• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Démarche de recherche

2. Présentation de notre cadre conceptuel : l’ergonomie

2.2. Les concepts et approches à retenir pour notre recherche

Les ergonomes appartenant au courant Human Factor ont développé des concepts appliqués initialement aux systèmes informatiques mais particulièrement intéressants pour nos questions de recherche. Il s’agit de :

- l’utilisabilité, - l’utilité, et - l’acceptabilité,

permettant de caractériser des outils utilisés par un opérateur.

La notion d’utilisabilité nous apparaît comme centrale. Barcenilla et Bastien (2009, p. 313) traduisent ainsi la définition donnée par Shackel en 1991 : « capacité, en termes fonctionnels

humains, à permettre une utilisation facile et effective par une catégorie donnée d’utilisateurs, avec une formation et un support adapté, pour accomplir une catégorie donnée de tâches, à l’intérieur d’une catégorie spécifique de contextes ». Cette notion fait son apparition en 1979

(Geisen et Bergstrom, 2017; Shackel, 2009) et a fait depuis, l’objet de nombreux travaux et développements.

Bien qu’étant le sujet principal de ses travaux, Nielsen (1993) explique que l’utilisabilité ne constitue qu’une partie seulement d’une question plus large qui est l’acceptabilité globale d’un système par ses utilisateurs et les acteurs avec lesquels il interagit. Un système, comme une ME par exemple, serait acceptable par ses utilisateurs s’il l’est sur le plan pratique d’une part et sur le plan social d’autre part. Il décompose l’acceptabilité pratique en plusieurs notions (Cf. figure 14) qui sont :

- L’utilité de l’objet ou du système (le fait que les fonctions du système permettent théoriquement de réaliser les opérations attendues)

- L’utilisabilité, telle qu’elle vient d’être définie,

- D’autres critères tels que le coût, la compatibilité, la fiabilité etc.

Acceptabilité globale d’un système

Acceptabilité sociale

Acceptabilité pratique

Coût

Fiabilité

Compatibilité

Utilité

Utilisabilité

Etc.

Figure 13 : Les différentes composantes de l'acceptabilité globale d'un système, adapté de Nielsen (1993)

80

Nielsen et Shackel proposent plusieurs critères d’utilisabilité (Cf. tableau 9), initialement pensés pour la conception des systèmes informatisés mais aisément transposables dans notre contexte d’étude.

Enfin, l’acceptabilité sur le plan social dont parle Nielsen, ou encore acceptabilité socio-

organisationnelle n’est pas définie très clairement en ergonomie (Terrade et al., 2009). Elle

fait référence selon Dubois et Bobillier-Chaumon (2009), aux normes sociales, à l’influence sociale, à l’image de soi, mais aussi au contexte organisationnel dans lequel se trouve l’utilisateur, particulièrement s’il est dans un contexte professionnel.

81

Tableau 9 : Critères d'utilisabilité proposés par Nielsen (1993) et Shackel (2009)

Critères de Nielsen Critères de Shackel Efficience Le système doit être efficient de

telle sorte qu’une fois que l’utilisateur sait se servir du système, un haut niveau de productivité est possible.

Effectivité Les tâches requises doivent être accomplies dans le niveau de performance requis en termes de vitesse et d’erreurs par un certain pourcentage des utilisateurs dans l’environnement prévu d’utilisation

Facilité

d’apprentissage

Le système doit être d’apprentissage facile afin que l’utilisateur puisse rapidement commencer à obtenir des résultats avec.

Apprentissage L’utilisation doit être possible après un certain temps de formation dans le cadre prévu…

Mémorisation facile

Le système doit être facile à mémoriser de telle sorte que l’utilisateur standard puisse être en mesure d’utiliser le système après une période de non-utilisation sans avoir à réapprendre à s’en servir.

… et sans avoir à passer plus d’un certain temps de réapprentissage pour les utilisateurs intermittents.

Erreurs Le système doit présenter un faible taux d’erreurs, de telle sorte que les utilisateurs fassent peu d’erreurs en utilisant le système et que s’ils en font, elles puissent être facilement résolues. Des erreurs catastrophiques ne doivent pas arriver.

(Voir effectivité)

Satisfaction Le système doit être plaisant à utiliser, de telle sorte que les

utilisateurs soient

subjectivement satisfaits quand ils l’utilisent, qu’ils apprécient l’utilisation.

Attitude Les niveaux de fatigue, inconfort, frustration et effort personnel engendrés par l’utilisation sont acceptables de telle sorte que la satisfaction soit maintenue et encourage à l’utilisation du système.

- Flexibilité La flexibilité du système

autorise l’adaptation à un certain pourcentage de variation dans les tâches et/ou l’environnement au- delà de ce qui est spécifié.

82

Nous retenons de cette analyse bibliographique plusieurs concepts : - L’utilité dans son sens commun

- L’utilisabilité : « capacité, en termes fonctionnels humains, à permettre une

utilisation facile et effective par une catégorie donnée d’utilisateurs, avec une formation et un support adapté, pour accomplir une catégorie donnée de tâches, à l’intérieur d’une catégorie spécifique de contextes » (Barcenilla et Bastien, 2009, p.

313, traduisant Shackel, 1991)

- L’acceptabilité sociale ou socio-organisationnelle dont les contours semblent flexibles en l’absence de définition claire.

Nous retenons également que ces concepts sont complémentaires.

Nous considérerons les ME non pas comme un système homme-machine mais comme un système homme-méthode, en vue de transposer le concept d’utilisabilité et ses corolaires, l’utilité et l’acceptabilité socio-organisationnelle, pour caractériser leur capacité à faciliter leur usage par les acteurs du dimensionnement des mesures compensatoires.

Nous retenons enfin le terme utilisateur pour dénommer dans notre recherche, les acteurs qui utilisent les ME.

2.2.2. Tâche, activité, usages et utilité

L’ergonomie fait une distinction fondamentale entre la tâche et l’activité.

La tâche est définie par Falzon (2004, p. 24) comme « ce qui est à faire, ce qui est prescrit par l’organisation ». On distingue les tâches affichées, les tâches attendues (par l’organisation),

les tâches comprises (par l’opérateur), les tâches appropriées (pour atteindre l’objectif fixé par l’organisation), les tâches effectives.

L’activité, « c’est ce qui est fait, ce qui est mis en jeu par le sujet pour effectuer la tâche » (Ibid.,

p. 24). Elle comprend le comportement mais aussi des processus non observables comme l’activité intellectuelle ou mentale. L’activité se définit par (Darses et al., 2004) :

- Un sujet : la personne ou le groupe qui réalise l’activité, appelée encore « opérateur ». - L’objet qui correspond à la finalité de l’activité,

- L’action c’est-à-dire le processus conscient bâti sur les représentations mentales de l’objectif à atteindre,

- Les opérations qui sont les composants élémentaires de l’action, inconscients et dépendants des conditions.

L’activité peut être réalisée à l’aide d’instruments (dans le sens donné par Rabardel, 1995), comme les ME dans notre cas d’étude. Dans ce cas, l’opérateur est un utilisateur de l’instrument. Cela correspond au système évoqué par les ergonomes du courant Human Factors. Nous choisirons de dénommer les ME indifféremment instrument ou encore outil (objet qui permet à son utilisateur de réaliser une activité).

Plusieurs auteurs associent l’outil ou l’instrument à la notion d’usage. Ainsi Rabardel (1995, p. 34) : « usage par le sujet de l’artefact en tant que moyen qu’il associe à son action. » Akrich (2013, p. 160) décrit l’objet technique comme « le rapport construit entre le dispositif matériel

83

participent à la détermination de l’usage d’un outil dont « la conception se poursuit dans

l’usage ». Brangier et Barcenilla (2003, p. 23 et 36), cités par Charrier (2016) le définissent

comme « la mise en activité effective d’un objet dans un contexte social, permettant à

l’utilisateur de satisfaire un objectif ».

Sur ces bases, nous proposons de définir dans le cadre de notre recherche, l’usage comme produit de l’opération accomplie, de l’utilisateur et du contexte d’utilisation.

Usage = {opération ; utilisateur ; contexte}

Ainsi, théoriquement, l’usage d’une méthode d’évaluation sera différent selon l’opération qu’elle permettra d’accomplir (l’objectif dans lequel l’opération est réalisée), le type d’acteur qui l’utilisera et le contexte dans lequel il l’utilisera.

Cette notion d’usage étant définie, elle peut être rapprochée de la notion d’utilité évoquée dans la partie précédente et qui, rappelons-le, signifie que le système (ou l’outil) permet théoriquement de réaliser les opérations attendues. Ainsi, un outil utile serait un outil dont

l’utilisateur aurait l’usage. Nous proposons de définir un outil utile comme un outil conçu

pour réaliser l’opération précise, dans un contexte précis, par l’utilisateur spécifié dans le cadre de l’usage qu’on peut y associer.

Nous retenons de cette partie (Cf. figure 14) : - La distinction entre tâche et activité

- L’activité peut se décomposer en plusieurs opérations élémentaires

- La personne qui réalise l’activité est un opérateur. Si l’opérateur utilise un outil, il est un utilisateur de cet outil.

- L’usage est le produit de l’opération accomplie, de l’utilisateur et du contexte d’utilisation.

Usage = {opération ; utilisateur ; contexte}

- Un outil utile est un outil conçu pour réaliser l’opération précise, dans un contexte précis, par l’utilisateur spécifié dans le cadre de l’usage qu’on peut y associer.

Usage

Utilité Utilisabilité

Acceptabilité socio organisationnelle Activité = ∑ Opérations

Organisation, contexte

Tâche

Outil (ME)

Utilisateur

84

A partir des concepts identifiés dans ces deux derniers paragraphes, nous proposons une

définition de l’opérationnalité (Cf. figure 15). Ainsi, un outil opérationnel est un outil qui :

- permet à l’utilisateur, dans un contexte précis, de réaliser l’opération attendue, c’est-à-dire qui correspond à l’usage attendu (utilité),

- facilement et de façon efficiente (utilisabilité),

- tout en étant adapté au contexte dans lequel l’utilisateur exerce son activité (acceptabilité socio-organisationnelle).

Acceptabilité socio-organisationnelle (ASO)

Utilité (UT) Utilisabilité (US)

Opérationnalité de l’outil x

UTx USx ASOx

Figure 15 : Définition de l’opérationnalité (conception: A. Mechin et S.Pioch)

Cela constitue notre premier résultat intermédiaire.

2.2.3. Conception centrée utilisateur, test utilisateurs et conception participative

Les ergonomes étudient et proposent des approches relatives à la conception dont voici les traits les plus marquants pour traiter notre question de recherche.

La conception centrée utilisateur

Gulliksen et al. (2003) proposent une série de principes clés établis à partir de la bibliographie de référence sur le sujet ainsi que de leur propre expérience de participation à la conception de logiciel. Ces principes-clés qui caractérisent une démarche de conception centrée utilisateur sont les suivants :

1. Attention centrée sur les utilisateurs 2. Implication active de l’utilisateur 3. Développement itératif

4. Représentations simples du design du produit, compréhensives par tous 5. Faire des prototypes

6. Evaluer l’utilisation dans son contexte

7. Des activités de design explicites, conscientes

8. Une attitude professionnelle, une équipe multidisciplinaire 9. Un expert de l’utilisabilité à tous les stades du projet

85

10. Un design holistique

11. Des procédures souples, qui s’adaptent au contexte particulier de chaque projet 12. Une attitude centrée utilisateur de la part de toute l’équipe projet

Bastien et Scapin (2004) exposent les grandes étapes de la conception centrée utilisateur sur lesquelles selon eux, la plupart des auteurs sont d’accord (ces étapes ne se succèdent pas nécessairement dans l’ordre dans lequel nous les présentons) :

1. Description des caractéristiques des futurs utilisateurs 2. Analyse et description des tâches utilisateurs

3. Prise en compte des contraintes matérielles 4. Etablissement d’objectifs d’utilisabilité

5. Production de solution de conception, en passant notamment par un stade de maquettage

6. Evaluation des solutions proposées 7. Installation et suivi.

Que ce soit au travers de principes ou bien d’étapes du processus, ces auteurs mentionnent la nécessaire participation active des utilisateurs dans le processus, en particulier pour l’analyse et la description des tâches ainsi que pour l’évaluation des solutions proposées. Pour Gulliksen et al. (2003, p. 406) « la participation des utilisateurs est la clé du succès » pour concevoir des outils utilisables.

Ils soulignent également la nature itérative du cycle de conception qui se traduit notamment par des allers-retours entre évaluations et conception /modification en vue d’atteindre les objectifs d’utilisabilité.

L’implication des utilisateurs dans le processus de conception peut être poussée davantage. On s’oriente alors vers la conception participative ou encore conception coopérative ou co- conception (Marti et Bannon, 2009; Sanders et Stappers, 2008). Les utilisateurs sont alors des acteurs à part entière de la conception qui peut être enrichie de leur créativité et de leur anticipation des situations d’utilisation (Cerf et Meynard, 2006).

Cerf et al., (2012) proposent une application de l’approche participative pour des outils agronomiques. Leur interprétation de cette approche se décline en deux grandes étapes de conception :

1. Le diagnostic des usages dans l’objectif d’identifier la diversité des situations dans lesquelles l’outil peut être utilisé, ainsi que l’identification des usages des outils déjà existants

2. Prise en main d’un prototype de l’outil par les utilisateurs et bilan de cette manipulation par les utilisateurs et les concepteurs dans l’objectif d’améliorer le prototype.

Les auteurs insistent notamment sur l’importance du dialogue qui s’instaure entre concepteurs et utilisateurs pendant la phase de bilan et proposent de nommer ce type de conception « design dialogique ».

86

Les test utilisateurs

La conception centrée utilisateur accorde une place importante à l’évaluation des outils qui fait ainsi pleinement partie du processus de conception. Elle a pour finalité de « proposer des

améliorations aux concepteurs » (Bastien et Scapin, 2004, p. 460). Béguin (2004) parle de la

phase d’évaluation comme des essais qui permettent d’ « ajuster lorsqu’il est encore temps » le prototype en cours de conception (p. 383). Cette phase nécessite l’implication active des utilisateurs.

Selon Gulliksen et al. (2003), ces utilisateurs doivent être représentatifs des utilisateurs prévus. Les tests d’évaluation doivent être menés au travers de l’accomplissement de taches réelles avec des simulations ou des prototypes. Les comportements, les réactions, les opinions et les idées des utilisateurs qui réalisent les tests doivent être observés, enregistrés et analysés. Ces « tests utilisateurs » peuvent être complétés par des questionnaires et des entretiens (Bastien et Scapin, 2004).

Nous avons également consulté un praticien, expert de l’évaluation ergonomique des interfaces informatiques afin d’identifier les protocoles couramment utilisés. La modalité à privilégier est l’observation, en minimisant les interactions avec les testeurs. Idéalement, les évaluateurs se situent à l’extérieur de la salle de test et les observations sont faites via des caméras qui enregistrent le déroulement des tests. La situation de test doit être la plus proche possible de la situation de travail en termes d’environnement et d’opération à réaliser. Des entretiens et questionnaires peuvent compléter les observations mais il faut être conscient que cela induit un biais qui rend l’objectivation plus difficile (Nogier16, Com. Pers.)

Si l’accent est mis fortement sur l’implication des utilisateurs dans le processus d’évaluation, Bastien et Scapin (2004) distinguent, s’agissant de la conception de logiciels interactifs, un deuxième type de modalités d’évaluation : elles s’appliquent directement aux interfaces, donc à l’objet évalué : l’évaluation est réalisée par des experts par rapport à des normes existantes, des modèles, etc. et ne nécessitent pas l’implication directe des utilisateurs.

16 Jean-François Nogier est docteur-ingénieur en informatique et spécialiste de l’ergonomie digitale. Il a créé et préside la société Usabilis qui accompagne et forme les entreprises dans la conception de logiciels dits « métier ». www. usabilis.com

87

Nous retenons de cette partie :

- L’importance d’associer activement les utilisateurs au processus de conception - La nécessaire phase d’identification des tâches, usages et caractéristiques de

l’utilisation et de son contexte d’activité - La nature itérative de la conception

- L’évaluation de l’outil comme une étape de la conception

- La nécessité de faire tester l’outil par les utilisateurs en situation pour la phase d’évaluation

Nous proposons de retenir pour nos recherches, quelques étapes et éléments qui nous ont semblé particulièrement importants dans les processus de conception centrée utilisateurs (Cf. figure 16). Cela constitue des repères pour une conception orientée

opérationnalité et constitue notre second résultat intermédiaire.

Diagnostic

tâches, usages, utilisateurs, situations d’utilisation Objectifs d’utilisabilité Maquette Prototype Evaluation Tests utilisateurs Autres tests Améliorations Processus itératifRépété n fois

Légende : : Utilisateur

Figure 16 : Les principales étapes d'un processus de conception centrée utilisateurs avec l'implication des utilisateurs à toutes les étapes, particulièrement aux étapes de Diagnostic et d’Evaluation

(conception : A. Mechin)