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L’apprentissage dans le sillage des politiques publiques

CHAPITRE 5 : Définition et enjeux d’une politique publique

2. LES ENJEUX LIÉS À L’ANALYSE DES POLITIQUES PUBLIQUES

Procéder à une analyse des politiques publiques suppose de s’interroger, au préalable, sur deux questions : l’une théorique, l’autre pratique. Premièrement, quelles conditions ont précédé à la transposition d’enjeux collectifs et de problèmes de société en objets de politiques publiques ? Quand ces préoccupations sociétales sont-elles apparues sur l’agenda politique ? Deuxièmement, quels types de représentations, de savoirs et de perceptions soutiennent ces processus décisionnels ? Autrement dit, sur la base de quels référentiels prend appui l’intervention publique ?

2.1. LES PRÉALABLES À L’INTERVENTION PUBLIQUE

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Parmi l’ensemble des conflits, des difficultés sociales et des aspirations collectives, seule une petite partie de ces problèmes est portée sur la scène politique pour être prise en charge et gérée. Ce processus de sélection s’effectue à partir de critères bien précis. Un premier a trait à la répartition des compétences légales entre les différentes autorités concernées par un problème social. La nature du problème soulevé conditionne également la procédure de mise sur l’agenda politique. Aucune question n’étant par essence même politique, « les caractéristiques qui facilitent la prise en compte d’un problème de société par une instance politique, sont liées en fait aux représentations qu’il génère, dans un univers de croyances donné. Sentiment, partagé par les intéressés ou leurs représentants, que quelque chose "ne va pas", et que cette situation est remédiable par les Pouvoirs Publics »200. Pour ce faire, des acteurs sociaux représentatifs (associations, syndicats, élus…) se saisissent de cette question et la traduisent en langage politique afin de lui offrir une visibilité sociale. Enfin, un problème social ne devient l’objet d’une politique publique qu’à condition que les acteurs qui s’en sont saisi parviennent à mobiliser l’instance gouvernante autour de ce problème. Cette mobilisation peut être imposée de l’extérieur par des acteurs non officiels comme provenir de la sphère gouvernementale elle-même.

Une fois sélectionné, un problème social est traduit en politique publique à partir d’un référentiel que Philippe Braud définit comme étant « un ensemble de perceptions, de normes et de valeurs à partir duquel se trouvera construit un problème à traiter et définis les cadres de l’action envisageable »201. Les sources statistiques diverses (INSEE, CREDOC, observatoires, etc.) comme les enquêtes de terrain constituent autant de sources d’informations qui conditionnent la manière dont le problème est défini et va être pris en charge. Parallèlement à ces vecteurs faisant appel à l’expertise, d’autres livrent les inquiétudes et les attentes des groupes sociaux concernés, des organisations syndicales et professionnelles en particulier. Cependant, comme le montre justement Philippe Braud, « l’information prise en compte dépend largement de la capacité de chaque partie à s’imposer institutionnellement dans le processus d’analyse et d’examen »202. Par ailleurs, le référentiel d’une politique publique se construit toujours dans les représentations entre un secteur bien précis, comme celui de l’emploi et de la formation professionnelle, et la société dans son ensemble (France, Europe,

200 Braud, P. (1998). Sociologie politique, op. cit., p. 492. 201 Ibid. p. 495.

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reste du monde). Tout l’enjeu d’une politique publique est donc de parvenir à gérer les désajustements à l’œuvre dans certains secteurs avec leur environnement, à savoir la société globale, en procédant à des découpages sectoriels socialement et politiquement construits. Ainsi, comme en rend compte Pierre Muller, le référentiel d’une politique publique tient un double rôle : « Opérer un décodage du réel grâce à l’invention d’opérateurs intellectuels qui permettent de diminuer l’opacité du monde en définissant de nouveaux points d’appui pour agir ; opérer un recodage du réel à travers la définition de modes opératoires susceptibles de définir un programme d’action politique. »203

2.2. LES MODALITÉS DE L’INTERVENTION PUBLIQUE

Afin de délimiter les contours du problème à traiter, d’évaluer les ressources humaines, matérielles et financières disponibles et de déterminer le moment le plus propice, conjoncturellement parlant, à la mise en œuvre concrète d’une politique publique, deux schémas d’analyse classiques sont connus. Le premier est celui de l’analyse séquentielle, notamment établie par Charles Jones, visant à « offrir un découpage idéal-typique du processus d’élaboration et de mise en œuvre » en vue de « clarifier la vision d’ensemble des multiples opérations rattachables au processus »204. Après avoir identifié et délimité le problème à prendre en charge par un travail d’organisation des acteurs, de réflexion et d’analyse, des experts évaluent la faisabilité et les effets potentiels que peuvent avoir les différents scénarios élaborés par les acteurs politiques à la fois sur les organes décisionnaires et sur l’opinion publique. Sur la base du scénario retenu sont alors mises en œuvre, puis évaluées, les décisions prises. À l’origine, l’évaluation de l’action des pouvoirs publics se limitait à une simple comparaison entre les objectifs préalablement définis et les résultats obtenus, ne tenant pas compte de deux principes fondamentaux : le fait que les intentions d’actions proclamées ne soient pas systématiquement suivies d’effets, et le fait que les objectifs puissent être reformulés – pour tenir compte des réactions émises sur le terrain – au cours de la mise en œuvre de la politique. En outre, ce type d’analyse ne tenait pas compte non plus du coût des moyens déployés au regard de l’intérêt des objectifs fixés. Depuis, de nouvelles approches (calcul d’optimisation des ressources utilisées), soutenues par des indicateurs quantitatifs plus précis, ont révolutionné les méthodes d’évaluation. Enfin, lorsque

203 Muller, P. (1990). Les Politiques publiques. Paris : PUF, p. 44. 204

le problème social est résolu, mais plus généralement lorsque les moyens alloués sont épuisés, le programme d’action est clôturé.

Le second schéma d’analyse utilisé dans le cadre des politiques publiques est celui de l’analyse stratégique, en termes de coûts et profits politiques. Celle-ci tient compte de l’ensemble des contraintes d’ordre institutionnel, financier, technique et juridique qui pèsent sur l’intervention publique, ainsi que des conflits d’intérêts à l’œuvre entre les différents groupes sociaux, afin de « mieux comprendre les facteurs déclenchants et les incidents de parcours subis par une politique sectorielle quelconque »205. Suivant cette approche, les coûts et les bénéfices d’une politique publique peuvent être concentrés au sein d’un groupe bien identifié comme être déployés dans l’ensemble des groupes sociaux.

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