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4.6 Sensibilit´e de la mesure

5.1.5 Les fluctuations d’indice

Le spectre pr´esent´e sur la figure 5.2 a ´et´e obtenu sous vide. En faisant varier la pression dans l’enceinte, on a pu observer des modifications de ce spectre. On verra plus loin qu’abaisser la pression augmente les facteurs de qualit´e m´ecaniques, mais l’effet qu’on va pr´esenter main-tenant n’est pas li´e au spectre de vibration du micro-miroir puisqu’on l’a ´egalement observ´e en pla¸cant le faisceau de mesure sur la puce de silicium en-dehors des micro-r´esonateurs.

Comme on peut le voir sur la figure 5.6, la diminution de la pression s’accompagne d’une r´eduction du bruit de fond sur une plage de fr´equences allant de 0 `a environ 3 MHz. Ces courbes ont ´et´e obtenues pour des fr´equences allant de 0 `a 5 MHz, avec une r´esolution spectrale de 1 kHz et une centaine de balayages. On a fait varier la pression en pompant `a travers une microfuite, la mesure de pression ´etant effectu´e `a l’aide d’un manom`etre `a aiguille. Les courbes ont ´et´e acquises `a 1000, 500, 250 et 0.01 mbar, avec un micro-r´esonateur nomm´e “DP2” constitu´e d’un disque de 1 mm de diam`etre tenu par trois ponts de 150 µm de long et 100 µm de large. La finesse optique est de 12 500, ce qui correspond `a une bande passante de 2.5 MHz. Les courbes repr´esent´ees sont calibr´ees en terme de d´eplacement ´equivalent et prennent en compte la bande passante de la cavit´e.

L’exc`es de bruit de fond li´e `a la pression a une enveloppe qui se comporte en fr´equence comme un passe-bas coupant `a une fr´equence voisine du MHz, ce qui signifie que le ph´enom`ene physique responsable de ce bruit suppl´ementaire change de r´egime autour de cette fr´equence. Nous l’avons par ailleurs observ´e avec tous les r´esonateurs que nous avons ´etudi´es. Ces ca-ract´eristiques sugg`erent que l’effet est li´e aux particules pr´esentes dans le faisceau laser `a l’int´erieur de la cavit´e. On va voir qu’on peut interpr´eter ce bruit comme une cons´equence des fluctuations de l’indice optique vu par le laser.

D´ephasages dus aux variations d’indice

Au cours de la propagation dans la cavit´e optique, la lumi`ere interagit avec les centres diffuseurs qu’elle rencontre. Comme la longueur d’onde du laser est tr`es ´eloign´ee de celles des r´esonances optiques, on n’observe que tr`es peu d’absorption. L’effet du gaz r´esiduel consiste essentiellement `a introduire un d´ephasage qui va s’accumuler au cours de la propagation, ce qui correspond `a une modification de l’indice optique du milieu travers´e. L’´ecart `a l’unit´e de l’indice optique est proportionnel `a la densit´e volumique ρ des centres diffuseurs :

n = 1 + βρ. (5.3)

Exp´erimentalement, la d´ependance de l’indice avec la pression est une droite affine de pente α = 2.6 × 10−9Pa−1 pour une longueur d’onde de 1064 nm [97]. Si on suppose que l’air est

Fig. 5.6 – Spectre de bruit de position observ´e avec un disque `a ponts pour diff´erentes valeurs de la pression : 1000, 500, 250 et 0.01 mbar de haut en bas. Le dessin en haut `a droite repr´esente le r´esonateur utilis´e.

un gaz parfait, ce qui est d’autant plus vrai qu’on se rapproche des basses pressions, alors en utilisant la relation d’´etat P = ρ kBT , on obtient pour le pr´efacteur dans l’´equation (5.3) une valeur β = αkBT = 1.1 × 10−29m3 `a 300 K.

Dans le cas d’une propagation `a l’int´erieur d’une cavit´e, on montre qu’on peut faire ap-paraˆıtre un indice effectif neff qui prend en compte la structure gaussienne du faisceau [102]. Les particules situ´ees loin de l’axe optique contribuant moins au d´ephasage, il correspond `a la moyenne de la densit´e volumique locale pond´er´ee par la structure spatiale du faisceau :

neff(t) = 1 + β ¯ρ(t), (5.4)

o`u ¯ρ(t) est la densit´e volumique `a l’instant t moyenn´ee spatialement sur tout le volume V de la cavit´e et pond´er´e par la structure spatiale v0(~r) du faisceau (´equation 2.47) :

¯ ρ(t) = 1 L Z V d3r v02(~r)ρ(~r, t) (5.5)

La normalisation par la longueur L de la cavit´e assure que dans le cas d’une distribution uniforme de particules, l’int´egrale est ´egale `a la valeur moyenne de la densit´e. ¯ρ est donc proportionnel au nombre effectif de centres diffuseurs contribuant au d´ephasage.

Lorsqu’on fait varier la pression dans la cavit´e, on modifie la densit´e volumique de parti-cules, ce qui modifie l’indice effectif optique et le d´ephasage accumul´e lors d’un aller-retour

5.1. SPECTRE DE BRUIT THERMIQUE ET LIMITES DE SENSIBILIT ´E 153

Fig.5.7 –D´ependance du plancher de bruit thermique avec la pression dans la cavit´e. Chaque point exp´erimental est une moyenne sur 20 points cons´ecutifs autour de 1.4 MHz. La courbe en pointill´es correspond `a une croissance en√

P .

dans la cavit´e. On d´eplace ainsi les fr´equences de r´esonance de la cavit´e comme on peut s’en rendre compte en abaissant la pression et en observant le d´efilement des r´esonances sur une cam´era CCD plac´ee en transmission. La d´ependance des fr´equences de r´esonance d’une cavit´e Fabry-P´erot avec la pression ´etait d’ailleurs utilis´ee en spectroscopie pour balayer la fr´equence d’un laser accordable asservi sur une r´esonance.

Les fluctuations δneff de l’indice effectif traduisent les fluctuations du nombre de particules pr´esentes dans le volume optique. Elles induisent une source de bruit suppl´ementaire qui limite la sensibilit´e de la mesure de petits d´eplacements `a un niveau δxmin donn´e par :

δxmin = L δneff. (5.6)

Comme le nombre de particules vues par le faisceau est tr`es ´elev´e, mˆeme `a basse pression, on peut appliquer un traitement statistique. On s’attend `a ce que la distribution de probabilit´e du nombre de particules pr´esentes dans le volume optique suive une loi quasi poissonienne et que la variance du nombre de particules soit proportionnelle au nombre moyen de particules. On comprend donc qu’en abaissant la pression, on r´eduit aussi bien l’effet moyen d’indice que le bruit associ´e. C’est l’effet observ´e sur les courbes de la figure 5.6. On a repr´esent´e sur la figure 5.7 la d´ependance du bruit li´e `a l’indice en fonction de la pression `a une fr´equence voisine de 1.4 MHz. Pour cela, on a calcul´e la valeur moyenne du niveau de bruit mesur´e `

a 20 fr´equences diff´erentes choisies suffisamment ´eloign´ees des fr´equences de r´esonance des modes propres des miroirs pour ne pas ˆetre sensibles `a leur bruit thermique. La pression est mesur´ee sur la jauge manom´etrique. La courbe en pointill´es correspond `a une d´ependance en √

P , conforme `a une statistique poissonienne pour le bruit d’indice. On constate que les mesures sont en bon accord avec cette loi, sauf `a basse pression o`u on est limit´e par le bruit thermique. Ce comportement est observable sur toute la plage de fr´equences de 0 `a 3 MHz, tant qu’on reste suffisamment ´eloign´e des pics de bruit thermique des miroirs.

D´ependance en fr´equence du bruit d’indice

On constate que le bruit d’indice d´epend de la fr´equence, puisqu’il conserve un niveau `

a peu pr`es constant jusqu’`a environ 2 MHz et d´ecroˆıt comme un filtre passe-bas au del`a. Pour comprendre cet effet, il est n´ecessaire de calculer la fonction de corr´elation temporelle de l’indice effectif, c’est-`a-dire d’examiner plus en d´etail la dynamique des particules. A pres-sion atmosph´erique et temp´erature ambiante, le libre parcours moyen dans l’air est d’environ 140 nm. Il est inversement proportionnel `a la densit´e volumique de particules et `a la section efficace. Cette valeur est bien plus petite que la taille caract´eristique du faisceau qui est de l’ordre de 100 µm. Cela signifie qu’`a pression ambiante, les particules entrent en collision plusieurs fois avant de sortir du volume d´efini par le mode propre gaussien de la cavit´e. Au contraire, quand on baisse la pression, on r´eduit le nombre de particules, donc la probabilit´e de choc, ce qui augmente le libre parcours moyen. Si la pression est r´eduite en dessous de 1 mbar, le libre parcours moyen devient sup´erieur `a la taille du faisceau laser et on passe alors dans un r´egime balistique.

On va d’abord ´etudier ce r´egime basse pression pour d´ecrire le niveau de bruit d’indice dans les conditions de la mesure, lorsque la pression est inf´erieure `a 10−2mbar. On assimile l’air `a un gaz parfait de masse m `a l’´equilibre thermodynamique. On d´efinit la densit´e π(~r, ~v, t) dans l’espace des phases de telle sorte que π(~r, ~v, t)d3rd3v corresponde au nombre moyen de particules poss´edant une vitesse ~v au point ~r `a l’instant t dans le volume d3rd3v de l’espace des phases. On suppose le gaz homog`ene et ob´eissant `a la loi de Boltzmann de distribution des vitesses : π(~r, ~v, t) = N V (πv2 T)32 exp µ −v 2 v2 T ¶ (5.7)

o`u N est le nombre total de particules dans l’enceinte de volume V et vTla vitesse quadratique moyenne, qui est de l’ordre de 500 m.s−1 pour l’azote `a temp´erature ambiante.

On peut calculer la fonction de corr´elation temporelle des fluctuations d’indice effectif. En r´egime stationnaire, la fonction de corr´elation C(τ ) = hδ ¯ρ(0)δ ¯ρ(τ )i de la densit´e volumique ¯ρ est d´efinie par :

C(τ ) = Z

v20(~r)v20(~r) hπ(~r, ~v, 0)d3rd3v π(~r, ~v, τ )d3rd3vi (5.8)

Le terme entre crochets repr´esente la valeur moyenne statistique du produit du nombre de particules pr´esentes dans le volume d3rd3v autour du point (~r, ~v) `a l’instant initial par celles dans le volume d3rd3v situ´e au point (~r, ~v) `a l’instant τ . Ces deux nombres ne sont corr´el´es que si les deux volumes correspondent `a une ´evolution naturelle, c’est-`a-dire si ~r = ~r + ~vτ et ~v = ~v en r´egime balistique. Dans ce cas le terme entre crochets vaut, en supposant que les fluctuations du nombre de particules dans le volume d3rd3v qu’on suit, soit une variable Poisonnienne :

hπ(~r, ~v, 0) π(~r, ~v, τ )i = π(~r, ~v, 0) δ(~r− ~r − ~vτ) δ(~v− ~v), (5.9)

et la fonction de corr´elation devient : C(τ ) =

Z

5.1. SPECTRE DE BRUIT THERMIQUE ET LIMITES DE SENSIBILIT ´E 155

L’int´egrale se calcule de mani`ere analytique `a partir des expressions de v0 (´equation 2.47) et π (´equation 5.7). Apr`es simplification, on obtient :

C(τ ) = N V 1 πLv2T 1 τ2+ τ2 c , (5.11)

o`u on a introduit le temps de travers´ee du faisceau τc= w0/vT. La fonction de corr´elation se comporte donc comme une Lorentzienne avec un temps caract´eristique τc. Lorsqu’on regarde les corr´elations sur un temps long devant τc, les particules ont le temps de sortir du faisceau, ce qui r´eduit la fonction de corr´elation temporelle du nombre de particules vues par le faisceau. A partir des ´equations (5.4) et (5.6), on peut calculer le spectre du bruit d’indice, exprim´e en d´eplacement ´equivalent, qui est reli´e `a la transform´ee de Fourier de C(τ ) :

Sx(n)[Ω] = L2β2 Z dτ eiΩτC(τ ), (5.12) ce qui donne : Sx(n)[Ω] = P kBT β2 vT L w0e −|Ω|τc. (5.13)

Le spectre de bruit d’indice varie de mani`ere lin´eaire avec la pression dans le r´egime balistique. Dans notre exp´erience, avec une cavit´e de longueur L = 2.4 mm poss´edant un col optique de 60 µm, la fr´equence caract´eristique associ´ee au temps de travers´ee du faisceau est de 1/τc= 8 MHz. Le niveau de bruit `a basse fr´equence s’´el`eve `a 4.8 × 10−20m/√

Hz pour une pression de 0.01 mbar et n’est donc pas limitant puisqu’il est inf´erieur au bruit de photon. Notons que la croissance lin´eaire du bruit d’indice avec la longueur de la cavit´e rend plus contraignante la condition sur la pression dans le cas des interf´erom`etres gravitationnels [75] : leurs bras de plusieurs kilom`etres n´ecessitent de r´eduire la pression jusqu’`a des valeurs de l’ordre de 10−7

mbar.

On constate aussi que le bruit d’indice varie de mani`ere inversement proportionnelle `a la vitesse quadratique moyenne vT. On a v´erifi´e au moins qualitativement cette d´ependance en remplissant la cavit´e avec de l’h´elium gazeux. Ce gaz ´etant beaucoup plus l´eger que l’air, il poss`ede une vitesse d’agitation moyenne beaucoup plus importante, ce qui r´eduit le bruit d’indice. On a observ´e que le spectre obtenu `a une pression de 1 bar d’h´elium n’est pas limit´e par le plancher de bruit d’indice et on atteint en dehors des pics de bruit thermique le mˆeme niveau qu’`a basse pression d’air. Ce r´esultat indique qu’il sera possible de placer la cavit´e dans un cryostat sous faible pression de gaz d’h´elium de fa¸con `a am´eliorer l’´echange thermique, et cela sans diminuer la sensibilit´e.

A pression ambiante, le mod`ele balistique n’est plus valable du fait des collisions entre particules et l’´etablissement de la fonction d’autocorr´elation devient beaucoup plus complexe. La fr´equence de coupure observ´ee, de l’ordre de 2 MHz, est plus petite que celle pr´edite par le mod`ele balistique, ce qui signifie que le temps caract´eristique est plus long, comme si les mol´ecules ´etaient plus lentes. On a essay´e de mod´eliser ce comportement par un mod`ele de diffusion de particules, mais les r´esultats obtenus donnent des fr´equences de coupure trop faibles et des lois de puissance non satisfaisantes. Cela sugg`ere que ce n’est pas la diffusion qui domine dans le mouvement des particules mais un autre processus, plus efficace pour brasser les particules. On peut penser `a la convection et aux effets de la turbulence. Cela reste encore `a ´etudier pour comprendre le comportement `a haute pression du bruit d’indice. En tout ´etat de cause, la courbe (c) de la figure 5.2 a ´et´e obtenue en extrapolant `a basse

pression (0.1 mbar) la d´ependance en fr´equence observ´ee `a haute pression, selon une loi en √

P pour l’amplitude de bruit. On atteint de cette mani`ere un niveau de bruit sup´erieur au mod`ele balistique (´equation 5.13), et de toutes fa¸cons n´egligeable `a toute fr´equence en comparaison du bruit de photon (courbe b).