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APPRENTISSAGE / EMPLOI : QUEL LIEN DANS LES REPRÉSENTATIONS ET LE VÉCU DES ACTEURS TERRITORIAUX ?

Niveau V Niveau IV Total niveaux V et

3. APPROCHE QUALITATIVE DE LA PLACE DE L’APPRENTISSAGE DANS LA RELATION FORMATION-EMPLO

3.1. APPRENTISSAGE / EMPLOI : QUEL LIEN DANS LES REPRÉSENTATIONS ET LE VÉCU DES ACTEURS TERRITORIAUX ?

L’objectif de ce paragraphe est de rendre compte des modalités d’insertion des apprentis en faisant appel, non plus à des éléments objectivables, mais à des informations qualitatives.

3.1.1. De la formation à l’emploi, en passant par l’apprentissage

La perception de l’apprentissage a évolué dans l’esprit des chefs d’entreprise, notamment depuis les difficultés de recrutement auxquels certains se trouvent confrontés :

« Auparavant, l’apprentissage était un peu une coutume. L’entreprise formait des apprentis depuis tant d’années donc le chef d’entreprise continuait. »168

Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Ce changement de mentalité n’est pas sans conséquence. La tradition a laissé la place à une véritable pratique de pré-recrutement. Le contrat d’apprentissage est largement perçu par les employeurs comme une période d’essai de longue durée au cours de laquelle le jeune confirme ou infirme son intérêt pour le métier et l’entreprise évalue le jeune.

L’apprentissage est « un test grandeur nature sur deux ans des capacités professionnelles de quelqu’un. […] Cela permet de juger la personne, sachant qu’au terme du contrat, le but du jeu est de l’embaucher »169.

Le contrat d’apprentissage étant un contrat de travail, on peut donc considérer qu’en y accédant, le jeune accède à son premier emploi.

L’apprenti est un salarié à part entière d’une entreprise :

« Nous sommes considérés comme des salariés à 100%, même à 200% puisque l’on se donne davantage qu’un commercial normal. On est jeune, on

168 Entretien réalisé avec un chargé de développement en poste dans un CFA appartenant au secteur du bâtiment. 169

a envie de prouver qu’on peut nous faire confiance, que notre tuteur ou tutrice soit fier de nous, que l’école soit fière de nous. »170

« Quand j’étais en BP, pour moi, je n’étais pas un apprenti. J’allais à l’école pour apprendre mais quand j’étais au travail, je me considérais comme un ouvrier. »171

Ce déplacement du statut de la formation à l’emploi constitue un autre moyen de valorisation personnelle.

Une des visées de l’apprentissage est de faire en sorte que les apprentis créent une activité immédiate, une main-d’œuvre immédiate, avec l’objectif qu’ils deviennent par la suite des chefs d’entreprise172.

Cependant, « les technologies avancent tellement vite qu’il faudrait pouvoir prévoir des formations à dix ou quinze ans, alors qu’aujourd’hui on essaie de boucher. On forme des gens à des métiers qui existent encore actuellement mais qui n’existeront plus dans quelques années », déplore un employeur.

Il n’est pas surprenant de constater que les projets professionnels des apprentis tournent majoritairement autour de la création d’entreprise. La simple pensée de créer son entreprise procure une immense fierté aux jeunes :

« Avoir son nom sur l’entreprise, pour moi, c’est important. J’en ai envie. C’est une fierté de monter son entreprise. »173

Par conséquent, il est important de valoriser cet aspect de l’apprentissage qu’est la création d’entreprise puisqu’elle correspond au désir d’indépendance des jeunes. Ces discours vont cependant à l’encontre des souhaits des employeurs pour lesquels l’apprentissage constitue un véritable "vivier" de repreneurs potentiels d’activités.

170 Entretien réalisé auprès d’une apprentie en 2e année de BTS dans le secteur du commerce. 171 Entretien réalisé auprès d’un apprenti en 2e année de BM de boulangerie.

172 Entretien réalisé auprès d’un Directeur de CFA relevant de la Chambre de Métiers et de l’Artisanat. 173

3.1.2. La perception de l’insertion des apprentis sur le marché du travail

Lorsque l’on aborde la question de l’insertion professionnelle, il est indispensable de pouvoir se situer à différentes échelles temporelles, symbolisées schématiquement par l’insertion à court et moyen terme et l’insertion à long terme. Un élément est relativement peu contestable : l’apprentissage, puisqu’il s’agit d’une formation sous contrat de travail, facilite l’insertion professionnelle immédiatement après la fin de la formation :

« Pour pouvoir accéder à l’emploi, il faut deux choses : la reconnaissance du milieu de la formation et la reconnaissance du milieu professionnel. L’accès à l’emploi est facilité et facilitant le jour où vous avez le diplôme qui correspond au métier visé et la reconnaissance du milieu professionnel. C’est pour cela que des jeunes qui ont bien été formés dans le cadre de l’apprentissage, sont des jeunes qui rebondissent vite sur le marché de l’emploi. Ils ont les deux reconnaissances. »174

Globalement, « on s’aperçoit que l’apprentissage mène à l’emploi. J’aurais tendance à croire que ce sont des chiffres qui vont évoluer vers un taux d’emploi encore plus prés du 100% »175.

L’insertion des apprentis est si rapide qu’elle intervient quelquefois avant la fin des études, notamment dans les niveaux supérieurs. Ces jeunes trouvent du travail très rapidement, sans rechercher parfois.

À la suite de leur insertion dans le monde du travail, certains apprentis évoluent rapidement au sein de l’entreprise qui leur a permis de décrocher leur premier emploi. C’est notamment le cas d’une jeune fille titulaire d’un BP dans le secteur de l’hôtellerie-restauration qui, un an après avoir été recrutée au sein d’un restaurant gastronomique, a signé un nouveau contrat pour être chef de rang durant une année. Ce type de parcours est étroitement lié au degré d’ambition du jeune.

174 Entretien réalisé avec une conseillère en mission locale. 175

S’agissant de cette jeune fille, ses parents expliquent qu’« elle avait acheté le guide des grands restaurants gastronomiques et avait envoyé 21 demandes d’emploi à Marseille, Paris, Cannes… Elle avait sélectionné Cannes et Paris. C’est elle qui a choisi son patron. Elle a eu son BP en octobre et elle est partie fin novembre. Elle a été prise en CDD d’un an et maintenant elle est chef de rang ».

Cet engouement général est cependant relativisé par une question que se pose de nombreux interviewés : l’effet de l’apprentissage sur la trajectoire professionnelle ne s’essouffle-t-il pas avec le temps, notamment en termes d’évolution de carrière ? En effet, lorsque l’on essaie de suivre des cohortes à plus long terme, les choses semblent moins évidentes :

« C’est bien de professionnaliser les gens, cela répond à des besoins à court et moyen terme. Après, est-ce que l’apprentissage – ce n’est pas seulement l’apprentissage, c’est aussi les formations en amont à l’école – leur fournit la culture, des bagages suffisamment imposants pour pouvoir évoluer ? Je ne suis pas sûr. »176

D’autres critères entrent en ligne de compte au cours d’une carrière professionnelle :

« Quand on se place sur les plus longs termes, on s’aperçoit que les outils qu’on a donnés à des gens dans le cadre de la formation initiale – des outils théoriques – qui n’ont pas servi tout de suite, ce sont des graines que l’on a plantées et qui germeront plus tard […]. Et il y a toute cette culture générale que l’on ne donne plus aux apprentis qui est un outil supplémentaire pour les jeunes issus de la formation initiale »177. C’est pourquoi « les progressions de carrière sont plus intéressantes chez les autres, parce qu’il y a eu davantage de connaissances de transmises. »

Ce même raisonnement est tenu par le Directeur d’un CFAA :

« Ce que l’on sait par expérience, c’est qu’un jeune qui va faire un BTS par la voie scolaire […] est censé sortir avec une capacité intellectuelle plus

176 Entretien réalisé avec un formateur intervenant dans un CFA géré par la Chambre de Commerce et d’Industrie.

177

intéressante et plus grande, parce que pendant deux ans on a le temps ». À l’inverse, « l’apprenti va avoir une capacité à rentrer dans un système de production industriel ou semi industriel à la fin des deux ans. Il sera opérationnel. Mais intellectuellement, puisqu’il n’a que deux ans, il faudra bien aussi qu’il ait pris du temps pour lire un peu à côté ». Par conséquent, « il y en a un qui est opérationnel tout de suite, l’apprenti, et l’autre qui ne l’est pas. Mais, la logique voudrait – je suis prudent parce que c’est lié à l’individu – que celui qui va aller moins vite puisse aller plus loin. »

3.1.3. Le système d’accompagnement vers l’emploi : enjeux et limites

L’inefficacité du système traditionnel d’accompagnement vers l’emploi est largement déplorée. Le Directeur d’un CFAA établit le constat suivant : d’un côté, le taux de chômage, et particulièrement celui des jeunes, est élevé alors que, d’un autre côté, certains secteurs – comme le secteur agroalimentaire – manquent de main-d’œuvre. Face à cette inadéquation entre l’offre et la demande de travail, ce dernier met en évidence l’inefficacité du système d’accompagnement vers l’emploi :

« Cela ne fonctionne pas puisque aujourd’hui si je prends, par exemple, les inscriptions en missions locales – qui ne sont pas obligatoires – il y a 20 ou 25 000 personnes qui sont inscrites. Tout en sachant que lorsqu’elles sortent du chômage pour aller vers l’emploi, elles retournent vers le chômage à 95% […]. L’année dernière, en 2005, les PAIO ont enregistré plus 10 000 inscriptions en Poitou-Charentes, ce qui prouve que le système est en train de s’autoalimenter. »

Afin de palier ces dysfonctionnements il faut, selon lui, partir des besoins des secteurs d’activité et amener les personnes, par le biais des centres de formation notamment, vers la qualification et vers l’emploi. Cette inefficacité est, tout d’abord, attribuée à une profonde incohérence des systèmes d’accompagnement vers l’emploi :

« Aujourd’hui, les conseillers de l’ANPE – si je veux faire de la provocation – n’ont pas intérêt à ce que les gens trouvent du boulot, sinon eux n’ont plus

de boulot […]. Donc, on a créé des systèmes qui ne sont pas cohérents puisque si les gens réussissent, ils tuent leur emploi. »178

Par ailleurs, on ne peut pas nier les effets pervers induits par certaines mesures d’accompagnement vers l’emploi. Loin d’inciter les individus à s’insérer dans une activité, ces mesures sont parfois combinées à des stratégies individuelles et personnelles ne correspondant pas à de la recherche d’emploi. Prenant l’exemple du RMI, le Directeur de ce CFAA dénonce l’utilisation qu’en font certains jeunes :

« Il y a une vision à court terme qui est le confort du RMI […]. Cela bloque les gens pour dire "Je me remets dans le mouvement, je me réinvestis intellectuellement" et donc les gens restent comme cela. »

Certaines mesures sont également en concurrence les unes avec les autres :

« Le contrat d’apprentissage et le contrat de professionnalisation sont un peu en concurrence quelque part. Soit on fait de l’apprentissage, soit on fait du contrat de professionnalisation. Une boîte ne pourra pas prendre deux jeunes avec deux contrats différents. »179

De plus, les divers contrats aidés offerts quasi gratuitement aux entreprises afin d’embaucher des jeunes n’ont aucune valeur en termes d’insertion professionnelle aux yeux des employeurs :

« Un dispositif sur lequel une entreprise ne met pas un euro ne vaut rien. Cela veut dire qu’il n’y a pas de valeur marchande, donc qu’il n’y a pas de valeur tout court. Pourquoi un chef d’entreprise se priverait d’avoir quelqu’un pendant deux ou trois ans, payé par la collectivité ? Ce n’est pas comme cela qu’on va résoudre le problème d’insertion des jeunes. »180

Face à ces constats, le Directeur d’un CFAA propose d’imaginer un nouveau modèle d’éducation fondé sur une nouvelle représentation du travail :

178 Entretien réalisé auprès d’un Directeur de CFAA.

179 Entretien réalisé auprès d’un membre de la CRCI du Poitou-Charentes. 180

Étant donné qu’« aujourd’hui il n’y a plus d’emploi à vie […], continuer à éduquer la population, les jeunes, dans l’idée que l’on suit un cursus de formation dans le but d’atteindre des diplômes, des compétences professionnelles et d’avoir un emploi, c’est envoyer les générations futures au casse pipe. Si intellectuellement on les modélise comme cela, le jour où il va y avoir rupture – et c’est le cas aujourd’hui – ils ne sauront pas gérer la rupture ». Ainsi, « l’idée serait d’éduquer les gens à être leur propre employeur […]. On peut imaginer que le jour où il y aura rupture, si les gens sont formés intellectuellement à cette philosophie, cela signifie qu’ils seront en capacité de retrouver un nouveau marché pour pouvoir exprimer leurs savoir-faire et leurs compétences […]. Les gens qui sont dans cette nouvelle représentation sont dans une représentation du travail par rapport à des compétences et non plus par rapport à une logique technique d’emploi. »

3.2. L’APPRENTISSAGE, ENTRE POLITIQUE DE FORMATION ET POLITIQUE

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