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Equites, uexillationes ou numeri ?

La création d'une nouvelle cavalerie

I. L’apparition des uexillationes equitum

1. Equites, uexillationes ou numeri ?

Avant de commencer à étudier les différentes unités apparaissant à la période tardive, il s’agit de se pencher sur le problème de la dénomination exacte de ces formations. Que ce soit dans les sources épigraphiques, papyrologiques ou littéraires, il existe une grande variété de

noms pour désigner la cavalerie à partir de la seconde moitié du IIIe siècle.

LA VEXILLATIO EQUITUM

La vexillation est une pratique militaire romaine qui vise à détacher un contingent d’une

unité plus importante dans l’optique d’une mission précise. Elle est apparue au IIe siècle pour

répondre au besoin grandissant d’une meilleure souplesse opérationnelle de la légion. Les empereurs et les généraux ont pu ainsi former des corps expéditionnaires contre le Royaume parthe à l’aide de vexillations des légions des frontières du Rhin et du Danube sans pour

autant dégarnir ces dernières. Au IIIe siècle, cette formule est devenue la règle générale pour

former une armée, en réponse à une menace extérieure. Les Res Gestae diui Saporis témoignent de la systématisation de la vexillation durant le règne de Valérien. Dans cette inscription découverte sur le Ka’ba-i Zardušt à Naqš-i Rustam, proche de Persepolis, Sapor, roi des Perses entre 240 et 272 p.C., décrit sa politique et les préceptes religieux de son

royaume261

. Il n’oublie pas de citer ses victoires contre les empereurs romains Gordien III et surtout Valérien :

“Au cours de la troisième campagne, comme nous avions attaqué Carrhes et Edesse et

assiégions Carrhes et Edesse, le César Valérien marcha contre nous. Il avait avec lui (des troupes venant) de Germanie, de Rétie, de Norique, de Dacie, de Pannonie, de Mysie, d'Istrie, d'Espagne, de Mauritanie, de Thrace, de Bithynie, d'Asie, de Pamphylie, d'Isaurie, de Lycaonie, de Galatie, de Lycie, de Cilicie, de Cappadoce, de Phrygie, de Syrie, de Phénicie, de Judée, d'Arabie, de Mauritanie, de Germanie, de Lydie, d'Asie, de Mésopotamie : une force de 70 000 hommes.”

261 Concernant les Res Gestae divi Saporis, cf. Maricq & Honigmann 1953 ; plus récemment : Dignas & Winter 2007, 56-62.

“Et au-delà de Carrhes et d'Edesse nous avons eu une grande bataille avec le César Valérien. Et le César Valérien, nous le fîmes prisonnier nous-mêmes de nos propres mains ; et les autres chefs de cette armée : préfet du prétoire, sénateurs et officiers, tous, nous les fîmes prisonniers. Et nous les avons déportés en Perside.”

“Et la Syrie et la Cilicie et la Cappadoce, nous les avons incendiées, dévastées, pillées.” 262

Si les mentions des provinces orientales n’ont rien de surprenant, celles des provinces danubiennes ou rhénanes confirment bien la présence d’éléments occidentaux, assurément des vexillations légionnaires, parmi l’armée de Valérien en 259 p.C.

Sous le règne de Valérien et Gallien, cette pratique s’étend à toutes les formations.

Désormais aux côtés des vexillationes legionis, des vexillationes equitum se rencontrent263

. D’abord employées comme expédients opérationnels, les vexillations deviennent

indispensables à l’état-major qui pérennise leur usage à la fin du IIIe siècle, comme le prouve

une loi datant de 285 p.C., évoquant le statut des vétérans des légions et des vexillations264.

L’appellation de vexillatio equitum, de “détachement monté”, est donc un nom officiel, employé par l’administration et bien présent dans les inscriptions des différents corps de la

cavalerie265

. Végèce dans son De re militari précise d'ailleurs très clairement que la cavalerie

était autrefois organisée en ailes et qu'à son époque ces unités sont appelées vexillations.266

LES EQUITES

En parallèle à la vexillatio equitum, le nom d’equites fait son apparition dans la documentation. Dans les inscriptions et les papyrus, plusieurs unités portent cet intitulé. Des

equites Dalmatae sont connus à Ad Herculem en Pannonie inférieure sous la Tétrarchie267 ,

ainsi que les equ(ites) VIII Dalm(atarum) à Concordia durant le IVe siècle268 et les equites IX

Dalmatarum à Thantia en Arabie vers 371269 .

La Notice des Dignités dénombre quelque 240 formations d’equites réparties dans

toutes les provinces de l’Empire. Constitué entre la fin du IVe et le début du Ve siècle, ce

262 RGDSaporis 20-26. Inscription trilinge en moyen-perse, parthe et grec. Traduction de A. Maricq.

263 Cf. p.91.

264 CJ. 7.64.9. Veteranis, qui in legione vel vexillatione militantes post vicesima stipendia honestam vel

causariam missionem consecuti sunt…

265 Cf. p.445.

266 Veg., Mil., 2.1.

267 Cf. I.312.

268 Cf. I.21.

document administratif ne cite directement aucune vexillato equitum. Par contre elle regroupe les equites par catégories de troupes, vexillationes palatinae, vexillationes comitatenses ou

limitanei.

Faut-il en déduire que l’appellation d’equites remplace définitivement celle de vexillatio

equitum ? En réalité, il apparaît que ces deux termes se sont côtoyés tout au long de la période

tardive. Au début, vexillatio equitum est le titre officiel de l’unité, mais à l’usage, equites, bien plus pratique et rapide à l’emploi, était tout aussi fréquent. Cela est clairement visible dans la documentation papyrologique pour une des nouvelles formations de cavaliers promoti. En 300 p.C., dans la correspondance officielle du bureau du préfet, le commandant, Leontius,

est praepositus des equites promoti détachés de la legio II Traiana270

tandis qu’en 320 p.C.,

dans son testament, Valerius Aeion se dit centurio de la vexillatio equitum promotorum de la

legio II Traiana271 .

LE NUMERUS EQUITUM

Le terme de numerus est le titre donné durant le Principat à une levée de troupes parmi les peuples non romanisés aux marges de l’Empire. C’est une formation commandée par des chefs de la même ethnie en dehors du cadre conventionnel des légions et des unités auxiliaires272

. Au IIIe siècle, on assiste à un glissement sémantique du mot numerus qui

acquiert un sens beaucoup plus général, celui de formation militaire au sein de l’armée romaine. Une aile de cavalerie peut se trouver nommée numerus dans certaines inscriptions comme c’est le cas en Pannonie inférieure où, parmi les nombreuses mentions de l’ala III

Thracum, l’appellation de numerus III Thracum s’est glissée dans une stèle funéraire élevée

pour un cavalier273

. Pour autant, ce n’est absolument pas un nouveau ou un autre escadron, seulement l’usage du terme spécifique d’ala laisse place à une appellation générique.

En somme, une même unité peut être citée sous trois noms différents dans les sources sans pour autant que son organisation, sa hiérarchie ou ses effectifs soient différents. C’est le contexte de rédaction, l'émetteur et le destinataire qui influent sur le choix d’un terme plutôt

qu’un autre274 . 270 Cf. P.Panop.Beatty2., l.198 : Λεοντίῳ πραιποσίτῳ ἱππέων προμώτων λεγεῶνος β Τραιανῆς. 271 Cf. P.Col.7.188, l.1-2 : Οὐαλέριος Ἀειῶν ἑκ̣α̣τ̣ό̣νταρχος οὐιξιλατίωνος ἱππέων προ̣µώτων λεγίω̣ν̣[ος] β Τραια̣ν̣ῆ̣ς̣.

272 Sur les numeri au sein de l’armée du Principat, cf. Speidel 1984g, 117-148 ; Le Roux 1986, 347-374 ; Reuter 1999, 357-599.

273 Cf. I.309.

274 Dans un souci de clarté, les formations de cavalerie nouvellement créées à partir de Gallien sont toutes enregistrées sous leur nom officiel dans le catalogue des unités, à savoir “vexillatio equitum”.