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Chapitre 2 : Démarche de recherche

2. Présentation de notre cadre conceptuel : l’ergonomie

2.1. Le champ de recherche de l’ergonomie

2.1.1. Bref historique

Née en tant que telle après la deuxième guerre mondiale, l’ergonomie se développe parallèlement en Europe et aux Etats-Unis. En Europe, son émergence s’inscrit dans un contexte de reconstruction d’après-guerre : l’industrie cherche à accroître sa productivité, tandis que la préservation de la santé des travailleurs fait l’objet d’une attention particulière. L’objectif est donc d’améliorer les conditions de travail (Laville, 2004). L’approche diffère aux Etats-Unis où l’on préfère l’expression Human Factors. Il s’agit d’identifier les limites humaines afin de définir les conditions d’obtention des meilleures performances, en particulier dans le cadre du travail mené à l’aide d’interfaces homme-machine. Dans tous les cas, l’ergonomie cible au départ le travail physique en contexte industriel. Puis elle a évolué en même temps que le travail et la société se sont transformés tout au long du 20ème siècle au cours duquel on

est passé d’un travail essentiellement physique, à la mécanisation puis à l’automatisation qui a développé l’activité de traitement de l’information.

L’ergonomie est une discipline « plurielle » comme l’affirme (Lancry, 2016). Son développement foisonnant permis par la mobilisation (voire l’imbrication dans certains cas) d’autres disciplines voisines (Cf. figure 12) donne naissance à plusieurs spécialisations : l’ergonomie physique (qui s’intéresse en particulier aux gestes et aux postures mais pas seulement), l’ergonomie cognitive (qui prend en compte la dimension cognitive des activités, professionnelles ou non), et l’ergonomie organisationnelle (qui traite de la question des systèmes et des organisations, et de la régulation des activités).

Sociologie du travail Anthropologie et ethnométhodologie Didactique Sciences du langage Hygiène et sécurité Démarches qualité Médecine du travail Physiologie du travail Psychologie Psychologie du travail Ergonomie Ancrage disciplinaire Disciplines voisines

Figure 12 : Ancrage disciplinaires et disciplines voisines de l'ergonomie (Darses et Montmollin, 2012b)

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Au cours de son développement, elle a élargi ses perspectives en ne considérant plus uniquement le travail en milieu industriel mais dans tous les secteurs, et en s’intéressant aussi aux activités humaines en dehors du monde du travail. (Karnas, 2011).

2.1.2. Définition

L’ergonomie a été dotée d’une définition claire et internationale en 2000 par l’International Ergonomics Association : « Discipline scientifique qui vise la compréhension fondamentale des

interactions entre les humains et les autres composantes d’un système, et la profession qui applique principes théoriques, données et méthodes en vue d’optimiser le bien-être des personnes et la performance globale des systèmes ».

Malgré cette définition unifiée, on distingue deux courants, différents mais complémentaires, issus du développement de deux approches parallèlement en Europe et aux Etats-Unis (Darses et Montmollin, 2012b).

2.1.3. L’ergonomie du facteur humain

L’ergonomie anglophone (Human Factors) est l’ergonomie du facteur humain. Il s’agit de connaître les capacités des êtres humains en termes moteur et cognitif pour y adapter les outils avec lesquels ils travaillent. Elle s’intéresse au « système humain-machine ». Elle se traduit par la conception de dispositifs techniques tenant compte des caractéristiques humaines pour en favoriser une meilleure utilisation. Elle a pour objectif d’« assurer la

compatibilité entre les caractéristiques des utilisateurs et les caractéristiques des produits et systèmes techniques en vue de faciliter leur usage, à la fois sous l’angle de leur intégration technique et sociale et sous l’angle de leur appropriation » (Barcenilla et Bastien, 2009, p. 312).

Cette approche a permis de rassembler beaucoup de données sur le fonctionnement mental humain et les limites cognitives pour aboutir à la production de recommandations et de normes à prendre en compte dans la conception (Laville, 2004). Cela se révèle particulièrement utile alors que le travail mental a peu à peu remplacé le travail physique (Hoc et Darses, 2004) et que les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ont pris un essor considérable.

2.1.4. L’ergonomie de l’activité

L’ergonomie francophone s’intéresse à l’activité et la situation de travail davantage qu’au fonctionnement de l’être humain (Darses et Montmollin, 2012a). Cela comprend les dimensions non seulement opérationnelles du travail (l’activité) mais aussi sociales, psychiques et organisationnelles. Ce courant ne produit pas des résultats et des recommandations à portée généraliste comme l’ergonomie « human factors » mais permet de mieux cerner la situation de travail et son contexte organisationnel dans toute leur singularité. A la différence de l’ergonomie des facteurs humains, ses observations ne se font pas en laboratoire mais bien sur le lieu de travail. Sa finalité est de transformer les situations de travail et d’en améliorer les conditions.

Transformer les situations de travail des différents acteurs de la séquence ERC n’est pas notre objectif car outre le fait que nous n’avons aucun mandat pour cela dans le cadre de cette

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thèse, la tâche serait immense étant donné la diversité des acteurs et des organisations concernées. Cependant, l’analyse du travail permet de mieux cerner les usages existants ou potentiels (Cerf et Meynard, 2006), de mieux comprendre les contraintes qui découlent des situations de travail et ainsi de pouvoir y adapter les outils. L’analyse du travail devient ainsi un « outil de conception » (Keyser et Nyssen, 2006). Selon Darses et al. (2004), « toute

approche ergonomique [est cadrée] implicitement [par] la théorie de l’activité » qui repose sur

les travaux de Vygotsky15 (p. 196).

L’ergonomie au travers de ces deux courants va nous permettre d’apporter un cadre d’analyse à nos questions. En effet, les acteurs de la séquence ERC sont avant tout, à notre sens, dans une situation de travail qui nécessite la mise en œuvre de la séquence ERC. Les

ME sont un instrument à l’aide duquel ils accomplissent leur tâche de dimensionnement

des mesures compensatoires.

2.1.5. Ergonomie et processus de conception

La mise en œuvre d’une approche ergonomique va de pair avec une réflexion sur le processus de conception ( Lancry, 2016; Darses et Montmollin, 2012b; Béguin, 2004) afin que les objets et les situations conçues intègrent les apports ergonomiques. Pour Béguin, associer l’ergonome aux premières étapes du processus de conception est une « nécessité » (p. 379) dans la mesure où concevoir un objet ou une situation suppose de « projeter l’activité et le

fonctionnement futur » (p. 379). Cela est rendu possible en se représentant le fonctionnement

de l’utilisateur (modèle de fonctionnement de l’homme) et en anticipant l’activité future, à l’aide notamment de l’analyse des situations de travail existantes.

Rabardel en 1995, dénonçant une approche des systèmes techniques trop techno-centrée jusqu’alors, relève l’émergence d’ « une conception où le système technique est centré sur

celui qui va l’utiliser, où il va être imaginé, conçu, et réalisé en référence à l’activité de cet homme (ou de ces hommes) pour lequel il sera un outil, un instrument » (p. 24). Il fait

notamment référence aux travaux relatifs aux interfaces hommes-ordinateurs du courant américain de l’ergonomie, parmi lesquels ceux de Norman et Draper dont l’ouvrage intitulé

User centered system design : new perspectives in human computer interaction et paru en

1986, a popularisé l’approche de « design centré utilisateur ». Elle s’est alors largement diffusée, et recouvre des pratiques assez diverses, sans qu’il y ait pour autant de définition unifiée et partagée (Gulliksen et al., 2003). Elle a d’abord considéré l’utilisateur comme une source d’expérimentation cognitive, une source d’informations (courant human factor) pour évoluer vers un utilisateur activement impliqué dans le processus de conception (Marti et Bannon, 2009), jusqu’au design coopératif. Marti et Bannon relativisent ce qu’ils appellent le « mantra » du design centré utilisateur (p. 7). Ils pondèrent la position scandinave de design coopératif dans laquelle concepteurs et utilisateurs sont mis sur le même plan. Selon eux, associer activement l’utilisateur au processus de conception est une chose désirable mais est à nuancer selon les contextes d’application, de développement, de technologies etc.

15 Vygostky (1896-1934) était professeur à l'institut de psychologie de l'université de Moscou. « Il s'est consacré à l'étude du développement des fonctions mentales supérieures, en particulier chez l’enfant. Son apport majeur réside sans doute dans la conception qu'il propose du rôle du langage dans le développement mental » (…) langage dont il pense qu’il est « un instrument très important dans la régulation de l'activité ». (Richard, n.d.)

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2.2.

Les concepts et approches à retenir pour notre recherche