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Les femmes sur le marché du travail rémunéré

CHAPITRE 1 – CONTEXTUALISER ET APPRÉHENDER L’IMPORTANCE

1.1 CONTEXTUALISER L’IMPORTANCE DE LA BEAUTÉ FÉMININE

1.1.5 Les femmes sur le marché du travail rémunéré

Bien que les femmes taïwanaises aient toujours travaillé dans les champs57 et que certaines femmes des milieux plus aisés ont pu, sous la colonisation japonaise, s’instruire et occuper divers emplois, c’est avec l’industrialisation de l’île dans les années 1970 que les femmes ont pu faire reconnaître leur travail et, pour la première fois, gagner de l’argent. Taïwan a connu, à partir des années 1970 sous le régime du KMT, une industrialisation massive du pays (Lee 2004a,b; Farris 2004) qui allait de pair avec ce que la propagande du gouvernement de l’époque avait qualifié de « miracle économique taïwanais » (台灣奇蹟 taiwan qiji), au cours duquel la main-d’œuvre flexible et bon marché des femmes fit d’elles des actrices de premier plan pour attirer les industries étrangères. Elles étaient pourtant souvent laissées pour compte dans cette histoire. Dans ce pays, beaucoup d’entreprises de petite taille sont familiales et c’est ainsi que les jeunes femmes taïwanaises ont d’abord rejoint le marché de l’emploi : comme ouvrières, en tant que main-d’œuvre bon marché et flexible (Lee 2004b; Li et Ka 1994; Lee 2004 : 104), dans l’entreprise de la famille paternelle et, éventuellement, comme ouvrières pour un tiers.

Le fait d’avoir pour la première fois un salaire a donné une liberté à ces femmes58 ainsi qu’une reconnaissance de leur valeur aux yeux de leur famille d’origine59.

Aujourd’hui, les femmes occupent des postes dans divers secteurs et depuis 2002, avec l’Acte sur l’égalité homme/femme quant à l’emploi (性別工作平等法), la situation des femmes dans le monde de l’emploi évolue. Il est à noter qu’à Taïwan, ce n’est qu’en 2002 que la loi sur les opportunités égales d’emploi fut passée (Yu 2009 : 11), ce qui signifie que durant tout le 20e siècle, Taïwan n’avait aucune loi contre la discrimination basée sur le genre (Chen 2000). De plus, les groupes féministes ont dû travailler de la fin des années 1980 jusqu’en 2003 avant que l’Acte soit rendu effectif par le gouvernement taïwanais. Cet acte a pour but de « [...] protect gender equality in right-to-work, implement thoroughly the constitutional mandate of eliminating gender discrimination, and promote the spirit of substantial gender equality ». Bien qu’elles aient gagné en liberté et en droits, des inégalités marquent encore le monde du travail taïwanais. En effet, le salaire, la profession ou le métier, ainsi que le contexte patriarcal taïwanais et ses diverses caractéristiques sont toujours problématiques (voir par exemple Chang 2006 sur les préjugés différenciés quant aux aspirations de carrière des femmes et des hommes. Ici, l’homme est présenté comme dédié à sa carrière alors que la priorité des femmes serait la sphère domestique; Chen 1995, Simon 2003 :116-117 et Jackson, Liu et Woo 2008 sur la coutume de faire les rencontres d’affaires ainsi que la signature des contrats dans des bars de loisirs sexuels et Festa 2004 sur l’utilisation du viagra comme « cadeau » facilitant les relations d’affaires).

En 2016, le salaire moyen d’une femme représentait 86 % de celui de ses confrères masculins60. Une nouvelle du 25 février 2017 annonçait que les femmes taïwanaises doivent donc travailler 52 jours de plus afin d’égaler le salaire de leurs confrères61. Ensuite, on remarque que les femmes sont surreprésentées dans le secteur des services et dans l’industrie cléricale et que peu d’entre elles travaillent comme législatrices, officielles supérieures ou

58 Cette liberté se manifeste, entre autres, dans le fait qu’elles ont plus de latitude pour choisir elles-mêmes leur

époux (Farris 2004 : 347).

59 Dans cette situation, il faut souligner que, pour la première fois dans l’histoire de Taïwan, les filles, au lieu

d’être un fardeau pour la famille (beaucoup de proverbes témoignent de cette idée de la fille comme fardeau. Par exemple : « élever une fille équivaut à jeter du riz » [嫁出去的女兒像潑出去的水 ou 女兒手心總是向外]. Cette conception est compréhensible puisqu’une fille quittera sa famille d’origine pour aller porter les petits- fils d’un autre lignage), deviennent aujourd’hui une main-d’œuvre de grande valeur.

60https://udn.com/news/story/7269/2306688, consulté le 25 février 2017. 61 https://udn.com/news/story/7269/2306688, consulté le 25 février 2017.

administratrices. On retrouve aussi moins de femmes que d’hommes dans les domaines professionnels (Haspels et Majurin 2008 : 32-33), administratifs (Simon 2003 : 9) ou dans les postes de pouvoir62 (voir Farris 2004 : 362-363, sur la place des femmes dans le monde de l’emploi).

Il est donc pertinent de s’intéresser à cette minorité de femmes qui a fait des études à l’étranger et qui est très qualifiée et active sur le marché de l’emploi. Ces femmes très qualifiées et actives sont peu enclines à quitter le marché du travail lors de la naissance d’un enfant. Depuis les années 1980, nous remarquons une hausse constante de la place des femmes sur le marché du travail (Tsai 2008 : 3)63 64. Il est connu que le mariage et la naissance des enfants sont des évènements qui amènent une diminution de la participation des femmes d’Asie orientale au marché du travail (Brinton 2001a,b)65 puisque les tâches liées aux soins reposent sur elles.

62 Voir Fan et Wu (2017) pour une discussion sur l’avancement de la place des femmes dans la politique

taïwanaise. Ces deux auteures montrent les progrès non négligeables des femmes en politique. Par exemple, nous retrouvons 30 % de femmes au parlement taïwanais (Fan et Wu 2017 : 314).

63 En effet, leur participation est passée de 10 % à 39,30 % en 1982 et a atteint 49,44 % en 2007 (Tsai 2008 :

3).

64http://statdb.mol.gov.tw/html/woman/104/104woanalyze01.pdf, consulté le 25 février 2017.

65 Voir Chang (2006) pour un portrait nuancé des raisons et des conditions qui favorisent ou défavorisent la

Image 4 – Participation sur le marché du travail par groupes d’âge

Il est à noter que la participation des femmes taïwanaises sur le marché du travail montre une courbe en « V inversé », contrairement au Japon ou à la Corée du Sud qui montre plutôt une courbe en « M ». Comme le rapporte Brinton (2001a), « [...] the reversed-V shape of the female labour force participation pattern by age group is a unique phenomenon of the Taiwanese labour market compared with other East Asian societies ». En effet, les femmes taïwanaises sont beaucoup moins enclines à quitter le marché du travail pour la naissance des enfants que leurs cousines nippones et coréennes66. Yi et Kao (1986) soulignent que les membres de la famille, comme le mari et les beaux-parents, ont une grande influence sur le fait que la femme continue à travailler ou pas. En effet, s’ils jugent que la maisonnée a besoin que la femme se consacre aux soins de la famille, cela risque de mettre en péril sa carrière. Cela est vrai, mais dans une moindre mesure, pour les femmes instruites, puisque le salaire qu’elles rapportent milite souvent en faveur du maintien à l’emploi. Malgré le haut taux

d’instruction des Taïwanaises et leur grande participation au marché de l’emploi, les congés octroyés aux mères ne sont toujours pas optimaux ni pour elles ni pour leurs enfants67. Dans cette situation, les femmes taïwanaises sont souvent forcées de retourner au travail très rapidement après avoir donné naissance68. Le manque de services de garde publics nuit aussi grandement aux mères, puisque ce sont elles qui seront amenées à sacrifier leur carrière lors de la naissance d’un enfant69 (voir par exemple les auteures suivantes pour des exposées sur les politiques familiales et le marché du travail taiwanais : Chen 2000 sur les changements opérés depuis les années 1980 en ce qui concerne l’emploi sous les pressions des groupes de femmes; Tsai 2008 et 2014 pour un exposé détaillé sur les modalités des congés parentaux; Yu 2005, 2009 sur les différences quant à la situation des femmes dans le monde de l’emploi taiwanais et japonais).