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Chapitre 2 : Démarche de recherche

1. Choix d’un cadre conceptuel

1.3. Bilan et choix du cadre conceptuel

Nous tirons de l’étude de ces quatre cadres conceptuels les conclusions suivantes.

1.3.1. Les sciences de gestion : un cadre inapproprié à notre recherche

Le modèle proposé par les sciences de gestion ne correspond pas à notre cas d’étude. Il ne nous semble pas approprié d’assimiler le réseau des acteurs de la mise en œuvre de la séquence ERC à une organisation, dans la mesure où ils appartiennent en réalité à des organisations différentes et indépendantes (bureau d’études, aménageurs privés ou publics, services de l’État). Et si nous assimilons le réseau qu’ils forment lors du développement d’un projet à une organisation, alors cette organisation n’a pas de contours formels comme peuvent l’avoir une entreprise, une administration, une association ; les membres de cette organisation sont changeants d’un projet à l’autre (aménageurs et bureaux d’études différents) et la finalité des uns et des autres est différente.

D’autre part, considérer les ME comme un outil de gestion signifierait qu’on les considère comme des outils permettant de piloter la mise en œuvre de la séquence ERC, avec une visée performative. La question de recherche serait dès lors « est-ce que les ME sont efficaces pour le respect de l’absence de perte nette de biodiversité ? », et l’organisation serait à envisager à l’échelle d’un territoire (la région, la France). Cette question, bien qu’intéressante, ne correspond pas précisément à notre question de recherche. Nous choisissons donc d’écarter les sciences de gestion de notre choix de cadre théorique.

1.3.2. La sociologie de l’objet : une approche partielle de notre question

La sociologie de l’objet apporte une grille de lecture intéressante en considérant les ME comme un objet-frontière entre experts et acteurs de la mise en œuvre de la séquence ERC. Elle peut nous aider à comprendre certains enjeux des relations entre les uns et les autres. Mais elle ne rentre pas dans le cœur des questions qui nous intéressent : l’utilisation de l’objet, sa conception et son adaptation à l’utilisation. En outre, sa portée davantage descriptive nous semble d’un apport limité pour proposer des solutions en lien avec la recherche-action.

1.3.3. La sociologie de l’innovation : une définition à retenir

La sociologie de l’innovation se rapproche davantage de notre problématique en s’intéressant au processus de conception d’un objet-technique. Mais là encore, si le cadre d’analyse proposé nous permet d’attirer notre attention sur certains enjeux comme la traduction ou les controverses, nous n’y trouvons pas de quoi répondre à nos questions. Nous retiendrons cependant la définition de l’objet-technique proposée par Akrich : « rapport construit entre » le « dispositif matériel » et « l’ensemble des usages qu’il remplit » (2013, p. 160).

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1.3.4. L’ergonomie : un cadre conceptuel adapté

C’est finalement l’ergonomie qui par sa finalité-même nous semble la plus appropriée pour répondre à nos questions de recherche. En effet, « pour l’ergonome, le fonctionnement de

l’homme et son activité en situation constituent des contraintes qui doivent être intégrées par les concepteurs » (Béguin, 2004, p. 376). Cette affirmation va dans le sens de notre hypothèse

initiale n°4. En outre, Rabardel (1995) dénonce l’approche techno-centrée qui a longtemps prévalu. Cette position va dans le sens de nos observations réalisées sur les publications scientifiques traitant des ME présentées au chapitre 1 : les articles traitent en grande majorité d’aspects techniques. Il préfère d’ailleurs le mot « instrument » au terme d’objet technique. Il le définit comme l’addition d’« un artefact matériel ou symbolique produit par le sujet ou par

d’autres » et d’ « un ou des schèmes d’utilisation associés résultant d’une construction propre du sujet, autonome ou d’une appropriation de schèmes d’utilisation déjà formés extérieurement à lui » (Ibid., p.117-118). Cette définition, ainsi que la définition d’Akrich sur

les « objets-techniques » met en évidence qu’un outil ne se réduit pas au dispositif technique proprement dit.

Dans le cas des ME, on ne peut pas les considérer uniquement sous l’angle des données d’entrée, des indicateurs biophysiques, et des formules de calcul. L’usage qui en est fait, par qui les ME sont utilisées et dans quel contexte ont tout autant d’importance, ce qui conforte et légitime l’intérêt de nos travaux de recherche.

Dans cette perspective, nous considérerons dans la suite de notre analyse que les ME relèvent de deux dimensions (Cf. figure 11) :

- Une dimension technique, - Une dimension opérationnelle.

La dimension qui fait l’objet de nos travaux de recherche est la dimension opérationnelle.

Desvousges et al., 2018

Bidaud et al., 2015 Dalang et Hersperger, 2010 Bezombes et al., 2017 Cochrane et al., 2015 Moilanen et al., 2009 Bull et al., 2014b

Laitila et al., 2014 Gonçalves et al., 2015

Levrel et al., 2012 Overton et al., 2013 Rowe et al., 2009 Carreras Gamarra

et al., 2018

Bull et al., 2013 Bradford, 2017

Yu et al., 2017 Quétier et Lavorel, 2011

Bull et al., 2016

Sahley et al., 2017 Koh et al., 2017 Maron et al., 2015 Bezombes et al., 2018 Carver et Sullivan, 2017 Moreno-Mateos et al., 2015

Maseyk et al., 2016 Miller et al., 2015 Mann, 2015 Bas et al., 2016 Habib et al., 2013 Bull et al., 2014a

Opérationnelle

Technique

ME

Ergonomie

(cadre conceptuel)

Abondance de littérature sur la dimension technique des ME

(Cf. tab. 2 en annexe)

Figure 11 : Les dimensions opérationnelle et technique des ME (conception : A. Mechin)

En outre, l’ergonomie permet d’adopter une posture proche de la recherche-actio ;n (Barbier, 1996). En effet, l’analyse ergonomique des situations de travail ou des interactions homme-

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machine a une finalité d’intervention (Darses et Montmollin, 2012b ; Daniellou et Béguin, 2004), soit par la production de normes ou recommandations d’ordre général à prendre en compte dans la conception, soit par la proposition de solutions spécifiques visant à améliorer les conditions de travail dans une situation donnée.

Ainsi, s’inscrire dans le cadre théorique de l’ergonomie nous permet d’une part, de mieux décrire et comprendre les ressorts de nos interrogations de recherche et d’autre part, d’utiliser les outils et méthodes de l’ergonome, pour être en mesure de proposer et tester des solutions d’opérationnalisation des ME (c’est-à-dire de transformer une ME réelle).

Enfin, géographie et ergonomie nous semblent avoir une proximité qu’il est intéressant de souligner. En effet, ce sont toutes deux des disciplines s’intéressant aux interactions entre des hommes et leur environnement. Si la géographie cherche à comprendre « les interactions

sociétés-milieux » (Gautier et Pech, 2016, p. 336), l’ergonomie, elle, s’intéresse aux

interactions entre les hommes composant ces sociétés et leur environnement de travail. Ainsi, il serait possible de conclure à une certaine logique ontologique s’agissant de recourir à l’approche ergonomique pour traiter de notre question géographique relative à l’amélioration de la protection de la biodiversité dans l’aménagement du territoire.

Nous présenterons le champ de l’ergonomie plus en détail dans la partie suivante, en regard avec notre questionnement de recherche.

Encadré 5 : recherche bibliographique sur la mention de l'ergonomie dans des publications ayant trait à la biodiversité

Est-ce que l’ergonomie est utilisée dans la conception d’outils du domaine environnemental ?

Nous faisons une requête très large dans Web of science pour identifier les articles où se trouvent à la fois les mots « biodiversité » et « ergonomie » (ou human factor en anglais). Nous obtenons à peine dix résultats :

- 2 publications qui relatent des études ergonomiques mais sans rapport avec les outils qui nous intéressent,

- 1 étude qui relate le test d’un outil tel que ceux que nous étudions et qui mentionne l’exigence ergonomique en introduction mais sans que l’article traite de la question - 7 articles hors sujet.

Nous concluons que notre approche est originale dans notre champ d’étude. Requête Web of Science (10/10/2019) :

TS =(((ergonom*) OR ("human factor")) AND biodiversity) DocType=All document types; Language=All languages;

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