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L’évolution de la structure interne des alae

Le remaniement des alae

I. L'organisation des alae

2. L’évolution de la structure interne des alae

Notre connaissance du nombre d'ailes au sein de l'armée romaine du IIIe siècle repose

sur une documentation éparse qui ne laisse entrevoir qu'une partie de la réalité de l'ordre de bataille. La Notitia Dignitatum permet de se forger une vision plus globale de ce dernier. Soixante-dix-neuf ailes sont citées dans ce document dont l'objectif était de recenser toutes les

unités à la fin du règne de Thèodose et sous le règne de ses successeurs48

. Ce recensement est cependant incomplet et faussé par l'étalement dans le temps des recencements et la perte de certaines chapitres du document, notamment ceux sur les Germanies, qui étaient d'importantes provinces militaires.

Finalement, il ressort qu'il n'est pas possible d'obtenir une estimation précise du

nombre d'ailes pour les IIIe et IVe siècles comme a pu l'esquisser Spaul. Néanmoins, le

croisement des différentes sources permet de proposer une fourchette comprise entre soixante et quatre-vingt unités pour la période.

2. L’évolution de la structure interne des alae

Commençons par examiner la question des effectifs. Une ala est divisée en plusieurs éléments appelés turmae. Ces dernières permettent une grande souplesse tactique sur le champ de bataille et simplifient la gestion administrative, notamment pour les questions de ravitaillement. Sous le Haut-Empire, diverses sources brossent une image relativement précise de la structure de la turme. En 130 p.C., un reçu de livraison de foin pour la turme de Donacianus de l’ala Veterana Gallica, stationnée en Égypte, donne la liste complète des

trente cavaliers faisant partie de la turme en plus de son chef, le décurion Donacianus49

. Presque à la même époque, Arrien, dans son traité Tactica, précise qu’une aile quingénaire

comporte 512 hommes, officiers inclus50

. Ce nombre de 512 soldats est à mettre en relation directe avec celui de 16 turmes dans une aile, donné par le Pseudo-Hygin dans le De

47 Créations probables sous Constantin : ala Constantiana, p.415 ; ala II Constantiana, p.415. Sous Valentinien : ala I Valentiana, p.423, ala II felix Valentiana, p.423. Sous Théodose : ala Theodosiana, p.422, ala

felix Theodosiana, p.422.

48 Sur la nature et la datation de la Notice des dignités, cf. p.135.

49 P. Lond.482 = ChLA, III, 203 = RMR, 80.

Munitionibus Castrorum51

, qui peut lui-même être complété par une inscription découverte en

Égypte à Alexandrie, datant de 199 p.C.52

C’est une dédicace à l’empereur Septime Sévère par les décurions de l’ala Veterana Gallica et de l’ala I Thracum Mauretana, stationnées à cette époque dans les castra Caesaris d’Alexandrie. La liste des sous-officiers mentionne seize décurions dans chaque aile. Ces données sont résumées dans le tableau ci-après :

Références Effectifs de l’aile Nombre de turmes Effectifs de la

turme

P. Lond. 482 30 cav. + 1

décurion

Arrien, Tactica, 18 512 hommes

Pseudo-Hygin,

De Mun. Castrorum 16 turmes / aile

CIL, III, 1453

16 décurions / aile

Tableau 5. Sources évoquant les turmes d’une aile sous le Principat

Un rapide calcul, en divisant les 512 hommes par 16 turmes, fait arriver au nombre de 32 hommes pour chaque turme, décurion inclus. Cela devait être un chiffre purement théorique. Rarement les effectifs devaient être au complet, comme le prouve d’ailleurs le reçu pour le foin de l’ala Veterana Gallica qui indique seulement trente cavaliers. Même en temps

de paix, une turme n’atteignait sûrement pas le chiffre théorique de 32 cavaliers54

.

Sous Septime Sévère, la turma dispose toujours de ces mêmes effectifs. Elle est

commandée par un decurio qui fait partie des officiers de l’unité55

. Sous ses ordres, on

51 Ps. Hyg., De Mun. Cast., 16. Confirmé par AE 1998, 838, une tablette de bois de Vindolanda du la fin du Ier - début du IIe siècle indiquant la présence de 16 turmes dans l'ala Gallorum Sebosiana.

52 Cf. I.670.

53 Cf. note 52.

54 Cf. p.187.

55 Les mentions de décurions d’aile se retrouvent dans les inscriptions suivantes : I.1, I.34, I.40, I.43, I.44, I.143, I.186, I.216, I.219, I.229, I.237, I.242, I.281, I.297, I.303, I.350, I.415, I.437, I.451, I.469, I.471, I.472, I.473, I.580, I.581, I.584, I.601, I.614, I.618, I.622, I.632, I.636, I.656, I.670, I.680, I.684, I.685, I.689, I.690, I.694, I.696, I.699, I.701, I.712, I.720, I.722, I.724, I.725, I.728, I.733, I.736, I.737, I.738, I.740, I.746, I.750, I.761, I.762, I.763, I.775, I.776. Pour les mentions dans les papyrus se rapportant aux décurions d’aile : P.Gen. I.35, ligne 2 ; P.Oxy. XLI, 2951, ligne 8 ; P.Mich. III, 164, lignes 2, 5, 8, 11, 14 et 19 ; SB, 20, 14289, ligne 4.

retrouve les grades de duplicarii et les sesquiplicarii56

. Comme leur nom l’indique, ils disposent d’une solde supérieure au simple cavalier. Ce supplément est justifié par l’exercice

d’une fonction particulière. Par exemple, un duplicarius peut être signifer57

. Ce cavalier est le porte-étendard de la turma, il porte le signum, l’enseigne militaire qui permet la transmission de certains ordres sur le champ de bataille et qui sert de signe de reconnaissance et de

ralliement de l'unité tactique. Parmi les sesquiplicarii, on retrouve le cornicen, et le tubicen58

. Ce sont des joueurs d’instruments de musique, le cornu et la tuba, essentiels pour donner les signaux de mouvements. Cependant tous les duplicarii et sesquiplicarii n’occupent pas forcément des fonctions de ce type. Ils peuvent être de simples sous-officiers chevronnés en charge de la discipline et de la cohésion sur le champ de bataille. Ce sont aussi des grades intermédiaires pour accéder au poste de décurion, comme le montre un papyrus daté de 242-244 p.C., énumérant une liste de promotions au rang de décurion, probablement de l’ala

Veterana Gallica59

. Grâce à ce document administratif, on est en mesure de saisir les différents corps d’origine d’où proviennent les commandants de turme. Le premier, Victorinus, fut pendant vingt-cinq années cavalier dans la legio II Traiana Fortis ; le second, Petosiris, était sesquiplicarius dans une aile, tout comme le troisième, Ammonianus. Le quatrième, Aurelius Hierax, était duplicarius d’aile. Enfin Origenes, le cinquième, était cavalier de la cohors VI Praetoria. Pour terminer le tour des postes au sein de la turme, il faut évoquer le curator, un cavalier faisant certainement partie des immunes, en charge de

l’approvisionnement de la turme60

.

Le tableau ci-après permet de résumer la composition classique d’une turme d’aile à l’époque sévérienne. Il détaille les sous-officiers et les fonctions propres à la turme et à son

56 Les mentions de duplicarii d’aile se retrouvent dans les inscriptions suivantes : I.1, I.134, I.185, I.236, I.281, I.300, I.435, I.458, I.473, I.524, I.614, I.618, I.621, I.623, I.625, I.628, I.753. Pour les mentions dans les papyrus se rapportant aux duplicarii d’aile : P.Mich. 3.164, ligne 11 ; P.Bodl. 1.15, ligne 3. Concernant les mentions de sesquiplicarii dans les inscriptions : I.65, I.221, I.281, I.464, I.525, I.526, I.579, I.630, I.739. Et dans les papyrus : P.Mich. 3.164, ligne 5, 8 ; P.Oslo 3.122, ligne 11 ; BGU, 2, 614, ligne 2.

57 Les mentions de signiferi d’aile se retrouvent dans les inscriptions suivantes : I.1, I.235, I.420, I.622, I.769. Et dans un papyrus : SB, 16, 13030, ligne 3.

58 Pour la période concernée, nous disposons de trois mentions de cornicines : I.624 : Aurelius Disas

co/rnicen al(a)e I Flavi/(a)e Brittanic(a)e (sic) ; I.629 : Aur(elius) Pas/ser cornice(n) ; ChLA, X, 443 : cornicen [ ̣ ̣ ̣ ̣ ̣ ̣ ̣] Pour une mention de tubicen : I.629 : Aur(elius) Mucatralis tu/bice(n) al(a)e Brittanic(a)e (sic) / Dionis.

59 Cf. P.Mich. 3.164.

fonctionnement. Ne sont pas retenues ici les fonctions liées plus généralement à

l’administration de l’aile61

.

Grades Fonctions Rangs

decurio

duplicarius signifer principalis

sesquiplicarius cornicen / tubicen principalis

eques curator immunis

28 equites munifices

Tableau 6. Hiérarchie simplifiée de la turme à l’époque sévèrienne

LA REFORME DES AILES A L'EPOQUE TETRARCHIQUE

Au cours du IIIe siècle, cette structure fut amenée à évoluer. C’est Constantin

Zuckerman qui, dans son article sur le camp de Sosteos, a le premier mis en valeur les

changements intervenus au sein des alae62

. En étudiant le petit dossier de l’ala III Assyriorum, il est arrivé à la conclusion que les anciens duplicarius et sesquiplicarius avaient été

remplacés au IVe siècle par des sous-officiers du nom de catafractarius. Deux papyrus sont à

la base de cette hypothèse, le ChLA, XLIII, 1248 et le ChLA, XVIII, 660. Le premier est le “certificat de service militaire” en trois parties de Sarapion. Il retrace la carrière de cet homme au sein de l’ala III Assyriorum à travers trois documents administratifs, écrits séparément entre 395 et 401 p.C., indiquant les changements de grades du soldat. La première lettre indique sa promotion de catafractarius à decurio, la seconde sa promotion de miles munifex à

catafractarius et la dernière est une lettre de congé pour maladie après dix-huit années de

service. Le second papyrus est une liste de soldats de la même unité donnant la hiérarchie des grades de l’aile entre 319 et 329 p.C. par ordre décroissant, praefectus, princeps primae

turmae, decuriones, summus curator, actuarius, catafractarius. Si l’on exclut les fonctions du summus curator et de l'actuarius, qui sont des fonctions administratives, le grade inférieur à decurio est bien catafractarius.

L’hypothèse de C. Zuckerman est étayée par le fait que les mentions de duplicarius et

de sesquiplicarius disparaissent totalement de la documentation du IVe siècle comme le

démontre une analyse de ces mentions dans les corpus des inscriptions et des papyrus.

Grades IIIe siècle IVe siècle

61 Pour un aperçu plus complet des différentes fonctions existantes dans les ailes, cf. p.32.

decurio 61 20

duplicarius 24 0

sesquiplicarius 12 0

catafractarius 0 13

eques/munifex 51 12

Tableau 7. Occurrences des termes de grades dans les documents papyrologiques et épigraphiques aux IIIe et IVe siècles.

À l’époque romaine, les sous-officiers de cavalerie sont souvent en première ligne lors

des combats63

. Leur exposition aux tirs a pu amener ces soldats à renforcer leur protection en sus de l’équipement défensif fourni par l’armée, afin de se protéger des traits ennemis et cela

à partir de l’argent obtenu par leur meilleure solde64

. Le cavalier dispose généralement déjà d’une cotte de mailles et d’un casque ; par contre rien ne protège sa monture fortement exposée aux traits. Il est envisageable, par conséquent, que les sous-officiers aient acquis des caparaçons de mailles ou d’écailles pour les protéger. Dans le même ordre d’idée, le pouvoir a pu réaliser l’intérêt d’avoir des cavaliers de première ligne disposant de montures caparaçonnées. Les pertes en chevaux sont moins importantes et la remonte diminue d’autant. L’administration militaire a pu alors favoriser l’alourdissement défensif des sous-officiers en généralisant la mesure à toutes les ailes et en transformant les noms des rangs. Au vu de la répartition des termes dans le temps, cette réforme, comme le suggère C. Zuckerman, a dû

intervenir sous la Tétrarchie bien qu’aucun document ne l’atteste explicitement65

.

Les effectifs de la turme n’ont probablement pas changé avec l'apparition officielle du

catafractarius comme grade. Végèce, à la fin du IVe siècle, évoquant la cavalerie légionnaire de l’antiqua legio, parle toujours de 32 cavaliers commandés par un decurio, accompagné

d’un porteur de vexillum66

. Cette organisation se réfère à la fin du IIIe siècle, mais paraît

toujours d’actualité au IVe siècle comme le démontre le point suivant concernant les effectifs

des alae. Il semble que Végèce commette une erreur en n’incluant pas le decurio et le porteur d’enseigne dans les 32 hommes et, là où il voit dans ce dernier un vexillarius, il faut voir plutôt un signifer. Ces quelques corrections font apparaître une aile semblable dans la forme à

63 Speidel, M. P. 2000, 475-481.

64 Le renforcement de l’équipement défensif est un phénomène que l’on constate sur les champs de bataille à toutes les époques. A la bataille d'Azincourt en 1415, les hommes d’armes français ajoutent un second plastron sur leur harnois pour se garantir des flèches anglaises. Durant la première guerre mondiale, les Allemands adoptent un casque qui peut accueillir une plaque frontale supplémentaire en acier.

65 Une des premières mentions de catafractarius apparaît dans P.Giss 126 daté de 309 p.C. parmi l’ala

Abasgorum, une unité semble-t-il recrutée sous la Tétrarchie.

celle de l’époque sévérienne. En définitive, la structure de la turme du IVe siècle peut se résumer avec le tableau ci-après :

Grades Fonctions Rangs

decurio

catafractarii signifer et cornicen/tubicen principalis equites

Tableau 8. Hiérarchie simplifiée de la turme au IVe siècle.