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La formulation du problème de recherche et sa pertinence

1. La problématique

1.4. La formulation du problème de recherche et sa pertinence

Différents travaux ont porté sur la question du retour à l’école des adultes et plus particulièrement sur ce qui motive ce choix, sur les déterminants du retour à l’école et de la réussite du projet scolaire, ainsi que sur les incidences du retour à l’école (Cournoyer et al., 2017 ; Deutsch et Schmertz, 2011 ; Doray et al., 2006 ; Hostetler et al., 2007). Si ce travail d’analyse permet de dresser un portrait d’ensemble à la fois objectif et subjectif de la suite d’évènements dans un cursus de formation, il ne permet pas pour autant de comprendre en profondeur la nature de la relation entre l’individu et ce qui relève de l’apprendre. Un aspect crucial du phénomène semble donc être occulté : ce qui caractérise, de manière spécifique, l’expérience scolaire même des personnes qui retournent aux études. En effet, peu d’études font état de cet aspect central de la transition ni ne permettent de comprendre comment l’individu vit son passage du statut de travailleur à celui d’élève, ainsi que l’ensemble de son expérience de formation. Or, bien qu’il s’agisse d’une période transitoire relativement courte dans la vie de l’individu, nous supposons qu’elle constitue un point de bascule majeur dans la trajectoire professionnelle et personnelle des individus, au vu de ce qui les y mène et des répercussions qu’elle entraîne.

Des études ont déjà porté sur le rapport au savoir des élèves de niveau secondaire (Beaucher, 2004 ; Charlot, 1992, 1999 ; Charlot, Bautier et Rochex, 1992 ; de Léonardis, Capdevielle-Mougnibas et Prêteur, 2006 ; Jellab, 2001 ; Prêteur, Constans et Féchant, 2004 ; Rochex, 1995a), du collégial (Landry, Bouchard et Pelletier, 2002) et de l’université (Beaucher, 2010, 2014 ; Pralong, 1999), ainsi que sur celui des élèves en contexte de retour à l’école (Beaucher, 2010, 2014 ; Beaucher et Cabana, 2017 ; Dominicé, Josso et Müller, 1999). Cependant, aucune étude sur le rapport au savoir des adultes québécois effectuant un retour à l’école en FP n’a été recensée.

Or, pour assurer une main-d’œuvre qualifiée en quantité suffisante afin de répondre aux besoins du monde du travail, les programmes de FP jouent un rôle décisif, puisqu’elles permettent d’acquérir tant les compétences professionnelles requises que les habiletés et les attitudes nécessaires à l’adaptation aux changements du monde du travail, en plus de favoriser leur maintien en emploi et d’éviter leur désaffiliation sociale (MELS, 2010). Par ailleurs, plusieurs raisons motivent les adultes à privilégier cette filière de formation plutôt qu’une autre : l’intérêt pour un métier spécifique exigeant un diplôme de FP, la pédagogie privilégiant des activités d’apprentissage concrètes et pratiques, son caractère très ciblé vers un métier, la présence d’enseignants qui sont eux-mêmes des professionnels du métier et qui disposent d’un réseau de connaissances dans leur domaine, l’opportunité de faire des stages et d’entrer en contact direct avec le marché du travail, la possibilité de terminer rapidement ses études et de s’intégrer rapidement en

emploi, ainsi que la garantie d’obtenir un bon salaire et des conditions de travail avantageuses (Cournoyer et al., 2017 ; Masdonati, Fournier et Boisvert, 2012 ; Masdonati, Fournier et Pinault, 2015). L’attrait pour la FP chez les adultes est d’ailleurs en hausse, la croissance de l’effectif des élèves âgés de 25 ans et plus ayant crû de 43,61 % entre les années 2001 et 2012 (Gouvernement du Québec, 2014). La croissance de cette clientèle rend d’autant plus important le fait de s’y intéresser.

Les liens entre une faible scolarité et une contribution démocratique et sociale réduite sont connus (Demers, 1992). Doray et al. (2006) affirment que l’investissement en formation est considéré comme un moyen d’assurer la stabilité, voire la croissance économique, dans une économie fondée de plus en plus sur le savoir et où la concurrence internationale s’accroît de jour en jour. L’objectif principal poursuivi par le MELS à travers son offre de FP est le développement des compétences des individus, visant à favoriser leur insertion professionnelle et, par le fait même, le développement économique (MELS, 2010, 2012). Ce discours articule de manière vertueuse éducation et économie, mais occulte ce qui se passe effectivement en formation. Pourtant, une condition de l’articulation effective entre éducation et emploi est le succès scolaire (Doray et al., 2006). Ainsi, pour des personnes dont le retour à l’école sert de pivot vers une insertion professionnelle plus satisfaisante, le succès de leur passage à l’école, marqué par leur rapport au savoir, apparaît déterminant dans la poursuite de leurs objectifs professionnels.

La question du rapport au savoir étant au cœur de l’expérience scolaire, son approfondissement se révèle pertinent dans le contexte de retour en formation. La relation entre l’individu et le savoir représente un aspect fondamental dans la question de la persévérance scolaire et, ultimement, de l’insertion professionnelle, découlant elle-même de l’acquisition de nouvelles compétences. À cet effet, Charlot (1992) suggère que, bien que l’école ait pour fonction de former un individu, de lui permettre de s’approprier des savoirs et d’acquérir des compétences, il faudrait poser la question du sens avant celle des compétences, puisque c’est seulement si le fait d’apprendre a du sens pour l’individu que celui-ci s’investira à l’école et acquerra des compétences. Selon lui, un individu :

ne peut se former, acquérir ces savoirs, réussir, que s’il travaille à l’école. Et il n’y travaillera que si l’école et le fait d’apprendre font sens pour lui. La question du sens doit donc être posée à la fois en amont de celle de la compétence (quel sens le fait d’aller à l’école présente-t-il pour l’enfant ?) et au fondement de celle de l’acquisition des compétences (pour un enfant, que signifie « apprendre », « travailler à l’école » ?) (p. 122).

Les constats qui seront dressés sont importants en ce qu’ils peuvent entraîner des différences de positionnement professionnel chez les personnes œuvrant avec une clientèle d’adultes en contexte de retour à l’école et il sera utile de s’y pencher pour qui désire prendre du recul par rapport à ses pratiques.

Beaucher (2014) l’a d’ailleurs constaté : les enseignants comprennent au fil de leur expérience qu’ils doivent prendre en considération les façons d’apprendre de leurs élèves, leur relation avec l’apprentissage et leur propre relation d’enseignant avec leurs élèves, s’ils souhaitent les voir réussir. Ils réalisent qu’ils ne peuvent enseigner comme eux-mêmes apprennent ; ils doivent apprendre à enseigner à travers les yeux de leurs élèves et trouver de nouvelles stratégies pour les mobiliser dans leurs apprentissages. L’auteure lève le voile sur le rapport au savoir qu’entretiennent des professionnels de métier effectuant un retour à l’école au baccalauréat en enseignement afin d’apprendre à enseigner leur métier à des élèves de la FP. Dès lors, il y aurait lieu de se demander quelles sont les caractéristiques du rapport au savoir d’individus effectuant un retour à l’école, non pas pour apprendre à enseigner leur propre métier, mais pour en apprendre un nouveau.

Ainsi, la présente recherche pourrait mener les enseignants à entamer une réflexion sur ce qui a et avait du sens pour eux à l’école, de même qu’à se demander comment leur manière de trouver du sens teinte leur approche du savoir auprès des élèves, voire les aveugle sur leurs points d’ancrage à eux (Lloreda, 2003). Investiguer le rapport au savoir des élèves adultes en FP nous permettra de mieux comprendre leur vision et leurs intentions d’avenir, elles-mêmes porteuses du sens de leur projet scolaire. Beaucher (2012) soutient qu’« [à] l’image d’une roue qui tourne, une aspiration ou un projet contribue à donner du sens à l’apprentissage, le rapport au savoir s’étoffe alors et renforce l’aspiration ou le projet et ainsi de suite, facilitant ainsi la mobilisation sur l’apprentissage, l’investissement dans le présent scolaire, lequel prend une valeur ajoutée parce qu’il est relié à un futur » (p. 3). Ainsi, les nouvelles connaissances seront susceptibles d’aider les enseignants à renforcer de façon positive la relation des élèves avec l’apprentissage, à améliorer leurs chances de réussite scolaire et d’amener les enseignants à se percevoir comme des sources d’inspiration favorisant la persévérance scolaire de leurs élèves. C’est aussi l’institution scolaire entière qui pourra en bénéficier, par exemple en mettant en place des conditions d’apprentissage adaptées à cette clientèle.