• Aucun résultat trouvé

Niveau V Niveau IV Total niveaux V et

2. À LA RECHERCHE D’UN PARADIGME POUR UNE ÉVALUATION DE L’ÉFFICACITÉ DE LA FORMATION PAR APPRENTISSAGE SUR

2.1. LE CHOIX PARADIGMATIQUE DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES

Alors qu’Émile Durkheim constitue l’ancêtre fondateur du courant des représentations collectives, Serge Moscovici est celui qui en sera réellement l’initiateur. Durkheim considère la notion de « représentation collective » comme étant radicalement différente des « représentations individuelles » et renvoyant à des processus mentaux davantage en lien avec les sociétés dites « mécaniques », « communautaires » ou « traditionnelles ». Moscovici s’intéresse davantage à la genèse des représentations et au passage des représentations interindividuelles aux représentations qualifiées de sociales. C’est en cela que cet auteur nous intéresse particulièrement. Partant du principe que les « propositions, réactions ou évaluations sont organisées de manières fort diverses selon les classes, les cultures ou les groupes et constituent autant d’univers d’opinions qu’il y a de classes, de cultures ou de groupes », Moscovici distingue trois dimensions propres à chaque univers : « l’attitude, l’information et le champ de représentation ou l’image. »145 L’« information » a trait à l’organisation des connaissances d’un groupe autour d’un objet social. Dans le cadre de notre recherche, l’objet social en question est représenté par la formation par apprentissage. On parle de « dispersion » de l’information lorsque les acteurs sociaux manquent de données objectives sur l’objet de la représentation. Le « champ de représentation » renvoie à un aspect précis de l’objet de la représentation. Alors que l’accent peut être mis sur certains traits de l’objet, le groupe peut décider d’en occulter d’autres qui lui paraissent inadaptés à son système de valeurs. Enfin, l’« attitude » finalise l’orientation globale du groupe par rapport à l’objet de la représentation sociale, devant aboutir à un consensus sur le contenu de la représentation sociale. Après avoir procédé à la comparaison du contenu et du degré de cohérence de l’information, du champ de représentation et de l’attitude, il revient d’étudier le clivage des

145

groupes étudiés en fonction de leur représentation sociale (clivage pouvant être d’ordre socioculturel, professionnel, idéologique, politique, générationnel, genré, religieux…). En particulier, « la catégorisation du féminin et de masculin est […] présente […] dans toutes les sociétés humaines. Comme le suggère Françoise Héritier, elle est connectée à l’une des formes élémentaires de la pensée, qu’elle soit anthropologique, littéraire, mythique, religieuse ou scientifique […]. Réfléchir à cette distinction, c’est donc entrer dans l’approfondissement des grands ensembles de représentations et de savoirs »146.Cette procédure est à l’œuvre dans les méthodes d’enquêtes utilisées en sociologie, lesquelles invitent à prendre quelques précautions au niveau de l’interprétation des données recueillies. En effet, « une personne qui répond à un questionnaire ne fait pas que choisir une catégorie de réponses ; elle nous transmet un message particulier […]. Cette personne est parfaitement consciente de ce qu’en face d’un autre enquêteur, ou dans d’autres circonstances, son message serait différent […]. Le processus usuel d’interaction seul est en cause qui donne du relief à tel ou tel aspect du problème discuté ou commande l’emploi du code adapté au rapport fugace noué à cette occasion. C’est ce processus qui mobilise, et donne un sens aux représentations dans le flux des relations entre groupes et personnes »147.

Jean-Marie Seca ajoute une idée supplémentaire à la théorie des représentations sociales. Selon lui, « la réalité d’une représentation est telle que sa définition peut varier en fonction de la perspective adoptée par ou tel chercheur. On peut l’étudier lorsqu’elle émerge, dans ses fonctions de communication, dans sa structure ou dans ses liens avec les rapports sociaux »148. Mais dans tous les cas, la pertinence du recours à la théorie des représentations sociales dans une enquête sociologique dépend de plusieurs éléments inhérents au sujet de l’étude. Tout d’abord, pour parler de représentation, il faut impérativement que l’objet auquel elle est rapportée soit défini de diverses manières par les acteurs sociaux. L’objet doit constituer un enjeu public, source de questionnements et de divergences. De plus, l’objet de la représentation doit impliquer plusieurs groupes d’individus interdépendants, coopérant afin d’atteindre leur objectifs. Enfin, la représentation doit faire référence à la régulation orthodoxe d’un collectif professionnel ou confessionnel. Afin de pouvoir être qualifiée de sociale, Touraine ajoute que l’étude d’une représentation doit être rapportée à une dynamique sociale, ce qu’il théorise à travers les notions d’« identité, d’« opposition » et de « totalité ».

146 Seca, J-M. (2001). Les Représentations sociales. Paris : Armand Colin, p. 148. 147 Moscovici, S. (1961). La Psychanalyse..., op.cit., pp. 47-48.

148

Le principe d’« opposition » fait état de l’influence d’acteurs ou d’institutions antagonistes qui contestent la vision du groupe étudié. Le concept de « totalité » oblige à penser le système de représentation par rapport à une structure sociale. Ainsi, le champ éducatif, qui constitue l’objet de cette recherche, peut être décrit « à partir d’articulations entre des pratiques pédagogiques, réglementaires, des organisations (lycées, instituts, universités), des institutions étatiques (ministères) et des représentations diverses tant au plan des attentes qu’à celui des valeurs à transmettre ou des disciplines enseignées. Ce type de recherche implique, par conséquent, la prise en considération du caractère pluriréférentiel des transactions éducatives et des phénomènes à approfondir »149.

Théoriser l’apprentissage revient donc à se situer au carrefour de facteurs sociaux, économiques, culturels, historiques et politiques. En étudier les représentations implique de dérouler les fils de chacun de ses composants. Trois modes d’approches des représentations sociales relatives à l’apprentissage peuvent être mis en place :

- les représentations qui agissent chez ceux qui en sont les bénéficiaires (jeunes). Quelle vision les jeunes ont-ils de ce type de formation ? Être apprenti confère t-il une représentation particulière de soi-même, une identité singulière ? Comment les apprentis sont-ils perçus par les autres ? Comment les jeunes expliquent-ils leur entrée en apprentissage, leur choix de cette formation ? Comment envisagent-ils leur avenir ?;

- les représentations qui agissent chez ceux qui en sont les utilisateurs (entreprises, organismes de formation). Quelle perception ont-ils de l’apprentissage ? Pourquoi y recourent-ils ou non ? Quelle représentation ont-ils de leur rôle et de leurs pratiques ?; - les représentations qui agissent chez ceux qui en sont les initiateurs et les gestionnaires (État, Région, partenaires sociaux, chambres consulaires, etc.). Quelle perception ont-ils de l’efficacité de la formation par apprentissage ?

Deux processus gouvernent l’émergence et l’organisation d’une représentation sociale : l’objectivation et l’ancrage. L’objectivation « permet à un ensemble social d’édifier un savoir commun minimal sur la base duquel des échanges entre ses membres et des avis peuvent être émis »150. L’ancrage, qui complète le mécanisme d’objectivation, « permet l’utilisation

149 Ibid. p. 51. 150

concrète et fonctionnelle de l’objet de RS, qui est parallèlement filtré, décontextualisé, schématisé et naturalisé »151. Il permet également « aux éléments représentés d’être transformés en fonction des types de rapports sociaux et diversement formulés dans les multiples strates de la société »152. Dans cette optique, l’apprentissage exprime et incarne un attribut des groupes sociaux (apprentis, formateurs, employeurs, institutionnels, etc.), des relations entre ceux-ci (tensions, conflits, concurrence, etc.) et un système de valeurs. C’est pourquoi, d’un point méthodologique, « l’usage successif de plusieurs techniques de construction des données est préférable : observation, participation plus ou moins périphérique aux pratiques, passation de questionnaires, études d’archives, de récits, de compte rendus, entretiens compréhensifs. Ce dispositif monographique implique une analyse pluriréférentielle […] et la prédominance de l’interprétation aux dépens de l’explication hypothético-déductive […]. C’est […] par la multiplication des références analytiques et le recoupement entre elles, qu’elles soient d’ordre théorique, statistique ou empirique, que la synthèse descriptive autorise une reconstitution du sens »153.

Les représentations professionnelles, composées des idées partagées par des individus exerçant un même métier, sont d’abord fonctionnelles. Sous-tendues par des valeurs communes, elles mobilisent le sujet et l’engagent dans l’action. Ces représentations sont donc, de ce point de vue, à l’origine de la construction des identités professionnelles et garantissent l’unité des groupes intra et interprofessionnels : « Par identité, il faut entendre un ensemble de représentations mentales permettant aux individus de retrouver une cohérence, une continuité entre leurs expériences présentes et celles du passé. C’est l’identité du soi. Mais de telles structures mentales ne peuvent être indifférentes aux représentations des autres sur soi. L’identité est aussi un système de repères conduisant à la découverte que l’on est proche de certains et différent des autres. C’est l’identité pour autrui. » Cette dernière s’analyse par « l’adhésion à des systèmes de valeurs, de normes et de logiques cognitives existant en un lieu donné, par rapport auxquels on se situe en distinguant ses propres modèles culturels de référence ». En ce qui concerne l’identité du soi, « ce sont […] des processus biographiques très liés aux parcours de l’emploi, de la formation, mais aussi d’autres caractéristiques d’ethnie, de sexe, de classe et de parenté, qui donneront du sens à cette dynamique

151 Ibid. p. 65. 152 Ibid. p. 67. 153

fondamentale de l’identité »154. Par ailleurs, ces représentations sont spécifiques, puisqu’elles sont élaborées par les acteurs dans les actions et interactions professionnelles qui les contextualisent.

2.2. LE CADRE CONCEPTUEL DE LA CONSTRUCTION DES IDENTITÉS

Documents relatifs