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TYPOLOGIES D ’ INSTRUMENTS POLITIQUES À UNE PROPOSITION DE TYPOLOGIE

Chapitre 8 La méthode compréhensive de Max Weber et ses idéaltypes idéaltypes

8.3 Deux exemples de typologie wébérienne

Afin de se familiariser avec les typologies idéaltypiques, nous allons exposer brièvement deux typologies élaborées par Weber telles qu’elles se trouvent énoncées dans son ouvrage posthume Économie et société (Weber, 1956/1995). Cet exercice nous permettra, d’une part, de mieux comprendre comment se construit une typologie (via un exercice de rationalisation en finalité) mais aussi et peut-être surtout, d’autre part, de nous donner des éléments de compréhension qui nous seront utiles pour la construction de notre propre typologie d’instruments politiques (de protection de l’environnement), notamment dans la mesure où

THEORIE

EMPIRIE / REALITE COMPLEXITE

Typologie d’instruments (concepts idéaltypiques) constructions rationnelles en finalité

Réalité instrumentales telle que nous pouvons l’étudier

(instruments concrets) COMPARAISON

ces deux exemples sont en relation directe avec l’activité sociale (le comportement humain), pour le premier, et le pouvoir de l’Etat, pour le second.

8.3.1 Les quatre types wébériens d’activités sociales

Selon Weber (1956/1995,), il existe quatre types d’activité sociale définis en fonction du mode qui les anime. Ainsi, toute activité sociale peut être déterminée a) d’une manière rationnelle en finalité, b) d’une manière rationnelle en valeur, c) d’une manière affective215 et en particulier émotionnelle et d) d’une manière traditionnelle ou coutumière.

De là, Weber construit une typologie des activités sociales qui comprend quatre types d’action et/ou de comportement : l’action rationnelle en finalité (ou action rationnelle orientée vers une fin), l’action rationnelle en valeur, le comportement affectif et/ou émotionnel et le comportement traditionnel et/ou coutumier216.

Remarquons d’ores et déjà que Weber ne place pas les quatre formes d’action sur un plan identique. En effet, selon lui, l’action rationnelle en finalité et l’action rationnelle en valeur participent à un plus haut degré de l’activité orientée significativement alors que l’activité traditionnelle et l’activité affective représentent des cas limites d’activité orientée de manière significativement consciente, qui se situent même souvent au-delà de cette limite et qui constituent en ce sens des comportements.

Rappelons dans ce sens que, selon Weber (1956/1995), une activité représente « un comportement humain […], quand et pour autant que l’agent ou les agents lui communiquent un sens subjectif » (p. 28). Ainsi pouvons-nous constater que Weber fait appel à la distinction entre activité consciente et activité inconsciente pour identifier les activités rationnelles en finalité et en valeur des comportements traditionnels et affectifs.

Selon Weber (1956/1995), le comportement traditionnel (ou coutumier) est généré par réaction à des stimuli habituels et relève d’une attitude systématique acquise par le passé, alors que le comportement affectif (ou émotionnel), est commandé par des passions et des sentiments. Ce dernier se différencie de l’action rationnelle en valeur par le fait que celle-ci soit pilotée d’une manière consciente vers « les points de direction ultimes de l’activité et s’oriente d’après ceux-ci d’une manière méthodiquement conséquente » (p. 56). Il s’en rapproche néanmoins « par le fait que pour l’une et l’autre [l’orientation affective et l’orientation rationnelle en valeur de l’activité] le sens de l’activité ne se situe pas dans le résultat, conçu comme étant au-delà d’elle-même, mais dans l’activité ayant comme telle une nature déterminée » (p. 56).

Aussi, pour Weber (1956/1995) :

Comme tout autre activité, l’activité sociale peut être déterminée : a) de façon rationnelle en finalité [zweckrational], par des expectations du comportement des objets du monde extérieur ou de celui d’autres hommes, en exploitant ces expectations comme

« conditions » ou comme « moyens » pour parvenir rationnellement aux fins propres, mûrement réfléchies, qu’on veut atteindre ; b) de façon rationnelle en valeur

215 Affectuelle (affektuel) dans le texte.

216 En d’autres termes, l’activité sociale, comme toute autre activité, peut être orientée en fonction d’une fin (rationalité en finalité), fondée sur la base d’une valeur (rationalité en valeur), déterminée de manière affectuelle (cas d’activité limite) ou déterminée de manière traditionnelle (cas d’activité limite).

[wertrational], par la croyance en la valeur intrinsèque inconditionnelle – d’ordre éthique. Esthétique, religieux ou autre – d’un comportement déterminé qui vaut pour lui-même et indépendamment de son résultat ; de façon affectuelle [affektuel], et particulièrement émotionnelle, par des passions et des sentiments actuels ; d) de façon traditionnelle [traditional], par coutume invétérée. (p. 55)

Dans ce sens :

Agit de manière purement rationnelle en valeur celui qui agit sans tenir compte des conséquences prévisibles de ses actes, au service qu’il est de sa conviction portant sur ce qui lui apparaît comme commandé par le devoir, la dignité, la beauté […] ou la grandeur d’une « cause », qu’elle qu’en soit la nature. (p. 56)

Agit de façon rationnelle en finalité celui qui oriente son activité d’après les fins, moyens et conséquences subsidiaires [Nebenfolge] et qui confronte en même temps rationnellement les moyens et la fin, la fin et les conséquences subsidiaires et enfin les diverses fins possibles entre elles. En tous cas, celui-là n’opère ni par expression des affects (et surtout pas émotionnel) ni par tradition. (p. 57)

Notons cependant que, selon Weber (1956/1995), l’activité rationnelle en finalité et l’activité rationnelle en valeur entretiennent des rapports très divers. Ainsi, nous pouvons dire d’une activité qu’elle est orientée rationnellement en finalité au niveau des moyens si d’aventure le choix entre des fins et des conséquences concurrentes ou antagonistes est orientée rationnellement en valeur. Néanmoins, l’action rationnelle en valeur se distingue toujours de l’action rationnelle en finalité dans le sens où elle est toujours frappée d’une irrationalité.

Notons pour conclure que ces quatre types d’activité, bien sûr, n’existent pas dans leur forme la plus pure dans la réalité : ils ne sont pas la réalité. De plus, la typologie wébérienne ne se veut pas être exhaustive217 et les activités réelles ne s’orientent pratiquement jamais uniquement d’après l’un de ces types. Enfin, comme nous avons déjà pu le constater, en ce qui concerne la rationalité en valeur et la rationalité en finalité, leurs frontières restent le plus souvent floues. Dans ce sens, relevons encore que, selon Weber (1956/1995), le comportement traditionnel peut découler d’une activité consciente par un processus d’affection aux coutumes et se rapproche dès lors du comportement affectif. De plus, « nous avons à faire à une sublimation lorsque l’activité conditionnée par les affects apparaît comme un effort conscient pour soulager un sentiment ; dans ce cas, elle se rapproche la plupart du temps (mais pas toujours) d’une ‘rationalisation en valeur’, où d’une activité en finalité ou des deux à la fois » (p. 56).

8.3.2 La conception wébérienne du pouvoir : les trois types de domination légitime

Selon Weber (1956/1995), une distinction est à opérer entre les concepts de puissance et de domination :

Puissance [Macht] signifie toute chance de faire triompher au sein d’une relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance.

Domination [Herrschaft] signifie la chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre [Befehl] de contenu déterminé. (p. 95)

217 Ce ne serait d’ailleurs pas son rôle.

La puissance (Macht) constitue donc cette capacité absolue – à sens unique dirons-nous – qui permet à celui qui la détient de faire prévaloir sa propre volonté par tous les moyens au sein d’une relation sociale. Quant au concept de domination218, il traduit la tendance qu’a le pouvoir à chercher à se légitimer vis-à-vis des dominés (processus d’adhésion au pouvoir) et évoque donc le phénomène par lequel un groupe d’individus se soumet aux ordres d’autrui219 et lui obéit. « Il [le pouvoir légitime] ne peut que signifier la chance pour un ordre de rencontrer une docilité » (Weber, 1956/1995, p. 95) et admet la force en dernier recours ! Par ailleurs, selon Weber (1956/1995), toute domination (ou autorité) sur un nombre important d’individus nécessite, le plus souvent, une direction administrative (un état-major d’individus) qui octroie au(x) détenteur(s) du pouvoir l’assurance d’exercer sa domination et qui se doit de lui (leur) obéir. Ce lien d’obéissance qui lie le(s) détenteur(s) du pouvoir à son administration comprend quatre types de fondement dont la nature détermine en grande partie le type de domination : des motifs coutumiers (la coutume), des motifs affectifs (ou affectuels), des motifs rationnels en finalité (intérêt matériel ou motifs matériels) et des motifs rationnels en valeur (des mobiles idéaux). Néanmoins, ces différents motifs ne peuvent établir à eux seuls les bases solides d’une domination. Tout pouvoir ne se contente donc jamais de fonder sa domination sur ces seules raisons mais tente également de fonder sa domination sur un facteur décisif, de nature plus large, qui consiste à susciter puis à préserver la foi en sa légitimité. Voilà le secret du pouvoir de domination : « la croyance en la légitimité » (p. 286).

Sur cette base, Weber (1956/1995) va alors développer trois types de pouvoir légitime220 qu’il va définir en fonction du genre de légitimité qu’ils revendiquent : la domination légale, la domination traditionnelle et la domination charismatique.

Chaque type de domination possède ainsi une légitimité dont la validité revêt, pour la première, un caractère rationnel fondé sur la croyance en la légalité, pour la deuxième, un caractère traditionnel et, pour la troisième, un caractère charismatique221.

Enfin, à chaque type de domination légitime, Weber (1956/1995) fait également correspondre un type de direction administrative : au type le plus pur de domination légale correspond l’administration bureaucratique (la bureaucratie), à la domination traditionnelle correspond une administration personnelle (patrimonialisme et sultanisme) ou aucune administration (dans le cas des types primaires de domination traditionnelle tels que la gérontocratie et le patriarcalisme) et à la domination charismatique correspond une administration « affective » composée d’adeptes ou de fidèles222.

218 Comme l’a relevé Urio (1984), le terme allemand Herrschaft employé par Max Weber n’est pas sans poser des problèmes pour les traducteurs qui proposent de le traduire par les termes de domination, mais aussi d’autorité ou de pouvoir. Nous les utiliserons comme des synonymes.

219 Autrui qui peut être un ou plusieurs.

220 Ou de domination légitime.

221 Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur à Weber (1956/1995) : pour la domination légale au § 3, pp.

291-294 ; pour la domination traditionnelle, notamment au § 6, pp. 301-303 ; pour la domination charismatique au § 10, notamment aux points 1 et 2, pp. 322-223).

222 Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur à Weber (1956/1995) : pour la bureaucratie au § 4, pp. 294-297 ; pour l’administration personnelle au § 7a, pp. 307-312 ; pour l’administration « affectives » au § 10, point 3, pp. 322-223.

Chapitre 9 Essais d’une typologie idéaltypique d’instruments

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