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L’apprentissage dans le sillage des politiques publiques

CHAPITRE 6 : Les politiques publiques d’emploi et de formation

4. L’INTÉGRATION DE LA FORMATION DANS LES POLITIQUES DE L’EMPLO

Comme le souligne Dutheillet de Lamothe, « la seconde évolution majeure des politiques de l’emploi au cours des trente dernières années a été l’intégration progressive de la formation professionnelle dans ces politiques »273. Initialement conçue comme un objectif en soi et un vecteur de promotion sociale indépendant de l’emploi – puisque les discours tout comme les structures et les personnels de la formation professionnelle étaient autonomes –, cette formation s’est progressivement vue intégrer aux politiques de l’emploi par le biais de deux concepts fondamentaux : celui d’employabilité et celui de formation tout au long de la vie. L’année 1997 marque la fusion, sur le plan politique, de la Délégation à la formation professionnelle avec celle de l’emploi dans une seule et même entité : la Délégation générale à l’emploi et la formation professionnelle.

4.1. UNE INTERPÉNÉTRATION PROGRESSIVE DU SYSTÈME DE FORMATION ET DES POLITIQUES D’EMPLOI

Trois étapes balisent le processus d’intégration de la formation professionnelle dans les politiques de l’emploi. Jusqu’en 1970, la formation professionnelle était perçue comme un outil de promotion sociale. 1919 est une année charnière, puisque la loi Astier consacre l’enseignement technique en posant les premiers jalons de la formation professionnelle des ouvriers, et autorise pour la première fois de l’histoire le principe du pluralisme des organismes chargés de la formation et celui de l’alternance pédagogique entre cours théoriques et apprentissage en entreprise. L’apprentissage est ainsi lancé avec la loi de finances, en 1925, qui institue le système de la taxe d’apprentissage, égale à l’époque à 0,2% de la masse salariale des entreprises. Bien que la loi Debré de 1959 soit destinée à faciliter la

272 De Foucauld, J-B. & Thévenot, L. (1995). « Évolution des politiques sociales et transformation de l’action publique », in Ardenti, R. et al. Les Politiques publiques d’emploi et leurs acteurs. Cahiers du Centre d’Études de l’Emploi. Paris : PUF, pp. 331-332.

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promotion individuelle – tel était l’objectif de la formation professionnelle jusque là –, les difficultés économiques des années 1960 vont rapidement modifier l’ordre des priorités et faire de la formation professionnelle continue un outil de reconversion des salariés et de réponse aux besoins en personnel qualifié. C’est ainsi que la formation professionnelle est identifiée et désignée par le Ve Plan (1966-1970) comme « un moyen essentiel d’une politique active de l’emploi ».

Est, à ce titre, institué en 1966 le droit au congé de formation. Débute alors la création par les partenaires sociaux du système français de formation professionnelle. L’intégration de la formation professionnelle parmi les thèmes des accords de Grenelle en mai 1968 lui ouvre les portes du paritarisme, établissant les partenaires sociaux comme acteurs à part entière de l’élaboration, du financement et de la mise en œuvre de la formation professionnelle. La signature de l’accord national interprofessionnel du 3 juillet 1991 relatif à la formation et au perfectionnement professionnels en témoigne. Cependant, depuis la création en 1968 des fonds d’assurance-formation, le paysage des organismes collecteurs n’a cessé de se complexifier. Par ailleurs, les négociations nationales interprofessionnelles engagées en 2000 par les partenaires sociaux sur la réforme de la formation professionnelle ont abouti à un échec en 2001, n’autorisant pas la réorganisation du système de formation professionnelle sur la base d’un droit à la formation tout au long de la vie. Cet échec semble attester de l’incapacité du système de formation professionnelle à se réformer par la négociation entre partenaires sociaux. L’accord national interprofessionnel du 5 décembre 2003 relatif à l’accès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle témoigne finalement d’une forte capacité de négociation collective, soutenue par la signature de 800 accords de branche depuis début 2004. Les partenaires sociaux ont, en effet, rassemblé dans le cadre d’un document unique, les dispositions en vigueur de l’accord national interprofessionnel du 3 juillet 1991 et celles de l’accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003. La première partie fixe les conditions d'accès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle, et la seconde situe la place de la formation initiale technologique et professionnelle en particulier l'apprentissage.

La formation professionnelle a une nouvelle fois fait l’objet, en 2004, d’une profonde réforme : la loi du 4 mai relative à la formation professionnelle et au dialogue social. Issue de deux ans de concertation et de négociation entre les partenaires sociaux, cette loi fixe un cadre et une nouvelle réglementation, ainsi qu’une marge de manœuvre dans les entreprises, les

organisations professionnelles et les instances interprofessionnelles nationales et territoriales. Cette réforme s’est traduite par un ensemble de nouveaux concepts et de principes de gestion et de développement des compétences qui s’imposent aux entreprises : un droit individuel à la formation, dans un accompagnement de parcours individualisés ; la délimitation d’actions prioritaires dans le cadre du plan de formation des entreprises ; la mise en place de contrats et de périodes de professionnalisation ; la définition de publics cibles ; une typologie des modalités de formation ; et une augmentation de l’obligation légale de financement, notamment pour les TPE. Afin de financer ces nouveaux dispositifs, les contributions des employeurs sont augmentées et redéployées. De plus, le rôle des partenaires sociaux a été élargi dans le cadre de cette réforme. La loi laisse, en effet, aux branches professionnelles la possibilité d’adapter certaines dispositions aux besoins et spécificités de leurs secteurs d’activité. Cependant, en raison d’un retour sur investissement jugé insuffisant des sommes engagées, d’un financement opaque des organismes collecteurs et surtout d’un accès à la formation très inégalitaire selon les salariés et les entreprises, l’actuel gouvernement prépare une profonde refonte du dispositif.

4.2. LES LIMITES DU SYSÈME FRANÇAIS DE FORMATION PROFESSIONNELLE

Les limites du système français de formation professionnelle sont liées à son coût, son caractère inégalitaire et son opacité. En ce qui concerne, tout d’abord, le financement des dépenses consacrées à la formation professionnelle, les entreprises en sont les premiers financeurs. Arrivent ensuite les contributions de l’État et des Régions qui ont en charge, depuis le 1er janvier 1999, l’ensemble des formations – qualifiantes et pré-qualifiantes – des jeunes. En 2005, les entreprises finançaient la formation professionnelle à hauteur de 41%, les Régions et les collectivités en tant qu’employeurs à hauteur de 33%. L’État, quant à lui, ne contribuait qu’à hauteur de 17% à l’ensemble des dépenses concernant la formation professionnelle. Ces dépenses se répartissent entre trois types de publics : les jeunes en formation en alternance-apprentissage (15%); les demandeurs d’emploi et tous les publics dits « en difficulté » (13%); et les actifs occupés (salariés du secteur privé et agents de la fonction publique) qui représentaient la part la plus importante des bénéficiaires en 2005 (62%). Parmi les dépenses en faveur des jeunes, l’apprentissage mobilise la majeure partie des crédits alloués (4 milliards d’euros parmi les 6,3 milliards consacrés aux jeunes en 2005).

Ensuite, d’importantes inégalités d’accès à la formation professionnelle subsistent. En effet, « malgré les sommes considérables ainsi consacrées à la formation professionnelle, force est de constater que très peu de salariés en bénéficient et que ceux qui en ont le plus besoin n’en bénéficient pas »274, écrivait Dutheillet de Lamothe en 2002. Trois types d’inégalités vis-à-vis de l’accès à la formation étaient particulièrement à l’oeuvre : les inégalités d’accès en fonction des catégories socio-professionnelles, celles en fonction du diplôme et celles en fonction de la taille de l’entreprise. En effet, les salariés les plus qualifiés bénéficiaient en priorité des formations financées par les employeurs. De plus, les personnes sans diplôme étaient systématiquement moins souvent formées que les autres. Enfin, les salariés des petites entreprises étaient, dans l’ensemble, moins formés que ceux des moyennes et grandes entreprises. Une étude publiée par le CEREQ en août 2008 montre, en revanche, que le DIF (Droit individuel à la Formation), issu de la loi sur la formation professionnelle de 2004, constitue un vecteur de réduction des inégalités d’accès à la formation. Cette étude indique que le DIF, en offrant un droit égal d’accès à la formation pour tous, a permis de réduire les inégalités habituellement constatées en matière de formation continue. Avant la réforme et la création du DIF, seuls 13% des personnels des entreprises de 10 à 19 salariés accédaient à la formation alors même qu'ils étaient plus de 50% dans les entreprises d'au moins 500 salariés, et 9% des ouvriers des entreprises de petite taille se formaient contre près de 65% des cadres des grandes entreprises. En 2006, 41% des salariés ont accédé à la formation, tous secteurs confondus. Par contre, l'accès à la formation reste très corrélé à la taille de l'entreprise. En effet, en 2006, les petites entreprises de 10 à 19 salariés ont eu un taux d'accès à la formation quatre fois inférieur à celui des très grandes entreprises de plus de 2000 salariés (13% contre 58%). Toutefois, il est constaté que lorsqu’une petite entreprise recourt au DIF, elle donne plus facilement accès à ce dispositif à ses salariés qu’une grande entreprise. Ainsi, 21% des salariés des entreprises de moins de 20 salariés ayant recours au DIF ont eu accès à la formation par ce dispositif, contre 5% des salariés des entreprises de 2000 salariés dans le même cas. Enfin, la catégorie socio-professionnelle dont le taux d’accès à la formation est le plus élevé est celle des techniciens et agents de maîtrise (58%), suivie de près par les ingénieurs et cadres (56%). Viennent ensuite les employés et ouvriers (respectivement 33 et 30%). Néanmoins, parmi les entreprises qui ont pratiqué le DIF, la disparité d'accès à ce dispositif entre ouvriers et cadres paraît réduite. D’après les conclusions de cette étude, le taux d'accès à la formation semble donc s'accroître plus fortement dans les entreprises qui

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recourent au DIF, et cette augmentation est plus forte pour les catégories d'emploi les moins qualifiées275.

Pour finir, le caractère opaque du système français de formation professionnelle est double : d’un côté, on constate une opacité des organismes de collecte des fonds, entre les OPCA nationaux professionnels de branche et les OPCA interprofessionnels nationaux ou régionaux gérés par la CGPME ou le MEDEF ; et d’un autre côté, on remarque une opacité des organismes de formation présents sur le marché de la formation professionnelle, entre les organismes de droit privé à but lucratif et ceux à but non lucratif.

4.3. L’AVENIR DU SYSTÈME FRANÇAIS DE FORMATION PROFESSIONNELLE : LE DROIT À LA FORMATION TOUT AU LONG DE LA VIE

Le droit à la formation tout au long de la vie s’appuie sur deux idées principales : sur le fait que, compte tenu des mutations technologiques et de la mondialisation, l’emploi à vie dans la même entreprise ne peut plus exister, et sur le fait que dans un tel contexte le travail et l’expérience professionnelle accumulés sont des éléments formateurs à prendre en compte dans l’évolution des parcours professionnels des individus. Face à l’obligation de changer plusieurs fois de métiers au cours de leur vie professionnelle, les salariés doivent développer leur capacité d’adaptation et en appellent à une sécurité nouvelle qui leur permette d’assurer leur employabilité tout au long de leur carrière professionnelle. La réponse ainsi apportée est celle d’une reconnaissance de l’expérience professionnelle par le biais d’une qualification, communément appelée validation des acquis professionnels. Dans l’ensemble des pays européens, validation des acquis de l’expérience et formation tout au long de la vie vont de pair. Mais en France, la valeur accordée aux diplômes traditionnels ralentit considérablement la mise en œuvre d’un droit à la formation tout au long de la vie.

Afin que puisse être mis en application ce droit à la formation tout au long de la vie, deux éléments complémentaires sont essentiels. Un accès large et équitable aux formations qualifiantes tout au long de la vie professionnelle est, tout d’abord, nécessaire. Or, comme nous l’avons indiqué un peu plus haut, cela est encore loin d’être le cas en France. Mais un accès massif aux formations qualifiantes ne suffit pas. Un système de validation des acquis de

275 Marion-Vernoux, I. & Théry, M. avec la collaboration de Gauthier, C. et de Sigot, J-C. (2008). « Le DIF, un outil pour réduire les inégalités d’accès à la formation continue », CEREQ, n°255.

l’expérience doit permettre aux salariés d’assurer une reconnaissance de leurs compétences professionnelles, acquises à la fois dans leur travail et lors de la formation continue, par le biais de titres professionnels de valeur égale à celles des diplômes délivrés par l’Éducation nationale. De nombreux outils existent déjà (congé individuel de formation, CIF, bilan de compétences, DIF…), aux décideurs politiques d’en assurer la cohérence afin de garantir ce droit à la formation tout au long de la vie.

Le contrat d’apprentissage constitue une politique de formation en alternance mais aussi un type de contrat de travail à part entière. C’est pourquoi le fait d’avoir appréhender la notion de politique d’emploi et de formation dans ce chapitre va nous permettre de comprendre les différents enjeux autour du contrat d’apprentissage en région Poitou-Charentes. Cette question sera au cœur du prochain chapitre. Nous distinguerons, tout d’abord, les politiques d’emploi et de formation décidées par l’État et appliquées en région, du contrat d’apprentissage. Nous situerons ensuite la place de l’apprentissage dans la politique régionale de formation professionnelle. Enfin, nous mettrons en évidence les stratégies et objectifs de développement de l’apprentissage en région.

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