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Chapitre II : Cadre théorique et pertinence de la recherche

2.1 Institutions et changements de politiques publiques

nous présenterons en dernière partie du présent chapitre un état des lieux sur les recherches portant sur les politiques de transfert de revenu au Brésil et une justification de l’approche des trois i pour rendre compte des transformations de l’État providence brésilien.

2.1 Institutions et changements de politiques publiques

L’institutionnalisme historique est le champ privilégié d’analyse pour mettre en relief le caractère stable, voire immuable des institutions. Selon cette approche, les institutions constituent le cadre de référence qui structure la vie en société en définissant un ensemble de règles et de normes de comportements, et qui survivent au remplacement des individus. Les institutions sont relativement réfractaires aux préférences et aux idiosyncrasies individuelles91. Les institutionnalistes attribuent un rôle prépondérant aux

institutions parce que celles-ci déterminent et définissent les qualités des individus aptes à participer à l’arène politique et façonnent les stratégies et les préférences des acteurs92.

Cependant, on trouve parmi les institutionnalistes des auteurs qui soutiennent qu’il ne faut pas considérer les institutions en tant qu’éléments figés suivant la volonté de leurs créateurs ou en tant que reflet de la distribution du pouvoir car elles ont un caractère dialectique inhérent et sont sujettes à des transformations inattendues93. Cette nouvelle

91 James March, et Johan P. Olsen. « The New Institutionalism: Organisational Factors in Political Life », American Political Science Review, No. 78, (1984), notamment page 741.

92 Sven Steinmo, « The New Institutionalism » dans Clark Barry et Joe Foweraker, The Encyclopedia of Democratic Thought, (London:Routlege) En ligne. http://stripe.colorado.edu/~steinmo/foweracker.pdf (page consultée le 10 août 2005).

93 Katheleen Thelen, « How Institutions Evolve: Insights from Comparative Historical Analyses » dans

James Mahoney and Dietrich Rueschemeyer, Comparative Historical Analysis in the Social Sciences (Cambridge University Press, 2003), 208-240.

façon d’analyser les institutions caractérise l’innovation de l’approche sous la dénomination de néo-institutionnalisme.

Les néo-institutionnalistes ont en commun l’idée de prendre les institutions comme variable explicative des phénomènes sociaux et politiques94. Ce mouvement de (re-)valorisation de l’approche institutionnelle a pris son essor dès le début des années 1990, époque où certains chercheurs sont arrivés à la conclusion que toute analyse politique devrait accorder une place essentielle aux institutions95. Peter Hall et Rosemary Taylor ont montré que les trois institutionnalismes partent d’une prémisse commune, à savoir le rôle des institutions en tant que contraintes socialement construites qui permettent de mieux appréhender les comportements des individus et des organisations dans l’espace public. Pourtant ces auteurs ont remarqué que les tenants de ces perspectives ne s’accordent pas sur les raisons de l’émergence des institutions et moins encore sur leur pérennité96.

Dans son versant historique, l’approche néo-institutionnaliste postule que les changements politiques peuvent être mieux compris dans un contexte de lutte entre intérêts et idées et que ces deux éléments déterminent les changements politiques97. Bien que la plus grande part des travaux inspirés par l’approche néo-institutionnaliste soit constituée d’analyses macro-économiques, il est possible de s’en servir comme approche pour rendre compte de la nature des États providence puisque la majorité des recherches

94 Mamoudou Gazibo et Jane Jenson, La politique comparée : fondements, enjeux et approches théoriques

(Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2004), 197.

95 Éric Montpetit « Pour en finir avec le lobbying : comment les institutions canadiennes influencent

l’action des groupes d’intérêts », Politique et sociétés, 21:3, (2002), 91-109, page 99.

96 Peter Hall et Rosemary Taylor « La science politique et les trois institutionnalismes », Revue française de science politique, 47 :3-4, (1997), 469-496. Les trois institutionnalismes en question sont : l’institutionnalisme historique, l’institutionnalisme sociologique et l’institutionnalisme du choix rationnel.

97 Peter Hall Governing the Economy: The Politics of State Intervention in Britain and France (New York:

portant sur les transformations des États providence des pays développés sont inspirés du versant historique du néo-institutionnaliste. De telles études mettent l’accent sur les continuités plutôt que sur les changements et consacrent la path dependence comme une caractéristique commune et inéluctable des États providence. Suivant une tendance inaugurée par Pierson98, toute une génération de chercheurs s’est engagée sur cette voie

afin de montrer le caractère résilient ainsi que l’austérité permanente conduisant à la renégociation, la restructuration et à la modernisation plutôt qu’au démantèlement de l’État providence99.

Dans les pays sous-développés ou en développement, les institutions jouent aussi un rôle prépondérant car elles fonctionnent comme agents structurants du politique100. En

Amérique latine, l’État a traditionnellement joué un rôle prépondérant soit dans le sens de structurer et d’accorder du sens au politique101, soit dans le sens de forger des modes de rapport entre l’État et la société civile permettant l’élaboration de modèles particuliers de protection sociale et de citoyenneté102. Cependant, dans cette région la disparition de

98 Paul Pierson, Dismantling the Welfare State? Reagan, Thatcher, and the Politics of Retrenchment

(Cambridge: Cambridge University Press, 1997).

99 Paul Pierson, The New Politics of the Welfare State (Oxford: Oxford University Press, 2001).

100 Voir à ce sujet l’article de Philippe Faucher et Leslie Elliot Armijo où les auteurs soutiennent que les

différentes structures politico-institutionnelles fonctionnent en tant que variables explicatives du changement des politiques économiques dans les pays en développement car elles offrent les conditions idéales favorisant la coopération et le conflit entre les politiciens et d’autres acteurs sociaux. Dans cette étude, les auteurs développent une analyse comparée du Brésil et de l’Argentine afin de montrer que cette dynamique institutionnelle a mené à l’adoption de différentes politiques économiques dans les deux pays depuis la fin des années 1990. Philippe Faucher et Leslie Elliot Armijo « Crises Cambiais e Estrutura Decisória : A Politica de Recuperação na Argentina e no Brasil », Dados, 7:2 (2004), 297-334 notamment 307 à 320.

101 Voir à propos du rôle des institutions dans les PVD l’étude développée par Mathieu Arès, « L’État et le

changement de modèle économique : le rôle pivot des institutions », (Montréal, Thèse de doctorat, Département de science politique, 2000) spécialement chapitre 1, pages 1-64 où l’auteur traite du cas mexicain).

102 Selon Wanderley Guilherme dos Santos, l’organisation du politique en Amérique latine à l’égard des

programmes de redistribution et des systèmes de protection sociale précède l’organisation de la sphère de participation politique et cette organisation a eu de graves conséquences. D’abord elle a permis l’utilisation de la politique sociale comme instrument pour apporter une réponse au problème de la participation élargie dans un contexte de faible institutionnalisation libérale. Ensuite, elle a transformé la politique sociale en un

l’État développementiste a laissé un vide idéologique qui a fortement contribué à l’inertie du champ de l’analyse des politiques publiques de sorte que lorsqu’on les trouve dans la littérature, elles sont souvent imprégnées d’un « technicisme exagéré » comme le montrent bien les analyses en économie politique103. Il faudra attendre les années 1990, période qui coïncide largement avec la consolidation démocratique, pour observer une préoccupation académique pour le champ de l’analyse de politiques publiques qui résultera plutôt en un processus quasi schizophrénique d’instrumentalisation de l’évaluation des politiques publiques visant à la justification et à la promotion de la réforme de l’État104.

Au Brésil, les analyses portant sur l’État providence sont très rares, plus particulièrement quand il s’agit d’analyses visant à établir une articulation féconde entre les politiques publiques, le rôle des institutions et les règles du jeu politique pouvant produire des changements. Hormis les analyses historiques qui mettent l’accent sur l’aspect corporatiste de l’État providence brésilien et qui ont fortement marqué les traditions académiques, les analyses les plus récentes traitent, dans une vaste mesure, du paradoxe du modèle de sécurité sociale introduit par la Constitution fédérale de 1988105 ainsi que des tentatives de réforme du système de prévoyance sociale depuis le début des obstacle à l’institutionnalisation démocratique. En conséquence, l’État s’est affirmé comme canal privilégié de la représentation des intérêts et par conséquent les modèles de protection sociale dans cette région ont traditionnellement écarté une bonne partie de la société au profit des groupes d’intérêts les plus puissants et d’une classe moyenne qui a toujours su bien profiter de son statut dans ses rapports avec l’État. Ce caractère dualistique de la protection sociale constitue un facteur primordial œuvrant en faveur du redressement de son architecture, ce qui se présente comme une path contradiction. Voir Wanderley Guilherme dos Santos, Razões da Desordem (Rio de Janeiro : Rocco :1993), cité par Luciana Barros- Jaccoud, « Pauvreté, démocratie et protection sociale au Brésil », (Paris : Thèse de doctorat en sociologie, E.H.E.S.C., 2002), page 29.

103 Voir à ce sujet Elisa P. Reis « Reflexões Leigas Para a Formulação de Uma Agenda de Pesquisa em

Politicas Publicas », Revista Brasileira de Ciencias Sociais, 18:51, (2003), notamment 13.

104 Voir Carlos Aurélio Pimenta de Faria « A Politica de Avaliação de Politicas Publicas », Revista Brasileira de Ciências Sociais, 20 : 59, (2005), 97-109, notamment 99.

105 Ivanete Boschetti, « La sécurité sociale au Brésil dans la Constitution de 1988 : entre l’assurance et

années 1990. Dans ce cas, la path dependence fut la voie privilégiée pour expliquer l’inertie et le choix politique du gouvernement résultant en l’absence de réformes, car la nature même du modèle de sécurité sociale introduit par la Constitution fédérale de 1988 imposait un coût politique trop élevé en fonction de sa légitimité largement partagée dans la société brésilienne106. Si on compte déjà sur quelques travaux d’envergure

mettant en relief le rôle des institutions en tant que facteurs déterminants des changements, ces derniers traitent plutôt de la dynamique institutionnelle et des règles du jeu politique entre les pouvoirs exécutif et législatif dans le processus de réformes constitutionnelles ainsi que de la stabilisation économique, surtout pendant le gouvernement Cardoso107.

Évidemment, cette insuffisance d’analyses s’explique, d’une part, en fonction de l’héritage de plus de deux décennies de gouvernements militaires qui ont consacré un

policy process du type « top-down »108 et où les groupes d’intérêts ainsi que la société civile ont dû se conformer aux règles imposées d’en haut. D’autre part, elle peut être expliquée par la prédominance d’analyses fortement influencées par une vision manichéenne incapable de comprendre le rôle des institutions, autant que celui des intérêts et des idées et qui voit le Brésil comme le territoire par excellence de la

106 Voir sur la tentative de réforme de la prévoyance sociale, Marcus André de Melo « Escolha Institucional

e a Difusão de Paradigmas de Politica : O Brasil e a Segunda Onda de Reformas Previdenciarias », Dados 47:1, (2004), disponible sur http://www.scielo.org.br, page consultée le 10 juin 2006. Pour une analyse comparée des tentatives de reformes en Amérique latine menant aussi aux changements incrémentaux et à la « path dependance » voir Sylvain Turcotte, « Vers une nouvelle convergence de modèles? Acteurs locaux et transnationaux dans la réforme de la sécurité sociale en Amérique latine », Lien social et

politiques, 45, (2001), 29-40.

107Parmi ces travaux les plus remarquables sont ceux de Philippe Faucher « Restaurando a

Governabilidade : O Brasil (afinal) se Acertou? » Dados 41:1, (1998), 5-50 et Faucher et Leslie Elliot Armijo, « Crises Cambiais e Estrutura Decisória : A Politica de Recuperação na Argentina e no Brasil », ainsi que l’ouvrage d’Argelina Figueiredo et Fernando Limongi, Executivo e Legislativo na Nova Ordem

Constitucional, (Rio de Janeiro : Editora FGV, 1999).

108 J. L. Pressman & A. Wildavsky, Implementation (Berkeley: University of California Press: 1973),

manifestation de phénomènes comme le « clientélisme », le « paroissialisme », le « patrimonialisme », parmi d’autres, en tant que facteurs primordiaux caractérisant les politiques publiques, surtout les politiques sociales109.

Ce panorama explique d’avantage la difficulté du milieu universitaire brésilien à assimiler les approches traitant du rôle des institutions, ainsi que celles portant sur le rôle des idées et des intérêts. Cette insuffisance d’études vient confirmer la nécessité de développer une analyse de l’État providence brésilien, car nous croyons que le rôle des institutions a fortement œuvré non seulement dans la détermination de ses caractéristiques particulières comme dans le processus de transformations plus récentes. Cependant, le recours à d’autres variables comme les intérêts et le rôle des idées, tout en considérant l’importance des institutions, constitue un pas en avant par rapport aux analyses développées jusqu’à présent tout en procurant une inestimable contribution à la définition de la nature de la protection sociale brésilienne depuis l’adoption des politiques de transfert de revenu.

2.2 Les intérêts représentent-ils une variable importante pour expliquer les

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