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D ’ INSTRUMENTS DES POLITIQUES PUBLIQUES

Chapitre 1 Les instruments des politiques publiques : définitions, concept et dimensions définitions, concept et dimensions

1.7 Les instruments des politiques publiques : administration vs politique, moyens vs fins fins

Les rapports entre administration et politique peuvent être abordés en postulant leur séparation et/ou la neutralité de l’administration publique vis-à-vis du politique (Urio, 1984).

Par exemple, du point de vue du principe de la séparation des pouvoirs, l’administration – en tant que « bras exécutant » du pouvoir politique – ne devrait exercer ni fonctions législatives, celles-ci étant réservées au parlement, ni fonctions gouvernementales, ces dernières étant dévolues au gouvernement. L’administration devrait donc être « séparée » du pouvoir

34 « Agir sur autrui, c’est entrer en relation avec lui ; et c’est dans cette relation que se développe le pouvoir d’une personne A sur une personne B. » (Crozier et Friedberg, 1977, p. 65)

35 « Si une personne A peut facilement obtenir d’une personne B une action X, et B peut obtenir cette même action d’une personne C, il se peut néanmoins que A soit incapable de l’obtenir de C. » (Crozier et Friedberg , 1977, p. 67)

36 « Il [le pouvoir] n’est au fond rien d’autre que le résultat toujours contingent de la mobilisation par les acteurs des sources d’incertitudes pertinentes qu’ils contrôlent dans une structure de jeu donné, pour leurs relations et tractations avec les autres participants à ce jeu. » (Crozier et Friedberg, 1977, p. 30)

politique (parlement et gouvernement) et n’exercer que des fonctions d’exécution « pour le compte du gouvernement et sous le contrôle de ce dernier et du parlement » (p.21). Dans ce sens, le politique déciderait des fins et l’administration utiliserait (ou choisirait37) les moyens dans le respect des grands principes de l’Etat démocratique (principe de l’Etat de droit, principe de l’égalité de traitement, etc.).

Ne faisant aucunement allusion au principe de la séparation des pouvoirs, un auteur comme Simon (1945/1965, notamment cité en référence par Urio (1984)) postule également la neutralité de l’administration (et donc la séparation entre administration et politique38) en délimitant clairement les domaines dans lesquels doivent être faits les jugements de faits et les jugements de valeurs, domaines dans lesquels la prise de décision est fondée sur des critères spécifiques. Ainsi, selon Simon (1945/1965), dans le domaine politique, les décisions se font en fonction de choix de valeurs (jugement de valeurs : critère non-scientifique) que la société décide de maximiser alors que l'administration fait, sur la base de ces choix de valeurs, le choix des moyens les plus adaptés pour les réaliser (jugement de faits : critère scientifique).

Nous pouvons aisément constater que la distinction que fait Simon entre jugements de faits et jugements de valeurs recoupe celle du choix des moyens et des fins.

Mais cette vision classique et normative du rapport entre le politique et son administration peut être notamment critiquée au regard de la réalité. Urio (1984), par exemple, nous fait remarquer que la conception wébérienne de la bureaucratie permet de mettre en doute la conception classique de la séparation entre administration et politique. En effet, l’auteur souligne que selon la conception wébérienne de l’administration, celle-ci, au lieu d’être totalement soumise au pouvoir légal-rationnel, aurait tendance à se soustraire à ce dernier et à exercer une partie, voire la totalité, du pouvoir politique. Cette possibilité se fonderait sur trois éléments qui constituent la source et le fondement du pouvoir de la bureaucratie, à savoir :

• sa position stratégique : la bureaucratie occupe une position stratégique au sein de la société ainsi qu’à l’intérieur même du pouvoir légal-rationnel ; elle est donc un acteur incontournable et indispensable au bon fonctionnement de la société ;

• sa professionnalisation : les fonctionnaires, recrutés sur la base d’une compétence technique, sont au bénéfice d’une compétence propre et spécialisée ; ils possèdent donc un certain pouvoir face aux hommes politiques qui ne sont pas des

professionnels ; de plus, les fonctionnaires exercent leur fonction d’une manière continue (permanence de la fonction), ce qui n’est pas le cas des politiques qui sont réélus selon le calendrier politique ;

• sa pratique du secret : la pratique du secret permet également à la bureaucratie d’exercer un certain pouvoir, notamment si l’on pense à sa fonction d’information (sélection et rétention de l’information par exemple).

Quant à Lindblom (1966, notamment cité en référence par Urio (1984)), il juge également que la séparation entre la phase de définition des valeurs et celle du choix des moyens – entendons donc également par là entre le politique et l’administration – n'est pas réalisable dans la

37 Si le choix des instruments est du ressort de l’administration, celui-ci ne devrait alors pas impliquer un choix de valeurs, choix qui doit relever du politique, seul pouvoir légitimé démocratiquement à l’assumer.

38 Ce qui n’empêche pas l’auteur d’admettre le rapport hiérarchique entre le politique et son administration.

pratique39. En effet, prenant comme exemple la démocratie américaine, Lindblom (1959) montre l'impossibilité de séparer le choix des valeurs et le choix des moyens dans une démocratie ouverte. En effet, dans ce genre de configuration politique, un accord sur le choix des valeurs fondamentales à défendre (qui relève d'un niveau ontologique) n’est pas possible.

Aussi, pour éviter cette non faisabilité, il est nécessaire de passer par une négociation dans laquelle on effectue à la fois le choix des valeurs et le choix des moyens (au niveau d’un consensus).

Ainsi valeurs et moyens – politique et administration – ne peuvent être séparés, les deux étant indissociables l’un de l’autre (cf. Encadré 1, ci-dessous).

Encadré 1 : Le choix des instruments, aussi un choix de valeurs

Pour beaucoup d’auteurs, les instruments sont difficilement dissociables des fins qu’ils aspirent à réaliser et leur choix implique également un choix de valeurs.

Pal (1992) :

Defining a policy problem and determining a solution are frequently overshadowed in the policy-making process by the question of implementation, or how. Indeed, in many policy areas, problems and goals are relatively stable and widely understood: concrete policy debates revolve around different ways of linking the two. […] The distinction between goals and instruments, or the means of achieving goals, is artificial. Means and ends cannot be separated so neatly, which is why debates rage over the best means of implementing policies. (p.11)

Vedung (1998) :

Policy instruments should not be regarded only as means through which the ends of political life are achieved. Instruments are ends in themselves. They are an object of political dispute because they fundamentally affect the process and the content of policy-making. Often, then, there is a politics of policy-instruments selection. Actually, political parties quite often disagree on means while they agree on ends. (p. 41).

Van Nispen et Ringling (1998): « Tools are not neutral at all » (p. 212) Salamon (2002) : « Tool choices are fundamentally political choices » (p. 11)

Trebilcock (2005): « The choice of means is almost never a valuationally neutral exercise but entails making trade-offs betweens various desired policy objectives that different means or instruments impact on in different ways » (p. 51-52)

Rappelons également que selon Dahl et Lindblom (1953/1992) le choix des moyens a sans doute supplanté les débats idéologiques en occident et est devenu le thème clé du XXe siècle (et du XXIe siècle !).

Source : Pal (1992), Vedung, (1998), Van Nispen et Ringling (1998), Salamon (2002), Trebilcock (2005) Soulignons que les politologues ont remarqué depuis longtemps que l’administration publique, en tant que structure multifonctionnelle, participe activement au processus politique (et ce à chaque phase du processus de décision40) et que le débat politique est le plus souvent centré sur les moyens que sur les fins41. Mais bien sûr les moyens sous-tendent en eux-mêmes des fins… parfois contestées.

39 Sur les différents apports théoriques relatifs au rôle politique de l’administration publique et à la séparation entre cette dernière et le politique, voir par exemple Urio (1984) chapitre 2.

40 Sur le rôle de l’administration suisse dans le processus décisionnel, voir par exemple les ouvrages d’Urio (1972), L’affaire des Mirages : décision administrative et contrôle parlementaire. Genève: Editions médecine et hygiène (pour un résumé de l’historique de l’affaire des Mirages, voir Urio (1968), L’affaire des Mirages, Annuaire suisse de science politique, Lausanne, pp. 90-100), (1984), Le rôle politique de l’administration publique, notamment le chapitre 1 : pp. 21-24, le chapitre 2 : entier, le chapitre 4 : pp. 181-195 et le chapitre 5 : entier et l’ouvrage de Kriesi, (1998), Le système politique suisse, notamment les chapitres 6 et 7.

41 Voir par exemple Pal (1992).

1.8 Les instruments des politiques publiques : des objets, des activités, des

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