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de la relation formation-emplo

CHAPITRE 1 : Un reflet des évolutions sociales

2. LE POSITIONNEMENT DU CAS FRANÇAIS AU REGARD D’AUTRES RÉALITÉS NATIONALES

2.1. CHOIX ET INTÉRÊTS DE LA MÉTHODE COMPARATIVE

Les méthodes des sciences sociales ont depuis fort longtemps intégré « une tradition sociologique qui considère que la comparaison est un des instruments de recherche les plus féconds en matière de démonstration »34. Dès la fin des années 1970, Annick Kieffer et Lucie Tanguy se sont attachées à décrire les modes de formation professionnelle sous un angle comparatif, en mettant en évidence les lieux où ils s’accomplissaient, les catégories d’agents qui participaient à leur mise en œuvre, les autorités dont ils relevaient, leur articulation avec l’enseignement général, les modes d’arrangement entre différentes catégories de connaissances et de pratiques qui y étaient transmises, ainsi que leurs différenciations internes selon la taille des entreprises partenaires et selon les métiers appris.

Par la suite, en 1982, Marc Maurice, François Sellier et Jean-Jacques Silvestre ont tenté d’inscrire les systèmes de formation dans un ensemble de relations représentatives du rapport

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salarial national. Pour ce faire, ces auteurs sont partis du principe que les modes de formation ne pouvaient être comparés qu’à condition qu’ils soient rapportés aux espaces sociaux qui leur donnent sens, à savoir : la sphère éducative, par le biais de la production et de la valorisation des diplômes dans l’école et l’entreprise ; l’organisation du travail, à travers la division des tâches et des modes de coopération entre les catégories de salariés ; et les relations professionnelles, basées sur les règles qui fixent les rémunérations, sur les conflits ou encore la mobilité sociale. Cette façon d’appréhender les systèmes de formation leur a permis de « penser ensemble les grands traits caractéristiques du système de formation et du système productif dans un pays et d’éviter les interprétations en termes de dysfonctionnements, de désajustements ou d’inadéquation entre les titres scolaires et leurs usages, entre les contenus de formation et les contenus de travail »35.

Un peu plus tard, en 1988, Myriam Campinos-Dubernet et Jean-Marc Grando ont procédé à une analyse comparative du secteur BTP en Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et France. Considérant, comme les auteurs précédents, qu’un système de formation ne peut être compris que dans son articulation à la sphère productive, ils ont effectué une étude comparative des modes de formation professionnelle à l’œuvre dans le secteur BTP, à partir des relations que ces derniers entretiennent à la fois avec le système éducatif global et avec le marché du travail, mais également à partir des mode de régulation et de gestion dont ils relèvent (professionnel ou étatique). Cette analyse leur a notamment permis de mettre à jour « l’existence d’un ensemble de normes, concertées avec les instances représentatives des professions, qui réglementent la formation professionnelle dans ses différents éléments constitutifs (durée, lieux, contenus, contrôle des acquisitions) : soit, en d’autres termes, une autonomie du système vis-à-vis des pressions économiques locales »36.

Avant de procéder, à notre tour, à une étude comparée des systèmes de formation professionnelle, en particulier d’apprentissage, à l’œuvre au sein de différents pays européens, nous allons aborder les questionnements épistémologiques et le type de méthode relatives à la méthode comparative. 2.1.1. Questions épistémologiques 35 Ibid. p. 118. 36 Ibid. p. 119.

Nous avons choisi de recourir à la démarche comparative afin de cerner les différentes modalités de mise en œuvre de la formation professionnelle en Europe et, ainsi, de souligner les spécificités françaises en la matière. Nous verrons que ces systèmes de formation se distinguent par leurs évolutions propres, sur le plan politique mais également social, économique et historique, tout en étant confrontés à des exigences communes, notamment au sujet de la formation tout au long de la vie.

La démarche comparative est utilisée par les chercheurs depuis plus d’un siècle. Antonio Novoa37 a fait état des changements d’objectifs des études comparatives au fil du temps, considérant que ces transformations coïncident avec les périodes charnières de l’histoire et du monde politique. Dès la fin du XIXe siècle (années 1880), le désir de « connaissance de l’autre » a incité les chercheurs à décrire avec précision les systèmes éducatifs des différents pays. Au début du XXe siècle, ce désir de connaissance a laissé sa place à une volonté de comprendre l’autre. Les années 1920 ont assisté à la naissance d’un comparatisme tourné vers l’international et ont vu la diffusion des premières statistiques internationales. Avec les années 1960 et le souhait de « construire » l’autre, les chercheurs ont commencé à développer des bases théoriques et méthodologiques de l’éducation comparée en vue d’analyser les changements des politiques éducatives. Enfin, l’intention de « mesurer l’autre » est apparue dans les années 2000, dans un contexte de globalisation. Les chercheurs tendent aujourd’hui à une harmonisation des méthodes et des outils permettant de faire état de l’efficacité et de la qualité des systèmes de formation.

Malgré ces étapes successives de fondation du travail comparatif, l’éducation comparée reste critiquée par de nombreux auteurs. Selon Régis Malet38, la recherche comparative doit faire l’objet d’une refondation épistémologique et méthodologique, par l’adoption de référents théoriques qui lui sont propres. Malgré tout, les principaux chercheurs dans ce domaine (Malet, Vaniscotte, Laderrière entre autres) tombent d’accord sur le fait que la démarche comparative relève à la fois d’un caractère savant et politique. Autrement dit, celle-ci oscille entre un effort scientifique de compréhension des systèmes éducatifs, d’un côté, et un soutien et une légitimation des politiques éducatives, de l’autre. La majorité des chercheurs met

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Novoa, A. & Yariv-Mashal, T. (2003). « Le comparatisme en éducation : mode de gouvernance ou enquête historique ? », in Laderrière, P. & Vaniscotte, F. (éd.), L’Éducation comparée : un outil pour l’Europe, Paris : L’Harmattan, pp. 57-82.

38 Malet, R. (2003). « Le comparatisme aujourd’hui, Notes Critiques », Recherche et Formation, n°43, pp. 157- 164.

l’accent sur ces deux facettes de l’éducation comparée. Toutefois, selon West39, il est important de garder à l’esprit le fait que les chercheurs et les hommes politiques recourent aux comparaisons pour des raisons fort différentes. En effet, alors que les premiers se préoccupent des questions d’équité et d’efficience, les seconds se soucient davantage de leurs résultats et performances propres au regard d’autres nations. Ainsi, lorsque le comparatisme est utilisé comme mode de gouvernance, c'est-à-dire comme moyen de formuler des politiques éducatives grâce à divers outils et dispositifs parmi lesquels l’approche comparative joue un rôle déterminant, le comparatisme peut devenir, selon Navoa et Yariv-Mashal, une menace pour la communauté scientifique. D’après ces auteurs, seule l’inscription du travail comparatif dans une perspective historique et théorique peut être en mesure de « développer une interprétation et une discussion critique des problèmes »40.

À l’heure des redécoupages spatiaux – supranationaux (Europe) ou infranationaux (régions et territoires locaux) –, les chercheurs doivent réfléchir autrement à l’articulation des systèmes de formation entre les échelles locale, régionale, nationale et supranationale. C’est la raison pour laquelle notre recherche, nous le verrons dans la dernière partie de ce travail, intègre la dimension territoriale comme un facteur déterminant de la mise en œuvre des politiques de formation professionnelle et d’emploi. Mais pour le moment, intéressons-nous à la méthode de la recherche comparative.

2.1.2. Une méthodologie articulée autour d’une démarche historique, réflexive et compréhensive

La méthodologie de la recherche comparative repose sur une démarche réflexive, articulant aspects politiques, culturels et institutionnels d’un système. Afin de faire en sorte que la comparaison puisse « déboucher sur des éléments d’explication ou d’interprétation »41, les études comparatives doivent explorer les dimensions spatiale et temporelle des objets qu’elles cherchent à comprendre.

39 West, A. (2003). « Comparer les systèmes éducatifs : débats et problèmes méthodologiques », in Lallement, M. & Spurk, J. (dir.), Stratégies de la comparaison internationale. Paris : CNRS, pp. 199-214.

40 Novoa, A. & Yariv-Mashal, T (2003). Op. cit., p. 78.

41 Gueissaz, A. (2003). « Exigences méthodologiques et contraintes pratiques : bilans de deux enquêtes comparatives internationales sur les organisations universitaires », in Lallement, M. & Spurk, J. (dir), Stratégies

La dimension spatiale, d’un côté, permet d’observer les situations à quatre échelles différentes :

- l’échelle locale : dans le cas de notre recherche, il s’agit des caractéristiques propres des organismes de formation, du contexte démographique, social et économique du centre de la région Poitou-Charentes, des partenariats entre centres de formation, entreprises, acteurs institutionnels, etc. ;

- l’échelle régionale : instruments de programmation de la politique régionale de formation professionnelle et d’apprentissage, indicateurs régionaux (démographie, socio-économie), cartographie de l’apprentissage (répartition de l’offre de formation sur le territoire régional), partenariats et conventions régionales, etc. ;

- l’échelle nationale : réglementation de la formation professionnelle et de l’apprentissage (lois, structures organisationnelles, action gouvernementale, conditions d’accès à la formation), structuration générale du système (financement, organisation, acteurs…) ; - l’échelle européenne et mondiale : accueil et mise en œuvre de la nouvelle législation

européenne en matière de formation tout au long de la vie dans les territoires régionaux et locaux.

La dimension temporelle, d’un autre côté, offre une meilleure compréhension des évolutions de l’objet étudié au fil du temps. La méthode comparative doit être envisagée de façon diachronique, de manière à ce qu’elle n’occulte pas la durée des phénomènes pris en compte.

2.2. ÉTUDE COMPARÉE DES SYSTÈMES DE FORMATION PROFESSIONNELLE

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