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CHAPITRE 1 – CONTEXTUALISER ET APPRÉHENDER L’IMPORTANCE

1.3 APPRÉHENDER LE SOUCI POUR LA BEAUTÉ

1.3.1 La collecte des données

1.3.1.1 Avec qui? L’échantillon

Je me suis posé la question à savoir pourquoi la beauté est importante pour des femmes urbaines et instruites. En effet, on pourrait croire que la beauté n’est pas si déterminante sur la réussite dans différentes sphères de la vie d’une femme titulaire d’un doctorat, par exemple. De plus, il serait aussi légitime de croire que des femmes ayant accomplies de telles études et ont probablement été confrontées à d’autres rapports au corps via divers séjours à l’étranger seraient critiques, sinon se distancieraient d’intenses préoccupations esthétiques. Mon échantillonnage est donc parti de ce questionnement. La présente thèse se centre donc sur ces femmes du Taipei Chic et ne peut donc pas être représentative de toutes les réalités socioéconomiques de Taiwan.

J’ai choisi des femmes vivant dans la capitale, Taipei, puisque cette ville est le centre politique, économique et culturel de Taïwan. Ensuite, le système éducatif taïwanais étant très compétitif, et le classement pour l’accès à l’université faisant l’objet d’un concours annuel, j’ai choisi de me concentrer sur ces femmes qui avaient obtenu un ou des diplômes de l’université la plus prestigieuse du pays, la National Taiwan University, et qui, par la suite, avaient, dans certains cas, poursuivi des études à l’étranger. Elles avaient toutes au minimum une maîtrise et certaines d’entre elles avaient complété un doctorat et des postdoctorats. Elles faisaient donc partie d’un groupe de privilégiées qui auraient pu miser sur leurs compétences plutôt que sur leur apparence.

Mon échantillon se divise en trois groupes qui représentent trois moments de leur vie. Des femmes non mariées (ayant un compagnon ou non), des femmes mariées, mais sans enfant, et des femmes mariées avec enfants (voir le tableau des répondantes en annexe 1). Mener des entretiens avec des femmes de ces trois groupes m’a permis de saisir les variations quant à la

place de la beauté, aux pratiques qui l’accompagnent et aux inégalités, selon le statut matrimonial et les moments de la vie.

J’ai rencontré 33 femmes non mariées, dont l’âge variait entre 25 et 50 ans. Elles avaient déjà terminé un diplôme de maîtrise, certaines étaient sur le marché du travail, et d’autres poursuivaient des études de troisième cycle. Leur horaire souvent moins chargé que celui des femmes ayant une famille explique qu’elles sont plus nombreuses dans le groupe étudié. Les répondantes mariées, mais sans enfants, sont au nombre de 17, âgées entre 27 et 40 ans. Rejoindre ces femmes a exigé un effort particulier92, ce qui explique leur plus petit nombre. Elles occupent toutes un emploi, sauf une répondante qui poursuivait des études de doctorat. Les répondantes mariées et avec enfants sont au nombre de 19 et sont âgées entre 29 et 50 ans. L’arrivée des enfants suit généralement rapidement le mariage dans une société où la période de fréquentation est très longue et où les couples se marient au moment d’avoir des enfants. Ces répondantes avec enfants occupent un emploi, à l’exception d’une93.

Le total des répondantes est de 69. Sur ce nombre, 21 avaient poursuivi au moins un de leurs diplômes dans une université étrangère. J’ai remarqué que les femmes qui avaient étudié à l’étranger étaient plus critiques de la réalité taïwanaise et avaient souvent développé un autre rapport au corps que les femmes qui n’avaient quitté Taïwan que pour des voyages de plaisance. La distanciation ou la mise en perspective que les femmes ayant étudié à l’étranger sur une longue période pouvaient avoir acquise rendait leur récit très riche.

On pourrait se poser la question à savoir si les qualifications des femmes avec lesquelles j’ai travaillé exigeaient que j’adopte l’approche du studying up (voir, entre autres, Nader 1999, sur le studying up). Le déroulement de l’étude m’a convaincue que cette approche ne s’appliquait pas. C’est souvent avec un accueil généreux en temps et en énergie que ces femmes se sont impliquées dans nos échanges. Certaines m’ont d’ailleurs affirmé vouloir « aider » une jeune chercheure; elles semblaient conscientes des défis que posent une recherche qualitative et (很辛苦 hen xinku) la quête de répondantes (certaines d’entre elles

92 En effet, les Taïwanais ont tendance à avoir des enfants tôt après le mariage. Il me fallait donc rencontrer des

femmes qui, majoritairement, venaient de se marier.

93 Cette répondante est la mère d’une autre femme que j’ai rencontrée dans le cadre de cette recherche et qui

m’a mise en contact avec plusieurs autres femmes. Lorsqu’elle me proposa d’interviewer sa mère, j’ai accepté, d’abord par gêne de refuser, puis j’ai réalisé que cette femme au foyer de 50 ans me permettait justement (tout comme d’autres témoignages informels recueillis) de cerner que l’intensité de la préoccupation actuelle pour la beauté est un phénomène nouveau.

avaient mené de telles recherches dans le passé). D’autres, surtout celles se disant très intéressées par le féminisme94, ont manifesté beaucoup d’enthousiasme pour mon sujet qu’elles trouvaient d’une grande pertinence. D’autres jeunes femmes avec qui j’ai travaillé, étaient doctorantes, soit à la National Taiwan University, soit elles étaient de passage à Taïwan et étudiaient dans des universités américaines. D’autres encore revenaient à peine à Taïwan après un doctorat à l’étranger (France, Royaume-Uni ou Allemagne). Elles m’ont donné l’impression que nous échangions d’égal à égal et n’hésitaient pas à me retourner certaines questions pour mieux comprendre d’où je venais. Je n’ai donc pas éprouvé de difficulté d’accès aux répondantes comme l’ont noté des auteurs s’étant intéressés au

studying up (voir, entre autres, Gusterson 1997).

À mon retour au Québec, je suis restée en contact avec plusieurs de mes répondantes via Facebook et Skype. J’ai donc, en quelque sorte, poursuivi le terrain virtuellement puisque leur utilisation de Facebook, surtout pour afficher des photographies d’elles-mêmes, et les commentaires que suscitent ces photographies ont aussi été pris en compte en tant que matériel à analyser.