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Apprentissage social, diffusion et lesson-drawing dans la définition du nouveau paradigme de la protection sociale

Chapitre IV : L’action sociale pendant les deux mandats de Fernando Henrique Cardoso et la prédominance de programmes de transfert de revenu

4.4 Les premières expériences de transfert de revenu Campinas e Distrito Federal

4.4.3 Apprentissage social, diffusion et lesson-drawing dans la définition du nouveau paradigme de la protection sociale

L’apprentissage associé à ces deux expériences fut renforcé par un processus d’émulation qui permit la réplication de programmes de transfert de revenu dans plusieurs municipalités et capitales du pays sous des noms et des conditions diversifiées. Pendant les années 1995-1997, on comptait sur la mise en œuvre de six programmes dans des municipalités297 et cinq dans des capitales298. En 2002 le nombre de programmes de transfert de revenu mis en œuvre au Brésil était de 45 et ceux-ci étaient appliqués dans 15 états. Ces programmes relevaient déjà de l’apprentissage social car les critères d’éligibilité ainsi que le modus de mise en œuvre représentaient ceux proposés par les expériences de Campinas et du DF. La référence première était la famille, le critère de revenu étant fixé sur le revenu familial per capita autour de la moitié salaire minimum et dans tous les cas, l’accent était mis sur la protection de l’enfance et sur la garantie de l’éducation fondamentale. Toutefois, on remarque des petites différences, toujours en faveur de l’étendue du groupe des destinataires cibles299 ou même afin d’octroyer le bénéfice aux ménages sans enfants, comme ce fut le cas de la municipalité de Jundiaí – SP, qui décida d’octroyer le bénéfice à tous les ménages en situation de pénurie300.

Le rayonnement de ces programmes dépassait les frontières du Brésil, car en 1997, après une visite d’une équipe de fonctionnaires du gouvernement du Mexique dans le

297 Ces municipalités sont: Campinas – SP, Ribeirão Preto, Osasco, Jundiaí et Presidente Prudente toutes

dans l’état de São Paulo.

298 Les capitales sont District Federal – DF, Vitoria – ES, Boa Vista – RO, Amapá – MP et Belo Horizonte

– MG.

299 À Belém, capitale de l’état du Pará le programme visait les enfants mineurs et vivants dans les rues pour

leur permettre une alternative d’insertion sociale.

300 Voir Sonia Myriam Draibe, Ana Maria Fonseca et Lilia Montali, « Programas de Renda Minima para

Familias Carentes : Levantamento das Experiencias e Metodologias de Avaliação » dans Ana Lucia Lobato (di.r), Garantia de Renda Minima : Ensaios e Propostas (Brasília : IPEA, 1998), pages 203-250.

District Fédéral, le gouvernement mexicain instaura le programme Educación, Salud y

Alimentación au Mexique, mieux connu sous le nom de Progresa. Ce programme, le

premier programme fédéral du genre en Amérique latine, prévoyait le paiement d’un versement mensuel variable en fonction de la situation de pauvreté de la famille. Au début, le programme bénéficiait à 300 000 familles dans 7 800 zones rurales du Mexique et dans 280 municipalités. Le coût annuel du programme était de 30 millions de dollars ($US). En 2002, ce programme fut redimensionné et devint le programme Oportunidades. En 2006 le programme Oportunidades bénéficiait à 5 000 000 familles dans 87 720 zones rurales et dans 2435 municipalités à un coût annuel de 3182 milliards de dollars ($US)301.

Quand une politique publique s’affirme en fonction de sa pertinence elle devient une source capable d’orienter la prise de décision et le transfert de l’expérience ailleurs. Ce processus caractérise ce que Richard Rose appelle lesson-drawing car il reflète les leçons tirées de l’expérience du passé et la capacité de reproduire cette expérience dans d’autres circonstances. Une condition essentielle au processus de lesson-drawing est l’insatisfaction devant le statu quo302. C’est-à-dire que les politiciens et les policy makers

cherchent à apprendre en regardant ce que font les autres et en espérant trouver des solutions innovantes pour atténuer le sentiment d’insatisfaction. En politiques publiques, cette procédure est l’une des plus communes et est à l’origine du transfert de politiques publiques. Pourtant, une leçon apprise est plus qu’une évaluation d’un programme puisqu’elle implique un jugement moral à propos de sa pertinence.

301 Voir le site http://www.imss.gob.mx/programas/oportunidades/ (Page consultée le 10 janvier 2009).

Voir aussi Marcelo Aguiar e Carlos Henrique Araújo, Bolsa-Escola : Educação Para Enfrentar a Pobreza (Brasília: Unesco, 2002), pages 65-70.

302 Richard Rose, « What is Lesson-Drawing? », Public Policy, Vol.11, No. 1, (Jan-Mar, 1991), 3-30, pages

La mise en œuvre de ces deux expériences fut un des rares moments de l’histoire des politiques publiques au Brésil où on a pu constater la diffusion en tant qu’élément de dissémination des politiques. En plus de ce processus d’émulation et de compétition entre les municipalités, les premières expériences ont influencé les processus de décision au sein du pouvoir législatif brésilien, dont le résultat fut l’approbation d’une loi fédérale menant à la création du premier programme national de transfert de revenu.

La diffusion est un processus par lequel une innovation est transmise à travers certains liens et réseaux aux membres d’un système social dans le temps. L’innovation consiste en une idée, une pratique ou même un objet qui est perçu comme nouveau par les individus ou d’autres unités d’adoption303. La diffusion en politiques publiques a trait aux

processus par lesquels l’innovation devient rapidement disséminée et adoptée sous certaines conditions qui ne sont pas nécessairement semblables, mais qui requièrent l’orchestration d’un ensemble de variables capables de déterminer la pertinence de ces innovations304. Ce processus se produit en cinq stages : 1) le stage de production de connaissance (quand on prend conscience d’une innovation); 2) le stage de persuasion (quand on mobilise des attitudes positives envers ces innovations); 3) le stage de décision (quand on vérifie une tendance à adopter l’innovation); 4) le stage de mise en œuvre (quand cette innovation commence à être reprise ailleurs); 5) le stage de confirmation (quand les résultats positifs renforcent le processus de diffusion)305.

Le processus de transfert en politiques publiques (policy transfer) est l’apprentissage par lequel les savoirs et/ou les connaissances à propos des politiques

303 Voir Everett M. Rogers, Diffusion of Innovations (New York: The Free Press, 1995), pages 5-6.

304 Voir Jack L. Walker, « The Diffusion of Innovations Among the American States », The American Political Science Review, Vol. 63, Numéro 3, (September 1969), 880-899, pages 881 et 883.

publiques, des arrangements administratifs, des institutions et des idées dans un système politique sont adoptés dans d’autres systèmes politiques, notamment quand les résultats permettent la consolidation des meilleures pratiques par rapport à celles qui prévalaient. Donc, si on prend pour acquis que le processus de transfert en politiques publiques relève du développement d’expériences qui sont diffusées, émulées et apprises, les concepts de

lesson-drawing, de diffusion et d’apprentissage de politiques n’ont pas de différences

significatives, car ils réfèrent au processus par lequel les connaissances à propos d’une politique publique, des institutions et des arrangements administratifs sont développées ailleurs dans l’expectative de résultats semblables ou améliorés306. Malgré cela, l’apprentissage ne suffit pas en lui-même à faire d’une politique sociale un modèle à être suivi car la légitimation de celui-ci doit être attestée par l’expérience et par la possibilité de le reproduire.

Pendant la mise sur pied de ces deux expériences pionnières de politiques publiques, quatre éléments fondamentaux à la promotion de la diffusion se trouvaient présents au Brésil et ont contribué aux processus d’apprentissage et de lesson-drawing. Le premier fut le facteur démographique qui démontrait la persistance de taux très élevés chez les enfants des familles les plus pauvres, surtout dans le Nordeste et dans les régions métropolitaines. Ces familles, en plus d’être les plus nombreuses, présentaient les taux de retard d’instruction les plus élevés chez les parents, un scénario propice à la reproduction de la pauvreté dans une perspective intergénérationnelle307.

306 Voir E. Dolowitz & D. Marsh, « Who Learns What from Whom: A Review of the Policy Transfer

Literature », Political Studies, 44 (2), 343-357, notamment 346.

307 Voir Ana Maria Peliano, « Os Programas de Alimentação e Nutrição Para Mães e Crianças no Brasil »

(Brasília: IPEA, Texto para discussão numéro 253, 1994) notamment pages 8-12; voir aussi Pedro Demo, « Qualidade da Educação Infantil – Desenvolvimento Integral e Integrado » (Brasília :IPEA, Texto para discussão numero 384, 1995), pages 37-39; Ricardo Paes de Barros e Rosane Silva Pinto de Mendonça,

Le second élément fut le facteur politique manifesté par la compétition, car les deux expériences pionnières ont été mises sur pied par deux partis politiques rivaux (le PT et le PSDB) et cette compétition était renforcée par le fait que le PT avait perdu les élections, assurant la victoire de Cardoso à la présidence de la république. En 1998, le PT avait déjà proposé 28 projets de loi instituant des programmes de transfert de revenu au niveau des municipalités, 8 au niveau étatique et 1 au fédéral. Le même genre de proposition par d’autres partis se présentait comme suit : 1 projet de loi municipale par le Parti socialiste brésilien, 1 par le PSDB et 28 sans aucune identification de parti308. Une autre preuve évidente de cette compétition fut la revendication presque schizophrénique par Cristovam Buarque de la paternité des programmes de transfert de revenu, quoique dissimulée par une forte campagne de marketing autant au Brésil qu’à l’étranger, et qui a fait de la Bolsa-Escola du DF l’un des programmes des plus connus au monde et récipiendaire de plusieurs prix. Cette tendance à la compétition par les résultats renforce la thèse de l’apprentissage en tant que processus amenant à la mise en place de nouvelles idées à l’agenda public, comme le suggère Peter Hall :

The idea of policy learning is informed by an understanding of policy failure providing impetus to place new ideas on the policy and political agendas. With increasing policy failures greater interest is shown in alternative ideas and politicians will have particularly strong incentives to seek out and embrace ideas that challenge the policies of their opponents309.

« Infância e Adolescencia no Brasil : Consequencias da Pobreza Diferenciadas por Gênero, Faixa Étaria e Região de Residência » (Brasília: IPEA, Texto para discussão 202, 1990); George Martine, José Alberto Magno de Carvalho e Afonso Rodrigues Arias, « Mudanças Recentes no Padrão Demografico Brasileiro e Implicações Para a Agenda Social » (Brasília : IPEA, Texto para discussão 345).

308 Ana Lucia Lobato et José Celso Cardoso, « Mapeamento dos Programas de Garantia de Renda Minima

no Brasil » dans Ana Lucia Lobato, (dir.), Garantia de Renda Minima: Ensaios e Propostas, (Brasília:IPEA, 1998), 286-313.

309 Peter Hall, « Policy Paradigms, Experts and the State: The Case of Macroeconomic Policy Making in

Britain » In S. Brooks & A. G. Gagnon, (Editor) Social Scientists, Policy and the State (New York : Praeger), cité par Diane Stone, « Learning Lessons, Policy Transfer and the International Diffusion of Policy Ideas », Centre for the Study of Globalization and Regionalization 9th February 2000, page 10.

Le troisième élément concourant à la diffusion fut le rôle des réseaux de politiques publiques mis en relief par plusieurs experts qui, à partir des résultats encourageants des expériences de Campinas et du DF, ont déclenché un débat très animé qui a contribué de façon décisive à la diffusion de ces expériences au sein de la société et de plusieurs institutions composant l’administration fédérale (la bureaucratie). Ce processus a renforcé l’idée de l’adoption de contreparties – déjà fortement enracinée au sein du gouvernement fédéral par les initiatives du Conseil du « Comunidade Solidária » – en même temps qu’il a entraîné la relance du débat sur la pertinence de l’adoption du revenu minimum à l’ordre du jour au Congrès national après 1995.

Le quatrième élément, fut le processus de réglementation de plusieurs dispositifs constitutionnels et de lois complémentaires par le gouvernement fédéral, qui ont permis la mise en œuvre de trois expériences de transfert de revenu, concomitantes aux stratégies du CS. Ces trois expériences ont renforcé le débat sur la pertinence de l’adoption d’une loi fédérale établissant un revenu minimum. La première de ces initiatives avait pour but de contrer l’exploitation du travail des enfants. Ce phénomène fut mis en relief au début des années 1990 à cause du nombre très élevé d’enfants soumis à des situations de travail considérées pénibles et de l’incidence des activités laborieuses sur la scolarisation. Selon les données de l’OIT en 1992, le nombre d’enfants et d’adolescents en situation de travail au Brésil était de 9,7 millions, ce qui mena le gouvernement fédéral à adopter un partenariat avec l’UNICEF et l’OIT, par l’entremise du Secrétariat de l’assistance sociale afin de mettre sur pied des actions pour l’éradication du travail infantile.

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