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LES ACTES FONDATEURS

I. LA LOCALISATION DES IMAGES HOMERIQUES

3. Les comparaisons

Enfin, les troisièmes « lieux » investis par Homère pour y développer l’enargeia, sont les comparaisons (eikones181). Dans l’Iliade et l’Odyssée182, nous

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J.-P. VERNANT, « Une face de terreur », dans La mort dans les yeux, Figures de l’Autre en Grèce

ancienne, Paris, Hachette, 1998, p.39-54. 181

Dans la rhétorique d’ARISTOTE (Rhet., II, 4, 1406b), la « comparaison » est traduite par la notion d’ « eikôn ».

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La comparaison est une figure très employée dans l’Iliade et l’Odyssée. Dans le développement qui va suivre, comte tenu de l’ampleur du corpus, nous nous sommes cependant cantonnée à relever les

remarquons que les comparaisons sont rarement utilisées comme un simple étai à la pensée : le poète s’y attarde, s’y complaît au point de créer une image, dotée d’une grande qualité visuelle. Dans ses épopées, les figures analogiques possèdent une telle ampleur, un tel fini, qu’elles semblent véritablement traitées pour elles-mêmes, comme de « petits tableaux indépendants »183.

Certaines, se limitant à quelques mots – comme par exemple : un guerrier « pareil à un noir ouragan » (Il., XII, 375-376) – sont « simples », d’autres, s’étendant sur plusieurs vers sont « développées ».

Notons que, structurellement, ces figures se rapprochent des précédentes, dans la mesure où elles sont enchâssées : des outils corrélatifs, oiois…ôs ou osos.. tosos, les isolent syntaxiquement du contexte pour les faire apparaître en relief sur la trame du récit. Elles ressemblent aussi aux ekphraseis (entendues ici au sens restreint de « descriptions d’œuvre d’art »), de par leur fonctionnement, car leur construction est « paratactique »184 : elles développent en marge du récit, des images qui sont autonomes. Partant du contexte, la comparaison opère un mouvement d’extension, par lequel elle invite le lecteur à voir le « semblable » par le détour de l’« autre ».

De surcroît, les phantasiai, « représentations », développées dans les comparaisons homériques possèdent leurs caractères propres.

3.1. La nature des comparés

Relativement à la nature des comparés, nous remarquons qu’Homère recourt très souvent à une comparaison pour décrire des scènes divines, des scènes psychologiques ou des scènes martiales.

références des comparaisons de l’Iliade. Un bon recensement qualitatif de l’ensemble des comparaisons homériques est par ailleurs fourni dans le travail de W.C. SCOTT, The Oral Nature of

the Homeric simile, Mnemosyne, 1974, Appendix, p.190-205. 183

– Les dieux

Les premiers types de comparés rencontrés sont les dieux. Homère a besoin du détour par le semblable pour décrire le divin, qui, par définition est invisible et surtout indicible185. Homère écrit, à juste titre, que « l’on soutient mal la vue des dieux qui se montrent en pleine lumière »186. Pour les figurer et les rendre apparents aux yeux des mortels, le poète a donc recours à des formes sensibles, afin qu’elles offrent une représentation de cet univers divin qui transcende celui des mortels. Grâce aux comparaisons, leurs actions sont en quelque sorte matérialisées. Homère décrit d’abord l’entrée ou la sortie des dieux au moyen de comparaisons. Dans l’Iliade, les divinités concernées sont plus particulièrement : Apollon, Arès, Athéna, Héra, Iris et Poséidon187. Comme l’indique le tableau ci-dessous, les comparants utilisés sont divers.

Les scènes d’épiphanie dans l’Iliade

Comparé Comparant Localisation Athéna un astre IV, 73-79

Arès un nuée V, 864-868 Poséidon un aigle XIII, 62-65 Héra la pensée d’un homme XV, 80-85 Isis la neige ou la grêle glacée XV, 170-172 Apollon un milan XV, 237-238 Athéna un arc-en-ciel XVII, 547-552 Iris un plomb XXIV, 76-82

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L’expression est de P.CHANTRAINE, La grammaire homérique, Paris, Klincksieck, 1953, t.II, p.355.

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M. ARMISEN-MARCHETTI, Sapientiae Sapies,Etude sur les images de Sénèque, Paris, Les Belles

Lettres, 1989, p.296, explique que la comparaison chez Homère est souvent un moyen de représenter l’inconnu : « Dans les poèmes homériques déjà, la comparaison sert à décrire ce qui échappe à l’expérience humaine, qu’il s’agisse de faits divins ou miraculeux (Athéna apparaît sur le champ de bataille comme un météore : Il., IV, 75-77) ou de phénomènes psychologiques insaisissables par les sens (Ménélas, tout heureux d’avoir gagné une course de chars, sent fondre son cœur comme la rosée sur les épis : Il., XXIII, 597-600). Elle est déjà le moyen de se représenter l’inconnu par référence à quelque chose de familier ou du moins de mieux connu ». Sur ce point, cf. P.H. SCHRIJVERS, « Le

regard sur l’invisible. Etude sur l’emploi de l’analogie dans l’œuvre de Lucrèce », Entretiens sur

l’Antiquité classique (Fondation Hardt), XXIV, Genève, 1978, p.77-121 ; G. E. R. LLOYD, Polarity

and analogy, Cambridge, 1971 (1ère éd.1966), p.187-192.

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Il., XX, 131.

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La plupart du temps néanmoins, ils désignent un oiseau (aigle ou milan) ou un phénomène météorologique (apparition d’un astre, d’un nuée, d’un arc-en-ciel, de la neige ou de la grêle glacé). Parmi ces comparants, deux sont plus singuliers. Le premier, très réaliste, désigne un plomb, qui tombe à pic dans la mer (XXIV, 1, 76-82) ; le second, plus abstrait, compare l’envol d’un dieu à l’essor de « la pensée d’un homme qui a beaucoup voyagé » (XV, 80-85). Notons que lorsque l’épiphanie est de mauvais augure, le poète utilise une image, dont les harmoniques évoquent quelque chose de noir ou de tragique. Ainsi, l’arc-en-ciel, connote ici des valeurs inquiétantes : Homère écrit au chant XI que l’arc-en-ciel est un « signe effrayant » (Il., XI, 18). L’image de la nuée, ainsi que celle du plomb nous avertissent aussi d’un danger imminent188. La nuée, à laquelle est comparé Arès a une valeur funeste, parce qu’elle est qualifiée de « ténébreuse » et présentée comme annonciatrice de tempête (Il., V, 865). Quant à l’image du plomb, elle est également funeste, puisqu’elle est associée à l’idée de « mort », explicitement citée dans le passage (Il., XXIV, 76-82).

Homère représente aussi l’action des dieux sur le champ de bataille au moyen de comparaisons, en utilisant des comparants animaux ou humains. Au chant V de l’Iliade, nous relevons par exemple deux comparaisons où des déesses sont comparées à des « colombes timides », parce qu’elles sont impressionnées par les héros : une première fois, dans le chant V : « Les deux déesses (Athéna et Héra) vont ensuite, d’une allure toute pareille à celle de colombes timides, désireuses de porter aide aux Argiens » (Il., V, 778-779) ; une seconde fois, dans le chant XXI : « La déesse (Artémis) baisse la tête en pleurant et s’enfuit. On dirait une colombe qui, sous l’assaut du faucon, s’envole vers un rocher creux, vers le trou où est son nid, le sort ne voulant pas qu’elle soit prise cette fois » (Il., XXI, 493-495). Lorsque Athéna et Apollon veulent écouter le débat entre Grecs et Troyens, Homère les compare, aussi, de façon très concrète, à des vautours (VII, 58-62). Dans plusieurs exemples, Homère compare encore les dieux à des humains. Lorsque Athéna dévie le trajet d’une flèche, elle est comparée à une mère qui éloigne une mouche d’un enfant endormi : elle éloigne le trait du corps de Ménélas, « tout comme une mère éloigne une mouche d’un fils qui s’étend pour un doux sommeil » (IV, 131-132). Quant à Apollon, lorsqu’au chant XV,

il fait crouler le mur des Achéens, il est comparé à un enfant qui s’amuse à abattre des châteaux de sable :

« Ainsi qu’un enfant, au bord de la mer, se fait avec le sable des jouets puérils, qu’il s’amuse ensuite à abattre d’un coup de pied ou d’un revers de main, ainsi tu abats, Phoebos, dieu des cris aigus, ce qui avait coûté aux Argiens tant de peine et de misère, et tu fait parmi eux se lever la panique » (Il., XV, 362-366).

Les actions des dieux sur le champ de bataille dans l’Iliade

Comparé Comparant Localisation Athéna une mère IV, 131-132 Athéna & Héra des colombes timides V, 778-779

Athéna & Apollon des vautours VIII, 58-62 Apollon un enfant XV, 362-366 Artémis une colombe apeurée XXI, 493-495

Il est enfin un phénomène particulier, qu’Homère a illustré en image, c’est le phénomène d’« enthousiasme », c’est-à-dire le moment où la divinité insuffle de l’énergie au héros. Nous en avons relevé trois exemples. Dans les trois cas, c’est Athéna qui est l’auteur de l’action ; elle soutient successivement Diomède, Ménélas et Achille. Dans deux occurrences (Il., V, 1-7 ; XVIII, 203-214), le « ménos », « l’énergie guerrière » , parfois associé au « tharsos », « l’audace », est métaphoriquement désigné par le feu, pûr, dans la figure analogique :

« Alors c’est à Diomède, au fils de Tydée, que Pallas Athéné donne cette fois la fougue (ménos) et l’audace (tharsos). Elle veut qu’il se distingue entre tous les Argiens et remporte une noble gloire. Sur son casque et son bouclier, elle allume un feu vivace. On dirait l’astre de l’arrière-saison, qui resplendit d’un éclat sans rival, quand il sort de son bain dans les eaux de l’Océan. Tout pareil est le feu (pûr) que Pallas allume sur le chef et les épaules » (Il., V, 1-7).

« Sur ses fières épaules, Athéna vient jeter l’égide frangée ; puis la toute divine orne son front d’un nimbe d’or, tandis qu’elle fait jaillir de son corps une flamme resplendissante. On voit parfois une fumée s’élever d’une ville et monter jusqu’à

l’éther, au loin, dans une île qu’assiège l’ennemi. Tout le jour, les gens du haut de leur ville, ont pris pour arbitre le cruel Arès : mais, sitôt le soleil couché, ils allument des signaux de feu, qui se succèdent, rapides, et dont la lueur jaillit assez haut pour être aperçue des peuples voisins : ceux-ci peuvent-ils venir sur des nefs les préserver d’un désastre ? C’est ainsi que du front d’Achille une clarté monte jusqu’à l’éther » (Il., XVIII, 203-214).

Dans le deuxième exemple, c’est encore Athéna, qui est l’auteur de ce transfert d’énergie. Elle soutient Ménélas dans son action. Cette fois, c’est sur l’«audace », tharsos, que porte l’objet de la comparaison, qui, ressemble, selon Homère à celle de la mouche :

« Elle met la vigueur dans les épaules et ses genoux, et, dans sa poitrine, l’audace de la mouche, qui, quelque soin qu’on prenne à l’écarter, s’attache, pour la mordre, à la peau de l’homme et trouve son sang savoureux ; toute pareille est l’audace dont la déesse emplit ses noires entrailles » (Il., XVII, 569-573).

Les scènes théâtralisées de la transmission du ménos dans l’Iliade

Comparé Comparant Localisation Le ménos, le tharsos un feu V, 1-7

Le tharsos une mouche XVII, 569-573 Le ménos une flamme XVIII, 203-214

Notons que, dans plusieurs scènes d’ « enthousiasme », où le guerrier est animé par le ménos, les dieux ne sont pas explicitement cités : seule, la comparaison insistant sur la brillance du bouclier opère dans le contexte pour manifester cet événement. Nous avons relevé six occurrences de ce type de comparaisons dans l’Iliade : Il., II, 455-458 ; Il., XI, 62-66 ; Il., XIII, 242-245 ; Il., XIX, 374-380 ; Il., XXII, 26-32 ; Il., XXII, 317-321.

– Les sentiments et caractères

Les deuxièmes types de comparés rencontrés sont les sentiments et les caractères. Parce qu’Homère ne sait pas représenter ces abstractions189, il ressent souvent le besoin de recourir à une comparaison, figurant l’effet de manière sensible. La tristesse est par exemple comparée à une « source d’ombre, qui, d’un roc escarpé, déverse son eau noire » (Il., IX, 13-15 ; XVI, 2-4). Le doute est comparé à une houle muette sur la mer (Il., XIV, 16-22). Le deuil qui déchire le cœur est comparé à une vague noire qui submerge un rivage (Il., IX, 3-8). L’éclat de larmes est comparé à une averse de grêle qui se prépare dans le ciel (Il., X, 5-10). La douleur provoquée par une plaie est comparée aux traits lancinants qui frappent une femme au travail (Il., XI, 267-272). Le cœur qui se dilate sous le coup d’une émotion, est comparé à un épi de blé, qui gonfle dans sa balle (Il., XXIII, 596-600). Les comparants les plus fréquemment utilisés sont des éléments. L’eau, sous toutes ses formes, est très bien représentée. Sous la forme d’une source, elle représente la tristesse, le liquide noire de la mélancolie, qui se déverse dans le cœur des mortels ; sous la forme de la mer, elle représente les mouvements profonds de l’âme, comme le doute ou le deuil.

Les représentations de sentiments dans l’Iliade

Comparé Comparant Localisation la joie de Ménélas la joie d’un lion à la vue de proies III, 23-28 la peur d’Alexandre la peur à la vue d’un serpent III, 33-37 la fureur de Diomède la fureur d’un lion blessé V, 136-143 le frisson de Diomède le frisson devant un fleuve impétueux V, 596-599 le deuil des Troyens la mer déchirée IX, 4-8 les pleurs d’Agamemnon la source sombre IX, 13-15 la montée des sanglots d’Ag. la préparation de la pluie X, 5-10 la douleur physique d’Ag. la douleur d’une femme au travail XI, 267-272

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C’est du moins l’hypothèse formulée par B. SNELL, Die Entdeckung des Geistes, 1948, citée par J.DE ROMILLY, Patience mon cœur!, l’essor de la psychologie dans la littérature grecque classique, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p.27 : « Comme l’a très bien montré B. Snell (…), il (Homère) n’avait encore ni une représentation bien claire de la vie intérieure, ni une armature conceptuelle lui permettant de la décrire ».

la fureur d’Agamemnon la fureur d’un lion XI, 239 la fureur d’Hector la course inflexible d’une pierre ronde XIII, 136-146 les palpitations d’Adamas les palpitations d’un bœuf XIII, 570-575 le doute de Nestor le frémissement d’une houle muette XIV,16-22 la peur d’Antiloque la peur d’une bête coupable XV, 585-599 la détermination des Grecs la résistance d’un roc escarpé XV, 618-622 les larmes de Patrocle la source d’ombre XVI, 2-4 les larmes de Patrocle une petite fille réclamant sa mère XVI, 7-11 les gémissements de Sarpédon un taureau assailli gémissant XVI, 486-491 l’entêtement des chevaux une stèle immuable XVII, 434-437 l’audace de Ménélas l’audace de la mouche XVII, 569-574 les sanglots d’Achille un lion privé de ses petits XVIII, 318-322 la patience d’Hector un serpent repu de poisons malfaisants XXII, 93-97 les larmes d’Achille un père se lamentant XXIII, 222-225 la joie de Ménélas le gonflement du blé XXIII, 596-600 l’impiété d’Achille la sauvagerie d’un lion XXIV, 42-44

Homère emploie encore des comparaisons pour décrire des tempéraments ou des caractères. Par exemple Hector a un cœur inflexible, comme une hâche qui taille la quille d’une nef (Il., III, 62-66). Plus loin, le poète écrit qu’Hector fonce comme une pierre ronde suit sa course inflexible (Il., XIII, 136-146). Les comparants les plus employés pour peindre un caractère sont de nature animale. Homère emprunte ces images à un bestiaire symbolique, dont il nous définit parfois le code – grâce à une notation explicative, nous savons par exemple que la vaillance est le propre du sanglier, Idoménée est « pareil pour la vaillance à un sanglier » (Il., IV, 253) et que l’acharnement, l’ardeur constante et l’opiniâtreté à la tâche est la qualité propre à la mouche : « Elle met la vigueur dans ses épaules et ses genoux, et dans sa poitrine, l’audace de la mouche, qui, quelque soin qu’on prenne à l’écarter, s’attache, pour la mordre, à la peau de l’homme et trouve son sang savoureux » (Il., XVII, 569-574) ; grâce à une indication semblable, nous apprenons par ailleurs que l’acuité du regard est le propre de l’aigle, qui selon lui, est, «celui des oiseaux du ciel qu’on dit avoir l’œil entre tous perçant (…) si haut qu’il soit, il ne manque pas de voir le lièvre aux

pieds rapides gîté sous un buisson feuillu » (Il., XVII, 673-681). Au demeurant, le comparant animal est la plupart du temps dénué de tout commentaire explicatif : leur description en acte suffit à définir la qualité qui est montrée. Chaque animal est porteur en soi de valeurs symboliques, qui sont, comme le dirait C.G.Jung190, « archétypales » : par nature, la colombe symbolise la timidité ; le lion, la vaillance. Notons que certaines sont peut-être plus propres à l’imaginaire homérique191. Par exemple les biches chez Homère, représentent une image de la couardise. Ainsi, lorsque Agamemnon s’adresse aux couards, il les compare à des biches :

« On croirait voir des biches qui se sont lassées à courir par la vaste plaine et qui, quand elles s’arrêtent, n’ont plus aucune force au cœur. Voilà de quoi vous avez l’air, lorsque vous restez là, stupides, sans combattre ! » (Il., IV, 242-245).

– Les hommes au combat

La majorité des comparaisons sont, cependant de nature martiale : Homère se sert du détour de l’« autre », pour figurer plus concrètement un moment de l’action guerrière. Certaines comparaisons offrent de manière sensible des vues aériennes du champ de bataille où les guerriers sont assimilés à des points colorés : « des troupes font halte dans la prairie fleurie, (…) comme feuilles et fleurs au printemps » (Il., II, 467-468). Vue du ciel, la masse indistincte des troupes est aussi comparée à une nuée (Il., III, 10-14), une moisson (Il., II, 147-149), une mer (Il., II, 144-146 ; II, 209-210 ; IV, 422-428) ou à un incendie (Il., XVII, 736-741). Dans le chant III, Homère compare par exemple le nuage de poussière soulevé par une troupe en marche à un brouillard, répandu par Notos, sur les cimes d’un mont (Il., III, 10-14). Lorsque le regard d’Homère est moins distant et qu’il distingue plus nettement la forme des hommes s’affairant au combat, le poète emploie plus volontiers des comparants animaux : des

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C.G. JUNG, L’Homme et ses symboles, Paris, Laffont, 1964.

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Pour une étude plus précise de la symbolique du bestiaire homérique, cf. A. SCHNAPP -GOURBEILLON, lions, héros, masques, les représentations de l’animal chez Homère, Paris, Maspero, 1981. Elle écrit p.11 : « Dans la démarche analogique, l’animal donne à voir les vertus du héros auquel il se réfère : il suggère, il met en valeur, il renvoie une image amplifiée et sélective, comme un miroir subtilement déformant. C’est le lion des razzias de troupeaux, le sanglier des grandes chasses épiques, l’aigle valeureux lancé sur une proie, le loup rusé, la biche affolée… ».

abeilles (Il., II, 86-93), des guêpes (Il., XVI, 257-267), des mouches (Il., II, 469-473 ; XVI, 641-643) ou des oiseaux (Il., II, 459-468). Les troupes armées sont par exemple comparées à un essaim d’abeilles au chant II (Il., II, 86-93) et à un essaim de guêpes au chant XVI (Il., XVI, 257-267) :

« Ils se répandent aussitôt, pareils aux guêpes du chemin, que des enfants ont coutume d’irriter et de taquiner sans répit, nichées qu’elles sont au bord de la route. Pauvres sots qui préparent de la sorte un ennui commun à mille autres ! Qu’un voyageur ensuite, qui passera près d’elles, les émeuve sans le vouloir, les voilà d’un cœur vaillant, qui, toutes volent à l’attaque pour la défense de leurs jeunes. Les Myrmidons ont âme et cœur pareils, au moment où ils se répandent hors des nefs. Une huée indomptable s’élève » (Il., XVI, 257-267)

Plus précisément, les différents moments de la bataille sont figurés au moyen de comparants spécifiques192. La rencontre de deux armées est par exemple comparée au choc frontal entre deux éléments : deux torrents (Il., IV, 446-456) ou deux vents (Il., XVI, 765-771) ; le front de lutte, à des images appartenant au domaine artisanal : le cordeau d’un charpentier (Il., XV, 410-413) ou la muraille d’un maçon, aux moellons bien serrés (Il., XVI, 212-215). Les coups lancés de part et d’autre sont comparés à des javelles (Il., XI, 67-71 ; XIII, 586-592 ) ou à des flocons de neige (Il., XII, 156-160 ; XII, 277-289). Ainsi le rebond de la flèche sur la cuisse de Ménélas est comparé au saut des fèves noires ou pois chiches sur la large pelle à vanner :

« Ainsi, de la large pelle à vanner, sur une aire immense, sautent fèves noires ou pois chiches, dociles au vent sonore et à l’élan donné par le vanneur ; ainsi, de la cuirasse du glorieux Ménélas, la flèche amère rejaillit et se perd au loin » (Il., XIII, 586-592).

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Pour une typologie des différents moments de la bataille, cf. P. MINICONI, Etude des

thèmes guerriers de la poésie épique gréco-romaine, Paris, Les Belles Lettres, 1951. Cf. la description

du « schéma » p.19-33 et l’appendice, pour les différentes représentations analogiques qui leur sont associées.

Les hommes qui chargent en masse sont comparés à des loups (Il., IV, 471 ; IX, 72 ;XVI, 156-167 ; XVI, 352-357). La plus développée de ces comparaisons est dans le chant XVI :

« On dirait des loups carnassiers, l’âme pleine d’une vaillance prodigieuse, qui, dans la