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Chapitre 2 : Démarche de recherche

3. Notre démarche d’analyse

3.1. Analyse des pratiques

Notre démarche de recherche s’appuie sur la collecte et l’analyse de données réalisées dans un cadre s’inspirant de la méthode d’analyse de l’activité présentée un peu plus haut.

3.1.1. Quelles données collecter ?

En premier lieu, il s’agit de déterminer quels sont les opérateurs et les tâches associées à étudier pour analyser l’activité qui en découle (Cf. figures 17 et 18). L’activité qui nous intéresse s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la séquence ERC, et plus précisément du dimensionnement des mesures compensatoires, de l’évaluation de l’atteinte de l’équivalence écologique et de l’APN au cours du processus de développement du projet d’aménagement jusqu’à l’obtention de l’autorisation.

Notre connaissance du contexte de la séquence ERC nous conduit à choisir les opérateurs suivants :

- les aménageurs qui sont en charge de la mise en œuvre de la séquence ERC,

- les bureaux d’études qui les accompagnent de leur expertise pour cette mise en œuvre,

- les services de l’État qui instruisent ou expertisent les dossiers d’autorisation dans lesquels les aménageurs expliquent comment ils mettent en œuvre ERC.

Les tâches des uns et des autres concernent la mise en application de la séquence ERC. Nous ciblons, dans nos travaux plus particulièrement le dimensionnement des mesures compensatoires et la démonstration de l’évaluation de l’équivalence écologique c’est à dire de l’atteinte de l’objectif d’absence de perte nette de biodiversité, tâche qu’il est recommandé de réaliser au moyen de ME, comme indiqué dans le chapitre 1.

Le triangle de l’activité adapté de Darses (2016) et de Leplat (2008) se décline de la façon suivante dans notre cas d’étude :

Contexte :

Du développement d’un projet d’aménagement à l’obtention de l’autorisation administrative Activité: Dimensionnement des mesures compensatoires Opérateurs: Aménageurs Bureaux d’études Services de l’Etat

Figure 18 : Triangle de l'activité appliqué à notre contexte de recherche : le dimensionnement des mesures compensatoires

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Enfin, il convient de déterminer quelle est la finalité de l’analyse : que cherche-t-on à savoir ? L’objectif est de pouvoir caractériser l’opérationnalité des ME en répondant aux questions suivantes :

- Quelles opérations doit permettre d’accomplir une ME pour être utile à ses utilisateurs, quels usages peuvent être faits d’une ME ?

- Quels critères doivent-elles respecter pour être utilisables et acceptables sur le plan socio-organisationnel ?

- Qui sont les utilisateurs ? dans quels contextes travaillent-ils ? Avec quels moyens et quelles contraintes ?

3.1.2. Techniques de collecte de données

Les techniques de collecte de données sont essentiellement issues des techniques mobilisées en sociologie, discipline participant à l’ancrage de l’ergonomie (Darses et Montmollin, 2012b). Elles combinent études de cas et entretiens, dans l’idée que « diversifier les méthodes, c’est

croiser les éclairages » (Combessie, 2007, p. 10).

Etudes de cas

Pour déterminer quelle technique de collecte de données choisir, il faut tenir compte du fait que dans notre cas, l’activité de définition des mesures compensatoires est une activité non seulement mentale mais qui en outre, se déroule sur un temps long (de quelques mois à plusieurs années) et donne lieu à des discussions en réunions entre les différents protagonistes d’un projet. Or, les techniques d’entretien d’auto-confrontation, de verbalisation simultanée, les questionnaires et simulations sont mises en œuvre pour des opérations manuelles ou des activités circonscrites dans le temps ou dans l’espace. Dans le temps de notre recherche, il n’est pas possible par exemple d’assister à toutes les réunions d’un projet. Ces techniques ne nous semblent pas adaptées. Par conséquent, nous avons choisi de recueillir nos données à l’aide des entretiens différés.

Ces entretiens s’insèrent dans un dispositif de collecte de données plus large, l’étude de cas (Leplat, 2002). Une étude de cas est une étude et une analyse approfondie d’un cas spécifié, ici des projets d’aménagement. Ce type d’analyse permet par définition de rendre compte du contexte dans lequel le cas s’insère, ce qui constitue un des paramètres que nous cherchons à décrire. Un cas correspond à un projet précis : un aménagement spécifié construit par un maître d’ouvrage et qui fait l’objet d’une autorisation sous condition notamment de la bonne mise en application de la séquence ERC. Mais il se veut aussi représentatif d’une catégorie de cas à définir. Nous avons donc cherché une certaine diversité de cas à étudier, ici des projets pour refléter la diversité rencontrée sur le terrain.

Pour conduire nos études de cas, nous avons reconstitué le plus précisément possible le processus de dimensionnement des mesures compensatoires au travers d’une part, d’entretiens croisés avec les différents protagonistes d’un même dossier : l’aménageur, le bureau d’études et les agents des services de l’État ayant instruit le dossier, et d’autre part,

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des documents associés au projet : étude d’impact, dossiers d’autorisation, arrêtés d’autorisation, échanges éventuels de courriers entre les parties. Nous avons également réalisé 22 entretiens avec les mêmes types d’acteurs en dehors du cadre de la reconstitution de ces projets spécifiques. Ils constituent des entretiens complémentaires destinés à affiner nos analyses et réflexions. Lors des entretiens, nous avons demandé à notre interlocuteur de relater le travail qu’il a accompli sur le projet étudié pour les études de cas ou sur le dernier dossier comportant des mesures compensatoires qu’il a eu à traiter pour les entretiens complémentaires.

A la marge, nous avons également eu recours à un dispositif interactif de recueil de données mis en place lors d’ateliers organisés avec des acteurs des ex-régions Champagne-Ardenne et Lorraine autour de la séquence ERC et de la méthode MERCIe dont les objectifs sont développés dans le chapitre 5. (Cf. annexe n°6 pour le déroulement des ateliers et la collecte de données)

Enfin, nous avons pu compléter ces entretiens et analyse documentaire par quelques observations in situ pour un projet (le projet de ZAC de la gare, cf. partie 3.2 du même chapitre) lors de réunions de l’équipe projet. Ces observations se sont ajoutées aux entretiens et documents collectés, ce qui nous a permis de mieux saisir les jeux d’acteurs, leurs échanges et leurs finesses rhétoriques dans leur contexte.

Déroulement des entretiens

Les entretiens ont été construits en se basant sur les principes méthodologiques issus de la sociologie (Blanchet et Gotman, 2015; Combessie, 2007) et des sciences de gestion (Romelaer, 2005).

Ces entretiens semi-directifs se sont organisés en trois phases successives :

1. Une phase libre introduite par une question ouverte à laquelle nous laissions répondre notre interlocuteur avec le minimum d’interruptions de notre part (relances et reformulations uniquement). Nous le laissions dérouler librement son exposé.

2. Une phase plus dirigée pendant laquelle nous posions les questions auxquelles nous n’avions pas eu les réponses spontanément dans la phase libre

3. Une phase de généralisation permettant de savoir à quel point l’expérience relatée était représentative du cas général et si besoin il y avait, d’apporter des précisions.

Ces entretiens se sont orientés vers un spectre assez large des pratiques liées à la séquence ERC, favorisé par la phase libre. En effet, nous voulions comprendre dans quel contexte d’opérations s’insère le dimensionnement des mesures compensatoires. En outre, le dimensionnement proprement dit n’est pas toujours une phase clairement identifiée ou mise en œuvre en tant que telle dans un projet.

Les entretiens ont été conduits de manière à pouvoir identifier les opérations réalisées par les acteurs autour de la question du dimensionnement de la compensation écologique, à identifier les critères d’évaluation des mesures compensatoires et de leur dimensionnement ainsi que leur origine (doctrine commune à l’organisme ou doctrine personnelle). Il s’agissait également d’identifier les difficultés pratiques auxquelles se trouvent confrontés les acteurs étudiés dans l’accomplissement de leur travail. L’objectif était de voir si parmi ces problèmes,

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le sujet « ME » apparaissait spontanément. Il s’agissait aussi de mieux cerner leur contexte de travail et les contraintes auxquelles ils sont confrontés. Enfin, nous cherchions à identifier ce qui les aide à accomplir leurs tâches et s’ils se réfèrent à des méthodes en particulier.

Les entretiens duraient 1 à 2h. Nous avons demandé aux interviewés de nous expliquer pour un projet à spécifier (par exemple : le dernier projet qu’ils ont eu à traiter), comment s’était déroulée la mise en œuvre de la séquence ERC et quel était le travail qu’ils avaient accompli dans ce processus. Nous les avons également interrogés sur leur parcours et leur formation à la séquence ERC.

Enfin, les entretiens ont été bâtis en tenant compte d’hypothèses de travail qui nous ont permis d’orienter nos questions de la phase dirigée. En effet, nous avons supposé que compte tenu d’un certain flou de la réglementation, celle-ci pouvait être sujette à des interprétations différentes et que ces interprétations pouvaient varier d’un acteur à l’autre (supposition basée sur les travaux de Bigard et al., 2017). Nous avons cherché au travers des entretiens à identifier les critères sur lesquels se basaient les interviewés pour dimensionner ou évaluer le dimensionnement des mesures compensatoires.

Les entretiens ont été conduits en s’appuyant sur un guide d’entretien (Cf. figure 19), conformément aux recommandations de Combessie (2007) et de Romelaer (2005).

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Relance avec reformulation - Merci – Confidentialité de la discussion - Accord pour questions complémentaires.

Annonce

Je suis en thèse de géographie, au CEFE et chez ECO-MED . Mon sujet de recherche concerne l’évaluation de l’équivalence écologique des mesures compensatoires et leur dimensionnement. Je m’intéresse plus particulièrement à l’aspect pratique de ces questions, comment cela est mis en pratique par les acteurs, comment ils s’y prennent.

Je réalise une série d’entretiens auprès des différents acteurs intervenant dans un projet ou dossier dans différentes régions de France : Grand Est, N. Aquitaine et Occitanie.

Questions tremplins

Utilisateurs : . Phase libre

Quel est votre mission, quel poste occupez-vous ?

Pour ce dossier / projet, comment s’est passé, à votre niveau, l’application de la séquence ERC ? Pouvez-vous retracer le déroulement du processus ? Ce qui m’intéresse plus particulièrement, c’est ce que vous, vous avez fait.

Relances uniquement sur les sujets abordés. . Phase directive

1. Avez-vous rencontré des difficultés pour accomplir votre tâche dans ce projet ? 2. Qu’est-ce qui vous a aidé ? (Doctrine, processus commun, guides internes ou

externes, méthodes, formations, colloques etc. ?)

3. Pourquoi avez-vous eu recours à tel ou tel outil ? Quels sont ses points positifs ? Y a- t-il des choses à améliorer ? Lesquelles ?

4. Si DREAL : avez-vous recommandé au moa d’utiliser une méthode spécifique ? Pourquoi

5. Quels sont les critères dont vous avez tenu compte pour évaluer l’équivalence écologique, dimensionner les mesures compensatoires / pour estimer qu’elles sont suffisantes ?

6. Est-ce qu’à un moment vous avez regardé spécifiquement la surface de compensation proposée ?

7. Si oui, est-ce que vous l’avez comparée à la surface impactée ?

8. Que pensez-vous des surfaces / ratios que vous observez en pratique ?

. Phase de généralisation : est-ce que cela se passe de façon identique pour tous les dossiers / projets ?

- Difficultés - Aides

- Raisons de recours à outil ou méthode - Critères des mesures compensatoires - Surface

. Institutions précédentes, parcours, formations initiales et continues. Figure 19 : Guide d'entretien

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3.1.3. Les limites de notre approche

Limites liées aux entretiens

Lors de ces entretiens, certains interlocuteurs (21 personnes) nous connaissaient déjà, une relation de confiance étant établie, leur parole était relativement libre et franche, reflétant nous supposons, leur activité réelle. Pour d’autres personnes (22), nous ne les avons rencontrées que pour la durée de l’entretien et dans certains cas, il était assez évident qu’ils passaient sous silence certains faits ou réflexions. Dans cette configuration, il est vraisemblable que certaines difficultés rencontrées dans l’exercice de leur mission aient pu être tues, par crainte de jugement, ou pour ne pas décrédibiliser leur entreprise ou institution. Cela constitue une première limite de notre méthode.

En outre, certains projets s’étendant parfois sur des périodes très longues, la mémoire des interviewés a pu s’avérer défaillante (ils étaient parfois interrogés sur des faits remontant à trois ou cinq ans en arrière) ou bien ils n’ont pas été en poste sur la totalité du projet. Dans ce cas, le recoupement de leurs informations avec les documents est précieux, mais toutes les informations ne se trouvent pas dans les documents, comme leur réaction lors d’échanges entre les acteurs d’un dossier par exemple.

Enfin, certains acteurs n’ont pu être rencontrés en raison de leur mutation (3 cas) et parfois de refus d’entretien (3 cas) , empêchant de recouper les entretiens et les différents points de vue, et ainsi de consolider la reconstitution des opérations (nous en avons tenu compte dans nos analyses).

Face à ces limites, il était difficile d’arriver à reconstituer l’activité des uns et des autres dans le sens ergonomique du terme, c’est-à-dire de reconstituer fidèlement les opérations qu’ils avaient réellement mises en œuvre dans un projet. C’est pourquoi nous avons finalement préféré proposer l’expression « analyse des pratiques » au lieu d’ « analyse de l’activité ». Ainsi, dans nos recherches, les pratiques correspondent à ce qui est fait réellement ou à ce qui est fait officiellement, selon le discours des praticiens et confondent finalement sous un même vocable « tâche » et « activité » dont la distinction nous était pourtant apparue comme fondamentale dans la littérature ergonomique.

Sur la base de ces clarifications et adaptations méthodologiques en regard de notre terrain d’études, les objectifs de notre analyse sont de mieux caractériser l’opérationnalité des ME.

Limites liées au contexte de notre recherche

Une deuxième série de limites est à prendre en compte. En effet, l’analyse de l’activité permet d’une manière générale de caractériser une situation de travail existante (Daniellou et Béguin, 2004). Or comme indiqué dans l’introduction, la mise en œuvre actuelle de la séquence ERC est jugée insuffisante. Il s’agit donc de ne pas « sacraliser » les résultats de notre analyse des pratiques au motif qu’ils constitueraient la « vérité du terrain ». Certes, notre approche inspirée de l’ergonomie se veut anthropocentrée, pour reprendre le mot de Rabardel, mais nous devons garder en tête, pour l’interprétation de nos résultats, que les pratiques sont nettement perfectibles.

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En outre, la réglementation ERC a évolué au cours de ces dix dernières années, de même que les exigences en termes d’application (objectif d’absence de perte nette de biodiversité depuis 2016). Il est nécessaire d’en tenir compte dans la reconstitution des processus de développement et d’autorisation des projets.

3.1.4. Le traitement des données

Analyse des entretiens

Les entretiens ont tous été retranscrits mots à mots afin d’en analyser le contenu. Les interlocuteurs étaient d’accord pour l’enregistrement et la retranscription de leur parole. L’analyse a été réalisée manuellement, sans recourir à des logiciels de traitement d’entretiens dont l’utilité est encore critiquable (non prise en compte des tons, ironie, allusions, non-dits, etc.) et n’était pas avérée dans notre cas. Les entretiens ont été analysés par thématique, de façon transversale (Blanchet et Gotman, 2015). Les verbatims relatifs aux différents thèmes de l’analyse des pratiques ont été anonymisés puis isolés et reportés dans un fichier Excel selon les cinq rubriques suivantes :

1. Descriptions des opérations réalisées par les différents acteurs

2. Opérations relatives à la définition et au dimensionnement des mesures compensatoires 3. Contraintes perçues ou rencontrées

4. Ressources mobilisées

5. Verbatims spécifiquement relatifs aux ME.

Des hypothèses de critères d’utilisabilité et d’acceptabilité socio-organisationnelle, complétant les critères issus de la littérature en ergonomie ont été émises sur la base des entretiens. Leur vérification a été réalisée de la même façon en isolant tous les verbatims relatifs à chacun des critères.

L’analyse thème par thème a ainsi été possible en procédant à des regroupements.

Cette analyse a été complétée par une analyse par entretien (Ibid.) qui se justifie « lorsqu’on

étudie des processus, des modes d’organisation individuels en tant qu’ils sont révélateurs (…) d’un mode de réalisation de tâche professionnelle (ergonomie cognitive) » (p. 94),

particulièrement utile pour l’étude des projets explicitées ci-dessous.

Etudes des projets

Le déroulement des projets a été reconstitué de la façon la plus complète possible à partir des entretiens et des documents associés. Une chronologie a été réalisée reprenant toutes les étapes et les évènements identifiés à partir des entretiens et des documents relatifs au projet. Des recoupements d’informations ont été systématiquement réalisés lorsque cela était possible, entre les entretiens et les documents. Cela a mis en évidence parfois la nature confuse des souvenirs de nos interlocuteurs sur des évènements remontant à plusieurs années et nous a incité à la prudence sur l’interprétation de certaines données (nous rappellerons cette limite lors de l’analyse).

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Les principaux éléments à retenir de la démarche d’analyse des pratiques mise en œuvre dans le cadre de nos recherches sont résumés dans la figure 20 ci-dessous :

Analyse documentaire Entretiens semi-directifs Entretiens complémentaires

Analyse de projets Analyse d’entretiens :

- Opérations réalisées - Contraintes - Ressources - ME Aménageurs Bureaux d’études Services de l’Etat (22) (21)

Figure 20 : Données collectées pour l'analyse des pratiques de dimensionnement par les acteurs de la séquence ERC (conception : A. Mechin)

3.2.

Les terrains d’étude