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Chapitre 4 : La gestion de la collection vidéo et film

4.1 La documentation de la collection

4.1.1 Les archives

Dans les collections publiques, comme privées, les archives qui entourent les œuvres sont une source fondamentale de leur connaissance, de leur documentation et de leur conservation.

L’étude des archives de collections privées d’art contemporain est un sujet qui est finalement assez peu traité. Généralement, ces archives privées (de collectionneurs, mais aussi d’artistes, de galeristes ou de commissaires) ne sont étudiées que lorsqu’elles intègrent, par une donation, l’institution publique. La Bibliothèque Kandinsky par exemple conserve de nombreux fonds d’archives en lien avec les collections du Musée national d’art moderne dont certains proviennent de collections privées (Fonds Paul Destribats, Albert Eugene Gallatin, Charles et Marie-Laure de Noailles par exemple)715. Parallèlement, plusieurs collections privées commencent à conduire une

réflexion sur le statut de leurs propres archives. C’est notamment le cas d’une étude menée par

714 Notamment LELEU Nathalie, « Le musée 2.0 : le dossier d’œuvre électronique », Ouvrir le document : enjeux et

pratiques de la documentation dans les arts visuels contemporains, sous la direction d’Anne BENICHOU, Dijon, Les Presses

du Réel, 2010, p. 373-389 et DEPOCAS Alain, « Documenter les pratiques artistiques utilisant la technologie : des modèles à développer », Ibid., p. 349-371.

715 La description des fonds de la bibliothèque Kandinsky est disponible en ligne à l’adresse : http://archivesetdocumentation.centrepompidou.fr/cdc.html (dernière consultation 19 août 2016).

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Mélissa Hiebler716 sur les archives de la collection Billarant. Elle y analyse la place particulière du

document photographique dans les archives d’une collection privée dédiée à l’art minimal et conceptuel. De la même façon, la fondation Herbert ouverte à Gand en 2013 consacre une part significative de ses activités à la réflexion et à la gestion des fonds d’archives. Les collectionneurs Annick et Anton Herbert ont, dès le début de leur collection conservé des fonds d’archives importants qui permettent de compléter la lecture des œuvres et du contexte social de l’époque et qui conserve l’histoire de la constitution de la collection. Ces archives importantes permettent ainsi d’inscrire cette collection dans une « continuité artistique et historique717 » qui redouble celle des œuvres. Enfin,

cette collection organise régulièrement des expositions dossiers et des séminaires718 autour de ses

archives. Une autre collection privée belge porte enfin une attention toute particulière aux archives qu’il faut souligner. Herman et Nicole Daled sont connus pour leur collection d’art des années 1960 et 1970 qui a notamment été exposée au Haus der Kunst de Munich719 . Le titre même de cette

exposition « la collection et les archives » ainsi que la scénographie donnaient une place équivalente aux œuvres et aux archives. La traduction française de la publication qui l’accompagne explicite, cette attention toute particulière aux documents720. Pour eux, « la collection en elle-même (mise à

l’écart de son contexte historique) présente un intérêt limité. Elle se caractérise tant par sa composition à la fois hétérogène et disproportionnée que par la modestie de ses acquisitions721 ». Ils

placent ainsi la véritable valeur de leur collection dans les archives qui documentent les œuvres et permettent de rendre compte d’un contexte d’émulation intellectuelle et artistique auquel ils ont participé dans les années 1960 et 1970.

Ainsi, les archives des collections privées sont, depuis quelques années, l’objet d’une attention nouvelle qui encourage l’étude de ces fonds. Dans la lignée de ces quelques autres collections privées, les fonds d’archives de la collection Lemaître sont riches d’enseignements sur la collection et de quelques belles surprises.

716HIEBLER Mélissa, Statuts et enjeux du document dans une collection privée : le cas de la collection Jean-Philippe et

Françoise Billarant, Mémoire d’étude, direction de Didier SCHULMANN et Remi PARCOLLET, Ecole du Louvre, 2013.

717 Herbert Foundation Archive, en ligne à l’adresse : http://www.herbertfoundation.org/fr/archive 718 Herbert Archive Seminar Day — in progress, 22.05.2016, Fondation Herbert, Gant.

719 “Less is more. Pictures, Objects, Concepts from the collection and the archives of Herman and Nicole Daled 1966-

1978”, Haus der Kunst, Munich, 2010.

720DANDER Patrizia, WILMES Ulrich et HAUS DER KUNST (dir.), Daled, a bit of matter and a little bit more : La collection

et les Archives de Herman et Nicolas Daled, 1966-1978, Bruxelles, Paris, Wiels Club, La maison rouge, 2010.

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a. Descriptions des fonds

L’importance des archives qui entourent la collection Lemaître s’est révélée progressivement au fil de cette étude. Conservés dans de larges pochettes à rabats, ces documents sont assemblés par ordre chronologique ou thématique (les expositions de la collection font généralement l’objet d’une pochette spécifique). Pour chaque exposition de la collection, les archives regroupent l’ensemble des supports de communications (carton d’invitation, affiches, livret de visite…), la liste des œuvres exposées, un plan de l’exposition et, le plus souvent, la correspondance qui entoure la préparation de l’exposition (avec le commissaire de l’exposition et l’institution qui l’accueille). Enfin, pour quelques expositions une revue de presse a été fournie par l’institution (notamment par La maison rouge) et lorsque cela n’a pas été le cas, les collectionneurs ont regroupé eux-mêmes certains des articles de presse parus au moment des expositions. Cette partie des archives dédiées aux expositions constitue, en volume, le fonds le plus conséquent.

Un autre segment important des archives permet de retracer les activités des collectionneurs sur la scène artistique. Il s’agit d’un ensemble de correspondances avec les acteurs de ce milieu, des artistes et des directeurs d’institutions principalement. Ces correspondances permettent de comprendre leur implication dans de nombreux jurys de prix, comités d’acquisition, conseils d’administration et associations. Cet ensemble d’archives regroupe également des documents sur leur participation à des tables rondes, colloques, séminaires, programme de projections etc.

Les archives les plus importantes, non pas en nombre, mais pour la documentation des œuvres concernent directement l’acquisition et la conservation de celles-ci. Si aucun document qui concerne les toutes premières œuvres acquises (gravures, livres, peintures anciennes) n’a été conservé, ces premières acquisitions sont précisément référencées dans les carnets d’inventaires d’Isabelle Lemaître. Ces listes établies pour les premières œuvres jusqu’à leur installation à Londres, recensent les dates d’acquisitions, prix d’acquisition et lieu d’acquisition, le format, la technique, le titre et le nom de l’artiste. À partir des acquisitions espagnoles, les informations des carnets peuvent être recoupées avec celles des factures, parfois sommaires, fournies par les galeries. Il semble qu’à cette époque, l’édition d’un certificat d’authenticité ne soit pas encore développée. Une étude approfondie de ces archives a notamment permis de retrouver au moins un document pour l’ensemble des œuvres de la collection avant la vidéo et ainsi d’en esquisser l’histoire. Ces documents sont par exemple des factures de galerie, mais aussi des certificats manuscrits d’artistes, des photographies d’archives, des factures d’encadreur, des devis de transports, des contrats de prêts avec des institutions. Ainsi, il serait possible, avec plus de temps, de regrouper ces documents par périodes et par œuvres pour constituer des dossiers d’œuvres organisés.

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Elles regroupent d’une part des dossiers d’artistes (textes de critiques d’art, communiqués de presse, biographies…) et également l’ensemble des documents administratifs qui accompagnent les œuvres : certificats d’authenticité, preuve de paiement datée, facture de la galerie, contrat de cession de droits d’auteurs, spécifications techniques et plans de montage. Enfin, de nombreuses œuvres sont accompagnées d’une correspondance avec l’artiste qui explique son travail et permet de saisir le contexte de découverte et d’acquisition de l’œuvre. Là encore, ces documents sont dispersés dans les archives et il pourrait être intéressant de les regrouper dans des dossiers d’œuvres. Rares sont les œuvres pour lesquelles l’ensemble de ces documents a pu être retrouvé. Pour la grande majorité d’entre elles, les archives contiennent seulement une facture ou un certificat et une correspondance avec l’artiste.

Un dernier ensemble de documents rassemble les publications sur la collection et notamment les articles de presse et les entretiens avec les collectionneurs. Finalement, il apparaît que ces archives riches permettent de dessiner les contours historiques de la collection, mais qu’elles sont dispersées et qu’une réorganisation en dossier d’œuvres et une numérisation des documents importants permettraient une meilleure connaissance et conservation des œuvres.

b. La numérisation des archives importantes

Au fil de cette étude, la décision s’est imposé de numériser certains des documents importants des archives pour en faire une sauvegarde et en permettre une consultation plus rapide. Parmi ces documents, les coupures de presse anciennes sur la collection, notamment un article de Judith Benhamou-Huet dans les échos de 2004722, ont été numérisées. La revue de presse de l’exposition à

La maison rouge a également fait l’objet d’une attention particulière, essentiellement parce qu’il n’a pas été possible d’en retrouver la trace, ni en format papier ni en format numérique, dans les archives de La maison rouge.

Surtout, le travail le plus important a été d’isoler les certificats d’authenticité des œuvres de la collection vidéo dans les archives, de les regrouper et de les ajouter dans un dossier spécifique, alors conservé dans un coffre de banque. L’ensemble des certificats, sans lesquelles beaucoup d’œuvres vidéo perdraient de leur valeur, ont été numérisés et classés. Les certificats originaux ont été débarrassés des agrafes et trombones qui commençaient à s’oxyder et ont été placés dans une nouvelle boite d’archive en carton non acide avant de retrouver une place à la banque. Ces actions avaient pour objectif d’améliorer la conservation des certificats originaux et de permettre une documentation plus facile des œuvres en les numérisant.

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Enfin, certaines des belles découvertes trouvées dans les archives ont également été numérisées, mais il faudrait envisager de les isoler de l’ensemble des archives et de les placer dans des boites d’archives spécifiques.

c. Quelques trésors découverts dans les archives

Cette étude des archives de la collection a permis de belles découvertes et redécouvertes pour les collectionneurs. Ces archives permettent avant tout l’écriture de l’histoire de la constitution de la collection et d’en retracer le parcours avec une grande précision depuis les premiers achats de gravures jusqu’aux dernières acquisitions. Le pouvoir évocateur de ces documents est forcément émouvant tant il permet de faire se dessiner une vision globale de la collection et de documenter certaines œuvres qui même si elles n’en font plus partie physiquement aujourd’hui, sont constitutives de l’ensemble de la collection.

Certaines correspondances avec les artistes sont notamment très intéressantes et une poignée d’entre elles constituent des œuvres à part entière. L’artiste Patrick Van Caeckenbergh, dont ils sont très proches depuis leur séjour belge, leur envoie parfois des missives composées de collages723 .

Parmi les artistes de la collection vidéo, c’est Tacita Dean qui leur envoie les lettres les plus touchantes. Elle écrit par exemple souvent à Jean-Conrad Lemaître pour son anniversaire. C’est carte de vœux sont adressées directement au verso de photographies originales, dont une d’entre elles est directement inspirée du film The Green Ray et servira de modèle pour une édition724. Enfin, parmi les

autres pièces intéressantes, se trouvent notamment un portrait de Jean-Conrad Lemaître par Zhenchen Liu725 et une lettre de Bob Wilson726.

Ainsi, il est apparu à mesure de la consultation que ces archives sont particulièrement riches parce qu’elles permettent d’une part de retracer l’histoire de la collection et qu’elles réservent d’autre part, quelques belles surprises.

Les archives d’une collection privée sont finalement le point essentiel qui permet d’en conserver l’importance historique comme le souligne Mona Thomas :

Les archives d’une collection privée en sont l’adjuvant naturel : garder l’objet ne va pas sans en préserver, avec la trace et les références, l’histoire. Archiver c’est déjà organiser la mémoire, se poster en direction de l’éternité727.

723 Une de ces lettres est reproduite en annexe 37, p. 136.

724 Correspondance avec Tacita Dean, extraits reproduits en annee 38, p. 137-138. 725 Portrait de Jean-Conrad Lemaître, Zhenchen Liu, reproduit en annexe, 39, p. 139. 726 Lettre de Bob Wilson, reproduite en annexe 40, p. 140.

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