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Chapitre III : La protection sociale en Amérique latine et la spécificité de l’État providence brésilien

3.2 Les caractéristiques des États providence latino-américains

Des efforts assez remarquables ont été déployés afin de faire la lumière sur la réalité latino-américaine. Mesa-Lago189 propose une caractérisation des États providence de la région partant des éléments suivants : (a) le degré d’ancienneté ; (b) la maturité institutionnelle du système; (c) le degré d’universalisation des politiques ; (d) le rapport entre les contribuables et les bénéficiaires des systèmes de prévoyance sociale. Les pays composant un premier groupe de « pionniers » cités par cet auteur sont l’Argentine, l’Uruguay, le Chili, le Brésil et Cuba, ce dernier empruntant une voie particulière à partir du début des années 1960. Cette classification permet d’attirer l’attention sur les caractéristiques les plus communes à certains pays de la région, surtout du point de vue de la fragmentation et de la stratification du système découlant de l’incorporation des groupes de pression. Ces caractéristiques présentent comme résultat une structure pyramidale, avec les « privilégiés » en haut tandis qu’à la base de la pyramide on trouve la majorité de la population, qui se retrouve dans les systèmes « pauvres » complétés par l’assistance sociale. L’évolution de ces systèmes fut fortement conditionnée par la pression des groupes d’intérêts, ce qui résulta en une « massification stratifiée » de privilèges réfractaires à toute tendance universaliste. Dans ces pays, les bénéfices répondent plutôt aux intérêts et aux stratégies corporatistes des assurés, générant des irrationalités, des crises et l’absence de politiques égalitaires.

189 Voir Carmelo Mesa-Lago, Social Security in Latin America. Pressures Groups, Stratification and Inequality (Pittsburg: University of Pittsburgh Press: 1978); Le cas du Brésil est analysé par Mesa-Lago

dans Carmelo Mesa-Lago et Fabio Bertranou, « Manual de Economia de la Seguridad Social » (Montevideo: CLAEH, 1998), Tableaux 2 - 5, cité par Sonia Fleury et Carlos Gerardo Molina « Modelos de Proteccion Sociale », (Washington: BID-INDES, 2002), pages 10-14.

Après les années 1990, tous les pays de ce groupe, sauf Cuba bien sûr, ont privilégié l’achat de services au secteur privé, surtout dans les domaines de la santé et de l’éducation. Le cas le plus remarquable fut celui du Chili, qui a consacré cette tendance après les réformes des années 1970190. Un autre ensemble de caractéristiques des pays composant ce groupe jusqu’aux années 1990 est : (a) la remise de bénéfices à environ 60 % de la population, laissant aux 40 % restants l’assistance sociale comme seul moyen d’accéder aux services; (b) des contributions sur le salaire nominal s’élevant approximativement à 26 %; (c) des dépenses pour l’ensemble du système équivalent à presque 10 % du PIB, dont la plupart étaient versées au paiement de retraites; (d) des déséquilibres financiers déjà manifestés au début des années 1980 qui mèneront aux réformes des années 1990191.

Ces systèmes ont été fortement affectés par le vieillissement de la population assurée et contribuable. Ce changement démographique implique une augmentation de la demande pour des retraites, concomitante à une diminution de la base contribuable, menant aux situations de détérioration et de crises financières qui ont fortement inspiré les propositions de réformes. Cependant, les résultats de ces réformes n’ont pas été homogènes même si on peut observer des traits communs comme la tentative de centraliser les multiples institutions afin de démanteler l’administration corporative et, en même temps, concentrer le pouvoir au niveau des gouvernements fédéraux. En ce qui a trait aux modèles de sécurité sociale (c’est la façon dont on nomme la prévoyance sociale, au moins jusqu’à la fin des années 1980), le caractère hétérogène des réformes

190 Sonia Fleury Estado Sem Cidadãos : Seguridade Social na América Latina, page 162. Au Brésil, cette

tendance se vérifie plutôt dans l’enseignement supérieur par l’entremise de la concession de bourses qui sont payées directement aux institutions privées afin de financer la formation supérieure.

191 Laura Tavares, Ajuste Neoliberal e Desajuste Social na América Latina (Rio de Janeiro : Vozes, 2001),

fut attesté récemment par Mesa-Lago, dans une étude portant sur une dizaine de pays de l’Amérique latine où l’auteur montre l’introduction de trois nouveaux modèles : le substitutif, le parallèle et le mixte. L’auteur démontre qu’il n’y a pas un modèle homogène même à l’intérieur de chaque groupe, de sorte qu’on constate plutôt l’existence de dix réformes différentes dans les pays analysés192.

On trouve dans la classification proposée par Mesa-Lago un deuxième groupe de pays intermédiaires composé de ceux qui ont mis sur pied les premières initiatives de politique sociale dans les années 1940 en s’inspirant du Plan Beveridge, sous l’influence de l’OIT en Amérique latine. Malgré l’absence de caractéristiques communes , ces cas pouvant être classés selon (a) le niveau de dépenses très élevé et (b) une faible universalisation des bénéfices. Dans ce groupe de pays on peut compter le Costa Rica, le Panama, le Mexique, le Pérou, la Colombie, la Bolivie, l’Équateur, le Paraguay et le Venezuela. Contrairement aux pionniers dont les politiques sociales étaient le résultat de la diversification de la structure productive et du besoin d’incorporation des groupes émergents, on remarque dans ce deuxième groupe l’influence extérieure, autant du point de vue économique, que politique et idéologique. Malgré le manque d’identité propre, ce groupe est caractérisé par Mesa-Lago comme un sous-groupe de pionniers dont la variable unificatrice serait le modèle de sécurité sociale (prévoyance) en fonction du haut degré d’unification des systèmes, ce qui rend possible la création de mécanismes visant à

192 Carmelo Mesa-Lago, « A Reforma Estrutural dos Benefícios da Seguridade Social na América Latina:

Modelos, Caracteristicas, Resultados e Lições » dans Vera Schattan P. Coêlho, (dir.,) A Reforma da

Previdencia Social na América Latina (Rio de Janeiro: FGV, 2003), page 250. Les pays composant le

groupe du modèle substitutif sont : le Chili (le pionnier en 1981), la Bolivie et le Mexique (1997), El Salvador (1988), le Nicaragua (2001) et la République Dominicaine (2001). Les pays qui ont adopté le modèle parallèle sont : le Pérou et la Colombie. Finalement, ceux qui ont adopté le modèle mixte sont l’Argentine (1994), l’Uruguay (1996)et le Costa Rica (2001). Le Brésil et le Honduras ont adopté un système mixte à partir du début des années 2000.

éviter des problèmes financiers, administratifs et notamment politiques tel qu’on le vérifie chez les pays du premier groupe.

Les caractéristiques de ces pays par rapport au premier groupe sont : (a) un taux de couverture plus bas avec des écarts plus importants (entre 18 et 50 %); (b) une contribution sur le salaire nominal plus basse (autour de 20 %); (c) des dépenses de sécurité sociale s’élevant en moyenne à 3 % du PIB, plutôt consacrées aux services de santé; (d) un ratio passif/actif oscillant entre 0,05 et 0,015 %; (e) une espérance de vie plus basse et un taux de croissance de la population plus élevé193.

Finalement, l’auteur propose un troisième groupe pour les pays considérés « retardataires », qui ont mis sur pied les premières initiatives concernant le bien-être social à partir des années 1950-60. On peut leur attribuer quelques caractéristiques communes comme (a) un degré d’universalisation extrêmement bas; (b) une haute concentration de services dans le milieu urbain et (c) l’inexistence d’institutions centrales pour coordonner les actions. Les pays faisant partie de ce groupe sont la République Dominicaine, le Nicaragua, le Salvador, le Guatemala et le Honduras194.

Les caractéristiques de ce groupe par rapport aux deux précédents sont : (a) une population protégée par les régimes d’assurance sociale assez réduite (moins de 10 % de la population totale et moins de 19 % de la population économiquement active), concentrée dans les grandes aires urbaines; (b) des dépenses de sécurité sociale ne dépassant pas les 2 % du PIB et tournées vers l’assurance-maladie et la maternité; (c) un budget destiné aux paiements de retraites en-dessous d’un cinquième du total; (d) un ratio

193 Laura Tavares, idem page 84

194 Idem, Carmelo Mesa-Lago et Fabio Bertranou, Manual de Economia de la Seguridad Social,

(Montevideo : CLAEH, 1998), Tableau 7, cité par Sonia Fleury et Carlos Gerardo Molina, « Modelos de Proteccion Social » (Washington : BID-INDES), 11-13.

passif/actif oscillant entre 0,05 et 0,015 %; (e) une espérance de vie plus basse et un taux de croissance de la population plus élevé195. Le tableau proposé ci-dessous présente une synthèse des caractéristiques de chaque groupe de pays.

Tableau 3.1 : Synthèse des caractéristiques de la protection sociale en Amérique latine par groupe de pays.

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