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Chapitre 1 : Le contexte de notre recherche : la séquence ERC et les mesures compensatoires

2. Les enjeux d’opérationnalité des méthodes dans la littérature scientifique

2.3. Les mesures compensatoires, un sujet de société

La compensation écologique et les notions d’équivalence écologique et d’absence de perte nette (voire de gain net) qui lui sont associées font l’objet de controverses (Devictor, 2018 ; Moreno-Mateos et al., 2015) et peuvent donner matière à discussions et à différentes interprétations ( Bull, Gordon, et al., 2016 ; Bull et al., 2013 ; Quétier et Lavorel, 2011). En outre, les mesures compensatoires concernent la biodiversité protégée d’une façon ou d’une autre (zones humides, listes d’espèces et d’habitats protégées, zone Natura 2000), donc la biodiversité « mesurée », « perdue » ou « gagnée » est reliée à des valeurs humaines (Moreno-Mateos et al., 2015). De même, le choix des références à partir desquelles sont calculées pertes et gains correspond aux choix de la politique de conservation. Alors que les écosystèmes ne sont pas substituables, mettre en œuvre le dispositif de la compensation implique d’accepter que certaines pertes sont inévitables, la définition du type de perte « acceptable » dépend de choix sociétaux (Maron et al., 2016 ; Gardner et al., 2013). Enfin, Bull, Lloyd, et al. (2016) et Maron et al. (2016) proposent, de manière originale, de tenir compte dans les calculs d’équivalence de considérations sociales ou éthiques, par l’utilisation de coefficients multiplicateurs spécifiques.

Ces publications nous alertent sur le fait que des acteurs de terrain amenés à collaborer sur un projet peuvent avoir des positions ou des interprétations différentes. Cela peut rendre l’application de la séquence ERC plus compliquée que prévu en l’absence de méthodes normalisées et solides sur le plan scientifique, ou bien constituer un obstacle à l’adoption d’une méthode qui ne coïnciderait pas avec le point de vue de l’utilisateur potentiel. Ainsi, ces questions font partie intégrante des enjeux liés à l’utilisation des méthodes.

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2.4.

Conclusion

Il ressort de l’analyse bibliographique des articles traitant de la séquence ERC et plus particulièrement des méthodes d’évaluation de l’équivalence écologique et de l’absence de perte nette de biodiversité que :

- Les enjeux opérationnels des méthodes sont quasiment absents de la littérature scientifique

- La nécessité de méthodes d’évaluation en France est un constat partagé dans la communauté scientifique et renforcé par les dernières études relatives à la mise en œuvre des mesures compensatoires en France

- Les questions relatives à la compensation écologique ne sont pas uniquement des questions d’ordre scientifique mais aussi des questions de société dont la nature est à prendre en compte dans les enjeux d’opérationnalité des méthodes.

En outre, les enjeux technico-scientifiques (cf. encadré 3) sont particulièrement complexes dans un contexte d’incertitude liée à l’insuffisance des connaissances scientifiques et à la nature même des objets considérés. Cela nous conduit à supposer particulièrement contraignante l’exigence d’opérationnalité que nous associons aux méthodes.

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Encadré 3 : Les principales recommandations techniques sur l'évaluation des mesures compensatoires issues des publications scientifiques

Les concepts d’équivalence écologique, de pertes et de gains ne sont pas clairement fondés sur le plan scientifique (Devictor, 2018) et cela rend d’autant plus complexe la construction de méthodes d’évaluation. Pour autant, de nombreux travaux font état de recherche autour de ces notions et font des recommandations sur leur interprétation et sur les modalités d’évaluation.

Les pertes et les gains peuvent concerner la biodiversité mais aussi des fonctions ou des services écosystémiques (Bull et al., 2013). Mesurer les pertes et les gains implique de choisir des indicateurs et des métriques. Puis de les exprimer dans une unité ou une autre (unités de compensation, habitat/hectare, etc.). Leur choix est particulièrement crucial car il influe sur le résultat, en mettant davantage l’accent sur la perte ou le gain d’un composant ou d’un autre.

Il existe de nombreuses possibilités de choix d’unités de mesures et de métriques. Les scientifiques s’accordent pour exclure de mesurer pertes et gains par la surface d’emprise (Quétier et Lavorel, 2011) et préfèrent proposer des panels de variables pour les qualifier (Gonçalves et al., 2015). Dans ce cas, leur choix doit être guidé par les composants de la biodiversité que cible la compensation (Quétier et Lavorel, 2011). En outre, pertes et gains s’évaluent par rapport à une référence écologique : trajectoire de la biodiversité stable ou déclinante ; état écologique d’écosystème naturel ou plus ou moins anthropisés (Bull et al., 2013 ; Sutula et al., 2006). Cette référence doit être explicite. Son choix est particulièrement crucial dans la mesure où il détermine le niveau de pertes et de gains (Maron et al., 2015; Bull et al., 2013).

Les recommandations de ces différents auteurs portent également sur la prise en compte de la durée des mesures compensatoires par rapport à la durée des impacts (le plus souvent irréversibles) : leurs effets doivent durer tant que les impacts sont effectifs. Le décalage temporel entre les impacts et les mesures compensatoires est également à prendre en compte. En effet, certains écosystèmes peuvent mettre beaucoup de temps à se former (cas des écosystèmes forestiers par exemple) ; ainsi même si les mesures compensatoires sont mises en œuvre au moment du démarrage des travaux d’aménagement, il y aura toute une période pendant laquelle l’écosystème impacté aura été détruit et l’écosystème de compensation n’aura pas encore atteint le stade voulu (Moreno-Mateos et al., 2015). Il est également question des incertitudes sur les trajectoires écologiques, rendant incertains les bénéfices attendus des mesures compensatoires (Bull et al., 2013). Ces incertitudes sont accrues par le manque de connaissances en biologie de la conservation et en restauration écologique, ces disciplines scientifiques étant jeunes, ainsi que par l’inévitable décalage entre récentes avancées scientifiques et déploiement en pratique (Calvet, Napoleone, et al., 2015).

Enfin, Bigard et al. (2020) préconisent une approche de la compensation à l’échelle territoriale plutôt qu’à l’échelle des projets pour pouvoir mettre davantage l’accent sur les étapes de réduction et d’évitement.

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