la participation des populations à tous les niveaux des programmes de gestion des catastrophes, pour réduire leur vulnérabilité. Pour A. Agrawal