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CHAPITRE 2 GESTION DE L’INNOVATION ET INNOVATION OUVERTE

2.2 L’économie géographique

2.2.1 Les grappes industrielles

Terwal et Boschma (2011) et Asheim et Isaksen (2002) dénotent tout un pan de la littérat ure scientifique qui s’interroge quant au lien existant entre la localisation et le degré d’innovation. Ces différentes études analysent la manière dont les différents éléments du contexte environneme nta l viendront affecter le degré d’innovation d’une région. Ce type de recherche fait partie du domaine d’étude de l’économie géographique (economic geography). Un des concepts clefs de l’économie géographique est la grappe industrielle (GI). Tout un pan de la littérature scientifique se penche sur ce sujet depuis les années 80 (Lundvall et al., 2002). Selon Torre (2006), la définition des GI ne fait pas l’unanimité ; les termes sont souvent imprécis, les limites de la GI varient selon les études, la zone d’activité innovante, le département ou la région. Terwall et Broschi (2006) observent d’ailleurs que plusieurs éléments distinctifs des GI peuvent être associés à d’autres concepts de l’économie géographique.

Baptista et Swann (1998) définissent les GI ainsi :

Un ensemble d’entreprises liées entre elles et situées dans une petite zone géographique. Cette région peut parfois concentrer une partie importante de la base scientifique d’un pays. p. 525 (Traduction libre)

Porter (1990) la présente plutôt comme suit :

Un groupe géographiquement proche de firmes et d’institutions associées, interconnectées au sein d’un champ particulier et liées par des éléments communs et des complémentarités 

Le schéma de Torre (2006) présente une classification des différents types de GI. Torre (2006) les classe selon leur niveau de proximité organisationnelle et leur degré de proximité géographiq ue. La première catégorie correspond aux grappes selon Porter (1990). On parle alors d’une très forte proximité physique accompagnée d’une forte organisation entre les firmes. La deuxième catégorie fait référence à des grappes dont l’organisation interfirme demeure très forte, mais dont l’implantation locale est plutôt faible. Selon Torre (2006), cette catégorie regroupe des grappes industrielles au niveau régional ou national. La 3e catégorie est constituée des grappes industrie lles où plusieurs entreprises d’un même secteur se retrouvent dans un même milieu, mais où il y a peu de proximité en termes d’organisation. Torre (2006) affirme que, lorsque la 3e catégorie survient, plusieurs politiques nationales peuvent être mises en place afin d’augmenter le degré de synergie dans ce genre de milieu. Finalement, le quatrième regroupement ne peut même pas être considéré comme une grappe puisqu’il n’y a aucune forme de proximité, que ce soit physique ou organisationnel.

Tableau 2.2 : Catégorie de grappe industrielle

Organisation des relations interfirmes

Forte Faible

Localisation des relations

interfirmes

Forte Grappe à la Porter Grappe liée à une ressource locale

Faible Grappe sans base

locale avérée

Activité dispersée Source : Torre (2006)

S’établir dans une GI permet à une entreprise de bénéficier de certains avantages fiscaux ou d’avantages quant à l’accès à un marché de travail intéressant. Porter (2000, 1998) constate également que les GI bénéficient d’un accès facile à de l’information, à une proximité avec des

fournisseurs et des consommateurs et des coûts de transaction réduits. L’intérêt marqué des scientifiques, des gouvernements et des entrepreneurs pour ce type d’organisation spatiale des entreprises provient sûrement de l’un des avantages que des auteurs tels que Baptista et Swann, (1998) lui reconnaissent : plus elles sont fortes, plus grandes seront leur capacité à innover. Cette plus grande capacité d’innovation résulterait des retombées de connaissances engendrées par la grappe. Les retombées de connaissances des GI permettent d’attirer et de supporter les innovate urs. Selon Ter Wal et Boschma (2011), ces retombées proviennent de quatre phénomènes liés aux GI. Le premier demeure le déplacement de main-d’œuvre qualifiée à l’intérieur des entreprises de la GI. Lorsque les employés se déplacent d’une entreprise à une autre, ceux-ci quittent avec un bagage de connaissances appelé connaissance tacite. Ces connaissances proviennent de leur expérience dans le milieu de travail. Lorsque l’employé se retrouve dans sa nouvelle entreprise, il partagera ses connaissances dans son nouveau milieu de travail, générant ainsi un transfert de connaissances. Sa nouvelle entreprise pourra alors bénéficier de ces nouvelles connaissances pour innover. Une autre façon qu’ont les grappes d’offrir des retombées de connaissances provient du fait que les entreprises d’une GI peuvent profiter d’un réseau informel de communication entre les acteurs de la grappe, facilitant encore le transfert de connaissances. Une troisième source de retombées de connaissances provient des collaborations formelles et informelles qui surviennent par suite de la rencontre d’individus provenant d’un même réseau social. En effet, les acteurs des grappes ont fréquenté les mêmes écoles, les mêmes milieux professionnels, cette proximité des gens du milie u favorise le partage de connaissances dans une grappe. Finalement, la création de spin-off provenant d’entreprise du cluster est une autre forme de retombée de connaissances. Engel et del-Palacio (2009) et Liyanage (1995) affirment ainsi que les clusters peuvent être la source de start-up. Afin de croitre, une GI doit obtenir une masse critique d’entreprises situées à proximité géographique et qui agissent à différents niveaux d’une chaîne de valeur. À travers cette chaîne de valeur, les entreprises peuvent se partager de l’expertise et créer de valeur. Les acteurs présents dans une GI pourraient alors bénéficier à travers celle-ci de sources de nouvelles idées, d’une infrastructure spécialisée, d’une meilleure productivité et prospérité. De plus selon Jaegersberg et Jenny (2011) la GI pourrait aider d’autres grappes à évoluer.

Filipi et Torre (2003) font remarquer que le fait d’avoir des entreprises proches ne permet pas d’assurer la viabilité et la performance des GI. Selon Liyanage (1995), celle-ci doit égaleme nt

profiter d’une structure organisationnelle et institutionnelle et de champions en termes de technologie et de marché afin de promouvoir la collaboration entre les membres de la GI. Voilà pourquoi certaines institutions de promotion sont mises en place pour réaliser cet objectif.

Liyanage (1995) affirme également que la collaboration qui a lieu à travers les GI n’apportera pas tant de retombées pour la grappe si elle n’est pas combinée à un plus fort réseautage à travers la grappe. Torre (2006) en rajoute en affirmant que la seule proximité des acteurs ne suffira pas à garantir les contacts entre acteurs et ne favorisera pas nécessairement la transmission de connaissances. Il constate même que, si les entreprises sont trop peu ancrées dans leur milieu local, elles deviennent alors plus mobiles et peuvent ainsi quitter plus facilement le cluster. Des chercheurs comme Giuliani et Bell (2005) font même valoir que toutes les entreprises d’une grappe n’ont pas nécessairement envie de travailler avec les autres entreprises du secteur, particulière me nt lorsqu’il n’y a pas de valeur ajoutée pour elles-mêmes. De plus, les retombées de connaissances ne peuvent bénéficier qu’à ceux qui sont à même d’en saisir leur importance et de les intégrer, ou encore à ceux qui participent activement aux réseaux.

Torre (2006) dénote trois désavantages potentiels des GI :

1. Les fuites de connaissances peuvent être favorisées par le voisinage ;

2. Le cluster peut avoir du mal à s’adapter à des changements dans l’industrie ou à intégrer de nouveaux acteurs ;

3. Il se peut que les liens entre les membres cluster ne favorisent pas les innovations.

Le deuxième de ces désavantages cités par Torre (2006) mérite une explication plus poussée. Des chercheurs comme Asheim et Isaksen (2002) et Camagni (1991) font remarquer que les grappes peuvent parfois présenter un désavantage qu’on appelle « lock-in effect ». Ce phénomène survient lorsque des entreprises d’une grappe ne font que travailler ensemble. Il survient alors un moment où elles ne sont plus capables d’intégrer de nouvelles entreprises et vont jusqu’à rejeter des connaissances qui ne proviennent pas de la grappe. Tout ceci aura comme conséquence de réduire l’innovation dans la grappe. Afin de contrer cet effet, des chercheurs tels que Morrison (2005) et Owen-Smith et Powell (2004) pensent qu’un « gatekeeper » pourrait servir d’intermédiaire et offrir une chance aux idées de l’extérieur d’entrer dans la grappe. Ainsi, pour se renouveler, la grappe doit aller acquérir des idées externes à sa localisation et s’ouvrir à de nouveaux partenaires provenant de l’extérieur.

Plus récemment Engel et Itxaso (2009) sont venus porter un éclairage théorique intéressant quant à l’évolution des GI. Ces dernières pourraient passer de relations surtout internes vers des relations intergrappes qui peuvent être soit locales, régionales ou internationales. Les entreprises de la grappe s’ouvrent ainsi à d’autres entreprises situées à l’extérieur de la grappe. Finalement, lorsque ces relations intergrappes deviennent très fortes, impliquant diverses relations, allant de relation faible à des relations caractérisées par des échanges bilatéraux très forts, imprégnés d’une certaine dépendance, on parle alors de la formation de super-grappe. On passerait donc de GI à des réseaux de GI pour terminer par une super GI.

La littérature scientifique quant à l’organisation des entreprises dans l’espace ne se restreint pas au concept de GI. D’autres concepts ont été présentés : les districts industriels, les milie ux d’innovation et les centres d’excellence.

2.2.1.1 Les districts industriels, les milieux d’innovation et les centres d’excellence

Les districts industriels (industrial district) sont définis par Rabellotti (1995) comme une grappe constituée principalement de petites et moyennes entreprises qui sont concentrées spatialement et spécialisées sectoriellement. Les liens entre les membres de ce type de grappe sont basés sur la chaîne de valeurs. Les relations entre les acteurs du district industriel sont basées sur l’échange de biens, d’informations et de personnes sur les marchés et hors marché. Un lien culturel et social unit les agents économiques présents dans ce type de cluster, entrainant un code de conduite à travers le groupe. Ce lien culturel peut être lié à la famille, à une origine sociale commune ou encore à une certaine homogénéité politique. Ces liens permettent de générer un environnement où les échanges en face à face entre les agents sont fréquents, les valeurs sont partagées ainsi que les codes et le langage. Le marché est caractérisé par des coopérations et de la concurrence. Les firmes faisant partie d’un district industriel ont un plus grand avantage compétitif face aux autres entreprises qui ne sont pas dans le secteur. Becattini (1990) remarque qu’un réseau public et privé local d’institutions supportera les agents économiques présents dans la grappe.

Pla-Barber et Puig (2009) constatent qu’il existe plusieurs définitions du district industriel, mais que, malgré tout, certains éléments se recroisent. Par exemple, cette forme de grappe est caractérisée par un processus de production divisible et un produit ou un service transportable, une longue chaîne de valeur composée de plusieurs activités nécessitant des compétences spécifiq ues, une intensité en termes d’innovation et une certaine volatilité du marché. Ces chercheurs constatent

également que la coopération et la compétition permettent de réduire les coûts associés à l’utilisation du marché local. Les GI et les districts industriels ne sont pas des concepts interchangeables et ne font pas référence aux mêmes phénomènes. La distinction se situe dans la composition des entreprises faisant partie de ces formes de grappes. Les entreprises d’une grappe industrielle proviennent d’entreprises du même secteur, ce qui est moins le cas dans un district industriel.

Un autre thème abordé par l’économie géographique est celui des milieux d’innovation par un auteur tel que Frenkel (2012). Ce concept caractérise une région qui offre des possibilités de synergie, des connaissances régionales et un stock de capital offrant un avantage compétitif aux entreprises qui décident de s’y installer.

Finalement, les centres d’excellence sont définis par Frost et al., (2002) comme étant : Une unité organisationnelle possédant un ensemble de capacités qui ont été explicitement reconnues par la maison-mère comme étant des sources importantes de création de valeur et dont la maison-mère a l’intention de les exploiter et/ou de les diffuser à d’autres parties de l’entreprise. p. 997 (traductio n libre)