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Les conséquences du désastre d'Andrinople

et de ses successeurs

Chapitre 8 De Julien à Théodose

II. Les conséquences du désastre d'Andrinople

Vers la fin de l'année 375 p.C. on peut estimer que l'Empire romain est parfaitement bien défendu grâce à une bonne organisation de son armée. Après plus de cent ans de réformes et de transformations, l'armée romaine a réussi sa mutation pour devenir l'armée tardive. Cette dernière consiste en réalité en plusieurs armées réparties sur le territoire de l'Empire. Les unités palatinae sont aux ordres des deux empereurs Gratien en Occident et Valens en Orient. Des magistri equitum et peditum commandent les armées comitatenses en Gaule, en Illyricum et en Orient. Des comites rei militaris et des duces ripae sont à la tête des

limitanei sur les frontières. Les unités ont été réorganisées avec la division entre seniores et iuniores afin de compenser le choc meurtrier de Mursa en 351 p.C. tout en gardant une armée

expérimentée. Mais la défaite catastrophique de Valens à la bataille d'Andrinople le 9 août 378 p.C. désorganise complètement la puissance militaire romaine.

Afin de bien comprendre la situation militaire de l'Empire au lendemain de la défaite que Carrié qualifie “d'accident de l'Histoire qu'aucune faiblesse structurelle de l'instrument

militaire ne laissait prévoir”528

, il faut tout d'abord rappeler les événements qui conduisent à

la destruction des deux tiers de l'armée romaine d'Orient529

. Ce qui selon Hoffmann

équivaudrait à une perte de 20 000 à 26 000 hommes530

.

1. Les prodromes du désastre

Ce sont les Huns qui déclenchent toute une série d'événements qui vont conduire à l'affrontement des Goths et des Romains. Durant l'année 375 p.C. les Huns, arrivant des

528 Carrié 1999, 634.

529 Amm.31.13.18.

530 Hoffman 1969, 455-457 s'accorde pour dire qu'entre 20 000 et 26 000 sont tués sur les 30 000 à 40 000 engagés.

steppes d'Asie, chassent les Goths Tervinges et Greuthunges de leurs territoires au nord du

Danube531

. Recherchant de nouvelles terres et une protection contre ces envahisseurs, les

chefs goths demandent à Valens à passer en territoire romain532

. L'empereur accepte et décide de les installer dans le diocèse de Thrace en échange d'un contingent de soldats fournis par les Goths afin de défendre les provinces danubiennes. Mais l'accord tourne court pour plusieurs raisons. Les autorités romaines ont sous-estimé l'importance de la population de Goths à accueillir. Les terres du diocèse de Thrace, ravagées par plusieurs décennies de guerres et de pillages, ne sont pas en mesure de nourrir ce surplus rapide de population. De plus, les officiels romains traitent avec mépris les chefs goths. C'est ainsi qu'en 376 p.C. les Goths

menés par Fritigern se soulèvent533

. L'armée de Lupicinus, comes rei militaris du diocèse de Thrace, est écrasée par le nombre et les barbares se répandent dans tout le diocèse le

soumettant au pillage534.

En 377 p.C. pour lutter contre ces troubles venus de l'intérieur, Valens et Gratien choisissent d'envoyer chacun une armée dans la région du Bas-Danube, une région-clé qui assure la liaison terrestre entre l'Occident et l'Orient. Valens envoie le magister peditum

Trajan, secondé par le comes rei militaris Profuturus, avec l'armée du diocèse du Pont535

. Pour compenser ce départ, l'empereur Valens décide d'ouvrir des négociations de paix avec les Perses dans le but de régler le conflit autour de l'Arménie. Gratien choisit de détacher Frigiderius, comes rei militaris du diocèse de Pannonies ainsi que Richomer, comes

domesticorum, avec des troupes des Gaules536

. L'empereur Gratien choisit de rester sur le Rhin pour lutter contre les Alamans. Les armées venues d'Orient et d'Occident se réunissent à

Ad Salices sous le commandement de Richomer. A l'automne 377 p.C., l'armée romaine

réussit à défaire les Goths mais elle subit de lourdes pertes comme en témoigne Ammien

Marcellin537

. La bataille ne semble pas décisive car les Goths continuent leurs pillages et Richomer doit repartir rapidement en Gaule pour lever de nouvelles troupes.

La situation empirant, les deux empereurs décident en 378 p.C. de mener en personne une campagne militaire afin d'éradiquer définitivement la menace des Goths. Valens quitte

Antioche avec l'armée d'Orient laissant Victor régler la paix avec la Perse538

. Auparavant 531 Amm.31.3. 532 Amm.31.4. 533 Amm.31.5. 534 Amm.31.5.9. 535 Amm.31.7.2. 536 Amm.31.7.3. 537 Amm.31.7.10-16. 538 Amm.31.11.1.

l'empereur a envoyé Saturninus, magister equitum, prêter main-forte à Trajan, et il a remplacé

Trajan par Sebastianus539

. Gratien conclut victorieusement une expédition contre des Alamans

au-delà du Rhin et se met en route avec l'armée des Gaules vers les Thraces540

.

2. La situation militaire en août 378 p.C.

À l'été 378 p.C. lorsque Valens parvient dans le diocèse des Thraces, il dispose d'effectifs très importants issus de la concentration de plusieurs armées venues de tout l'Empire. Le tableau suivant résume les différentes armées présentes sur le théâtre d'opérations durant les trois années de campagne contre les Goths.

376 p.C. 377 p.C. 378 p.C.

Comes Lupicinus

Armée du diocèse des Thraces

Éléments de l'armée du diocèse des Thraces

Éléments de l'armée du diocèse des Thraces

Magister peditum Trajan

Armée du diocèse du Pont

Magister peditum Sebastianus

Armée du diocèse du Pont

Comes Frigiderius

Armée du diocèse des Pannonies

Comes Frigiderius

Armée du diocèse des Pannonies

Comes domesticorum Richomer

Éléments de l'armée des Gaules

Comes domesticorum Richomer

Éléments de l'armée des Gaules

Magister equitum Saturninus

Éléments de cavalerie d'Orient

Augustus Valens

Armée d'Orient Tableau 41. Forces en présence dans le diocèse des Thraces entre 376 et 378 p.C.

Le 9 août 378 p.C., lorsque Valens décide d'engager la bataille contre les Goths à Andrinople sans attendre son collègue impérial Gratien, il est à la tête de l'intégralité des troupes palatinae et comitatenses de la partie orientale de l'Empire ainsi que de nombreuses unités de limitanei détachées du front oriental et danubien. Il peut aussi compter sur des éléments de l'armée des Gaules arrivées l'année précédente avec Richomer. On peut estimer que c'est plus de la moitié du potentiel militaire romain qui est présent à Andrinople.

Cette démonstration permet d'éclairer sous un jour nouveau l'importance considérable de la défaite de l'armée romaine lors de cette journée. Comme il a été dit précédemment, c'est deux tiers de cette grande armée qui sont détruits à Andrinople, créant alors une brèche colossale dans le dispositif militaire oriental. Les armées des diocèses du Pont et d'Orient,

539 Amm.31.8.3.

ainsi que l'armée palatine de l'empereur responsable de l'Orient sont décimées et ne peuvent revenir s'occuper de la défense du front oriental.

3. La réorganisation dans l'urgence de l'Orient, le retour

des Illyriciani et la création des indigenae.

Gratien, désormais seul empereur, face à une menace devenue incontrôlable, décide d'associer Théodose au trône afin de reprendre en main les affaires d'Orient. En 379 p.C. il rassemble les restes de l'armée d'Orient. Une fois qu'il a réussi en collaboration avec Gratien à éloigner le danger goth du diocèse de Thrace, il renvoie les unités affaiblies sur le front oriental. Dans tous les duchés du diocèse d'Orient des unités de cavalerie dites Illyriciani sont

mentionnées par la Notice des Dignités541

. Ces equites sont, à quelques exceptions près, parfaitement répartis entre chaque duché comme le prouve le tableau suivant.

Dux Foenicis Dux Syriae Dux Palestinae Dux Oshroenae Dux Mesopotamiae Dux Arabiae Eq. Dalmatae X X X X X Eq. Mauri X X X X X Eq. promoti X X X X X Eq. scutarii X X X X X Eq. ducatores X Eq. felices Honoriani X Eq. Thamudeni X

Tableau 42. Répartition des equites Illyriciani dans les duchés orientaux d'après la Notice des Dignités.

Le terme d'Illyriciani laisse supposer que ces troupes proviennent de la zone géographique de l'Illyricum qui peut être définie comme le théâtre d'opérations du Haut et Bas Danube. Ces unités sont, sans aucun doute, celles qui sont renvoyées par Théodose pour

renforcer à la hâte le limes du diocèse oriental face à la menace perse542

. Elles rejoignent alors

les limitanei restés en garnison essentiellement des alae et des cohortes543

.

541 ND.Or.32.18-21 ; Or.33.16-17, 25-26 ; Or.34.18-22 ; Or.35.15-17 ; Or.36.19-22 ; Or.37.14-17.

542 Sur ce terme d'Illyriciani, Nicasie 1998,38 et Scharg 2001 livrent une hypothèse inenvisageable, à savoir que ces cavaliers Illyriciani seraient des troupes postées après 268 p.C. et la victoire d'Aurélien sur Zénobie. Au vue des bouleversements opérés dans l'armée entre cette victoire et la rédaction de la Notice des Dignités, il est impossible d'imaginer que ces unités soient restées à leur poste plus de 130 ans sans être emportées par le flot des événements survenus durant cette période.

Dans la liste de chaque duché oriental, les Illyriciani sont notés en premier et devancent les noms des légions. Nommés equites dans la Notice des Dignités, il s'agit certainement de

vexillationes equitum versées dans la catégorie des limitanei qui logiquement disposent d'un

prestige plus important que d'anciennes legiones ripenses ou d'alae. Les Illyriciani, rescapés de la campagne contre les Goths, sont complétés par ce qui semble être de nouvelles unités, les equites indigenae.

À l'instar des vexillationes equitum Illyriciani, les indigenae sont présentes dans les

duchés du diocèse d'Orient aux côtés des premières544

. Ce qualificatif d'indigenae prend tout son sens avec le retour des troupes d'Illyricum, dite Illyriciani, et leur installation en Orient. Même si aucune source ne le confirme, Valens en quittant Antioche et le front oriental pour le Danube ne pouvait laisser les provinces frontalières totalement sans protection. Les seules unités d'alae et cohortes n'auraient pu suffire. Il a donc vraisemblablement levé des unités de cavalerie pour compenser le départ de la cavalerie orientale avec le magister equitum

Saturninus545

. On retrouve deux types d'unités levées, des vexillationes equitum promotorum

indigenae et des vexillationes equitum sagittariorum indigenae. D'après leur titre, les

premières sont issues de la promotion d'anciennes unités de cavalerie auxilaire en

vexillationes equitum546

. Les deuxièmes sont des créations provinciales. Les archers à cheval

sont en effet la spécialité des provinces orientales et de la puissance voisine, la Perse547

.

Les unités qui sont restées en garnison sur le limes oriental, pendant les déboires de l'armée de Valens dans le diocèse des Thraces, ont reçu ce surnom afin de les différencier des rescapés de la campagne militaire danubienne. Dans la Notice des Dignités, elles apparaissent à la suite des unités des cavaliers vétérans d'Illyricum.

Cette reconstruction précipitée de l'armée d'Orient est impérative. Théodose complète le dispositif oriental en levant de nouvelles troupes limitanei. Dans le diocèse du Pont, qui avait vu son armée partir pour les Thraces en 377 p.C., trois alae portant l'épithète impériale sont

créées548. La place importante prise par la cavalerie dans le redressement de l'armée du front

oriental tient certainement au passé militaire de Théodose. Avant de devenir empereur,

544 ND.Or.31.25-29 ; Or.32.20-29 ; Or.33.18-20, 27 ; Or.34.23-29 ; Or.35.18-23 ; Or.36.23-28 ; Or.37.18-23.

545 Amm. 31.8.3.

546 Le même cas de promotion a lieu avec la création de vexillationes equitum promotorum avec les

equites legionis à la fin du IIIème siècle.

547 Sur les archers à cheval, cf. p.232.

548 Il s'agit de l'ala Theodosiana, l'ala felix Theodosiana et de l'ala I felix Theodosiana. M.A. Speidel 2007 revient récemment sur l'historique de l'armée du Pont.

Théodose fut notamment commandant des forces de cavalerie dans les campagnes de

Valentinien sur le Danube549

.

Mais Théodose ne se contente pas de redresser la puissance militaire orientale, il choisit de réformer entièrement son exécutif en remaniant intégralement le haut commandement impérial.

III. La question de la place des barbares dans