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2. Le cadre conceptuel

2.6. Les dimensions retenues

L’une des principales critiques à l’égard de l’utilisation du concept de rapport au savoir concerne le flou entourant son opérationnalisation. En effet, les dimensions du rapport au savoir ne sont souvent décrites que de façon évasive dans les écrits portant sur ce concept (Beaucher, 2004). D’ailleurs, de Léonardis et al. (2002) suggèrent que l’opérationnalisation de ce concept ne peut être simple et univoque. Selon elles, il se module en fonction du contexte et des objectifs de recherche, de même que selon ce que

le chercheur privilégie entre le « versant subjectif du rapport au savoir ou son ancrage dans des situations socioculturelles multiples renvoyant à des objets de savoir eux-mêmes pluriels » (p. 27).

Le rapport au savoir permet ainsi une certaine latitude dans la façon de l’appréhender (Beaucher, 2004). Les dimensions retenues ici s’appuient principalement sur les travaux de Charlot (1992, 1999) et de Beaucher (2004, 2010, 2014) et sont complétées par certaines des dimensions telles que les conçoivent Jellab (2001), Bautier et Rochex (1998), Beaucher et al. (2013), ainsi que de Léonardis et al. (2006). Nous avons donc retenu, en cohérence avec l’intention d’identifier et de décrire les caractéristiques du rapport au savoir d’adultes ayant fait un retour à l’école en FP, les cinq dimensions suivantes du rapport au savoir : (1) le sens de l’apprendre ; (2) la représentation de soi-apprenant ; (3) le rapport à l’avenir ; (4) le rapport aux autres ; (5) le sens de l’école. Les sections qui suivent définissent chacune des dimensions retenues et justifient leur pertinence en regard de cette recherche.

2.6.1. La première dimension : le sens de l’apprendre

La première dimension retenue est le sens de l’apprendre. Connaître la nature du rapport au savoir d’un sujet n’est possible que si on peut se référer à ce que signifie pour lui l’acte d’apprendre (Beaucher, 2010). En effet, le sens qu’un individu attribue à l’apprentissage et la relation qu’il entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre sont les pivots du concept de rapport au savoir, auxquels les autres dimensions se rattachent (Beaucher, 2004). Ce en quoi consiste l’acte d’apprendre, la nature de ce qui est appris, le choix des mots, le fait de s’inclure ou non dans ces définitions, fournissent des indices permettant de saisir le sens qu’attribuent les élèves au fait d’apprendre. La dimension que nous nommons ici « sens de l’apprendre », Charlot (1992) l’appelle plutôt « rapport épistémique au savoir ». Le rapport épistémique au savoir se définit en référence à la nature de l’activité que le sujet met sous les termes « apprendre » et « savoir » : « apprendre, est-ce s’approprier du savoir, construire du sens, savoir se tirer d’affaire dans n’importe quelle circonstance, s’acquitter de ses obligations professionnelles d’écolier? » (p. 122) Ce rapport épistémique touche aux quatre figures de l’apprendre que met en lumière Charlot (1999) et que nous exposerons plus en détail ultérieurement.

2.6.2. La deuxième dimension : la représentation de soi-apprenant

Des questions portant sur la représentation de soi-apprenant permettent de saisir comment l’individu se perçoit et se définit comme « personne qui apprend » et de recueillir des informations significatives sur la relation qu’entretient l’individu avec l’apprentissage (Beaucher, 2014). La pertinence de retenir cette dimension réside dans le fait que, dans ce contexte où l’individu a abandonné le rôle d’élève pendant une période plus ou moins longue et a connu une expérience du marché du travail, nous présumons qu’il doit avoir une perception de soi en tant qu’adulte et apprenant bien particulière qui lui appartient proprement. Pour saisir la représentation de soi-apprenant, il importe de comprendre qui est le sujet comme apprenant, ce qui le caractérise face à l’apprentissage, face au savoir, ce qu’il en est de son vouloir ou de son refus d’apprendre, jusqu’où il accepte de bousculer ses croyances et ce qu’il tient pour acquis (Beaucher et al., 2013).

2.6.3. La troisième dimension : le rapport à l’avenir

L’exploration du rapport à l’avenir, bien que plus discrète dans les écrits, est essentielle à la compréhension de l’objet d’étude qu’est le rapport au savoir en contexte de retour à l’école, puisque ce dernier se fait bien souvent en regard des projets d’avenir auxquels aspirent les apprenants (Bouchard et St-Amant, 1996). L’exploration de cette dimension nous permettra de saisir les liens que l’individu établit entre ses apprentissages et son avenir professionnel et personnel (Beaucher, 2004). Puisque le rapport à l’avenir a un effet de mobilisation sur l’appropriation des savoir, il y a lieu de se questionner sur les raisons qui amènent les participants à investir certains savoirs (Jellab, 2001). Le rapport à l’avenir désigne les projets de vie au sens large : la poursuite des études, l’entrée dans le monde du travail, la fondation d’une famille, etc.

Le rapport à l’avenir, tel que conçu ici, est en cohérence avec la vision qu’en ont de Léonardis et al. (2006). Pour elles, le rapport à l’avenir fait référence à la satisfaction par rapport aux choix d’orientation, à l’existence d’un projet professionnel, à la cohérence de ce projet par rapport à la formation entreprise et aux attentes à l’égard du futur métier. Cette vision du rapport à l’avenir s’apparente, dans une certaine mesure, à ce que Bautier et Rochex (1998) nomment la dimension identitaire du rapport au savoir. Le rapport identitaire au savoir « correspond à la façon dont le savoir prend sens par référence à des modèles, à des attentes, à des repères identificatoires, à la vie que l’on veut mener, au métier que l’on veut faire »

(p. 34). Le rapport à l’avenir, ici, sera compris comme la façon dont le savoir prend sens par rapport à ce que l’individu souhaite devenir, comme travailleur mais aussi comme individu de manière plus large.

2.6.4. La quatrième dimension : le rapport aux autres

L’élève, en tant qu’être social, construit son rapport au savoir par un rapport aux autres (Charlot, 1997). Selon Charlot, « cette dimension sociale ne s’ajoute pas aux dimensions épistémique et identitaire : elle contribue à leur donner forme particulière. Il n’y a pas d’un côté l’identité du sujet et de l’autre son être social, les deux sont inséparables » (p. 87). Loin de n’être qu’un rapport à l’objet de savoir, l’élève est aussi rapport à des personnes rencontrées, qui concourent à teinter d’un affect positif ou négatif les divers contextes dans lesquels se déroulent les apprentissages. Notre intérêt portant sur le rapport au savoir en contexte scolaire, notre attention sera focalisée sur deux des trois axes relationnels mis en lumière par Jellab (2001), soit l’axe élève/enseignant et l’axe élève/groupe de pairs, sans toutefois nier l’influence de l’axe élève/famille dans la construction du rapport au savoir.

2.6.5. La cinquième dimension : le sens de l’école

Si, au Québec, la fréquentation scolaire est obligatoire pour tous les jeunes de six à seize ans (MELS, 2010), il est permis de penser que les élèves adultes effectuant un retour à l’école en FP le font, au moins dans une certaine mesure, par choix. Ce contexte contribue sans aucun doute à teinter d’une façon particulière le sens qu’ils attribuent à l’école. Par conséquent, le sens de l’école constitue à notre avis une autre dimension importante à explorer dans le présent mémoire. Notre définition du sens de l’école s’appuie sur celle que propose Charlot (1992) en regard de la « mobilisation sur l’école » et qui renvoie au sens qu’un individu attribue au fait même d’aller à l’école et d’y apprendre des choses.

Enfin, rappelons que les dimensions du rapport au savoir sont souvent floues et implicites dans les écrits et que leurs définitions diffèrent d’un auteur à l’autre. Celles qui sont décrites ici ont été retenues pour opérationnaliser le concept de rapport au savoir, d’abord parce qu’elles émergent de plusieurs écrits, ensuite parce qu’elles permettront de décrire et d’analyser les caractéristiques spécifiques du rapport au savoir d’élèves effectuant un retour à l’école en FP, laquelle aura été modulée au fil du temps.