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Chapitre 3 : Une collection à diffuser

3.1 La première exposition de la collection : « Une vision du monde », La maison rouge, Paris,

3.1.1 Une collection qui se révèle

La collection vidéo se construit à Londres où les collectionneurs présentent parfois leurs acquisitions d’œuvres d’images en mouvement à de petits groupes de collectionneurs ou de Patrons609

de la Tate et de nombreux autres musées. Pourtant, cette collection n’avait jamais été jusque-là étudiée comme un ensemble par un commissaire d’exposition ni montrée dans un lieu ouvert au public. En cela, l’exposition de 2006 constitue un évènement majeur.

a. Une révélation pour les collectionneurs

L’exposition à La maison rouge marque un véritable tournant dans la connaissance de la collection par le public, mais aussi et surtout dans l’approche qu’a le couple de sa propre collection. Elle a été pour eux un bouleversement majeur dans leur vie, les obligeant à sortir de leur discrétion et de leur éloignement londonien pour traverser une phase de médiatisation. C’est enfin et surtout le moment qui les propulse en tant que véritables collectionneurs sur la scène artistique parisienne.

Grâce à La maison rouge, nous avons peut-être été tirés de notre discrétion protestante, et alors londonienne, pour agir encore plus610.

Au moment de l’exposition, ils comprennent alors que les œuvres qu’ils achètent depuis quelques années forment une collection. De nombreux autres collectionneurs s’interrogent notamment sur cet instant où ils ont pris pleinement conscience que leur collection forme un ensemble et que le fait d’acheter des œuvres est effectivement un geste actif et construit611. Pour Isabelle et

Jean-Conrad Lemaître, cette prise de conscience a eu lieu pendant l’exposition de La maison rouge. S’ils n’ont jamais eu l’envie de collectionner pour acquérir un statut et une reconnaissance sociale – dont ils disposaient déjà par ailleurs – cette exposition les a, peut-être malgré eux, fait entrer dans le cercle restreint des collectionneurs actifs et importants de la scène parisienne.

Leur collection se déploie alors dans un ensemble nouveau, considérablement plus grand que leur appartement londonien et un rapport nouveau de dialogue entre les œuvres s’instaure. Si, chez eux, leurs œuvres n’étaient vues que successivement, elles s’offrent ici dans un rapport de proximité, de confrontations et de dialogues.

609 Les Patrons de la Tate sont un groupe de soutien proche des sociétés d’Amis de musées en France. 610AZIMI Roxana, « Entretien avec Isabelle et Jean-Conrad Lemaître », art.cité.

611 Ces interrogations sont notamment retranscrites par DE MAISON ROUGE Isabelle, 10 clefs pour collectionner l’art

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Et pour la première fois, nous avons vu de nos propres yeux plusieurs de nos œuvres réunies – car nous avions vu en général nos œuvres individuellement. Tout d’un coup, elles sont au mur, dans un espace de 2000 mètres carrés !612

Cette révélation, d’une collection qui s’expose elle-même, et de nouvelles lignes thématiques qui la parcourent les encourage d’une part à s’investir plus encore dans le milieu de l’art et à poursuivre et même intensifier leurs acquisitions avec un regard plus sûr.

b. Un premier regard extérieur sur la collection

De façon tout à fait nouvelle pour eux, l’ensemble de la collection a été montré à une personne extérieure qui avait la charge d’assurer le commissariat de l’exposition. Jusqu’à cette date, ils sélectionnaient eux-mêmes les œuvres à montrer aux différents publics : amis, collectionneurs ou professionnels qui leur rendaient visite à Londres. C’est Christine Van Assche, historienne de l’art et conservatrice en chef, responsable des Nouveaux Médias au Musée national d’art moderne – Centre Pompidou, qui propose pour la première ce projet d’exposition à Antoine de Galbert. Le commissariat lui est ensuite confié. Son rôle fondamental au moment l’exposition dans la constitution d’axes thématiques forts au sein de cette collection, est souvent rappelé par les collectionneurs :

Nous, en tant que collectionneurs, nous fonctionnons beaucoup au coup de cœur, sans avoir de ligne directrice au préalable, mais au final on trouve un fil conducteur qui relie les pièces de notre collection. C’est d’ailleurs ce lien que Christine Van Assche avait si bien réussi à tirer lors de la présentation d’une partie de notre collection à La maison rouge. Jusqu’alors, nous n’en avions pas conscience nous- mêmes613.

Parmi ces axes thématiques, elle pointe notamment l’importance des questionnements géopolitiques, et des conflits issus de la mondialisation des échanges dont les collectionneurs n’avaient pas clairement conscience. Bien sûr, ils savent qu’ils font l’acquisition d’œuvre d’artistes étrangers, mais cette problématique géopolitique ne leur était jamais apparue lisiblement dans la collection.

612 “And for the first time, we saw with our own eyes several of our works together – because we had usually watched

them individually. All of a sudden, they're on the walls – and there are 2000 square meters of them! ”, traduction de

l’auteur, ČIVLE Agnese, “A Collection That Fits Inside a Cupboard.”, art.cité.

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Cette vision, pour la première fois distanciée, extérieure et historique sur les œuvres permet ainsi de faire surgir de nouvelles lignes thématiques et modifie la vision des collectionneurs eux- mêmes sur leur collection. Elle leur permet ainsi de faire des associations entre différentes pièces auxquelles ils n’avaient jamais songé. Et les partis pris politiques et humains qui sous-tendent la collection leur apparaissent alors comme tout à fait nouveaux. C’est aussi pour cette raison qu’ils refusent catégoriquement d’assurer eux-mêmes le commissariat de leurs expositions :

Nous ne sélectionnons jamais les œuvres pour les expositions nous-mêmes car elles nous sont toutes très chères. Nous laissons toujours un commissaire d’exposition opérer le choix. Ce processus est passionnant, et vous pouvez apprendre tant sur votre collection et sur vous-même au cours de ce processus614.

Cette volonté de confier leur collection à une commissaire d’exposition qualifiée sera leur principale exigence pour l’organisation de leurs futures expositions.

c. Une révélation pour la critique et le public

La première médiatisation de la collection permet de la faire connaître non seulement des collectionneurs eux-mêmes, mais aussi du public et de la critique. L’exposition bénéficie d’une très forte médiatisation dont témoigne la revue de presse constituée à l’époque par La maison rouge615.

Cette forte médiatisation de la collection et le succès critique de l’exposition permettent de faire connaître la collection d’un large public, mais aussi des professionnels du monde de l’art. Dans le sillage de cette exposition initiale, de nombreuses expositions et cycles de projections, tant en France qu’à l’étranger, sont programmés.

614 “We never select works for exhibitions ourselves because they are all very dear to us. We always let a curator do this.

The process is exciting, and there is so much that you can learn about your collection and yourself while going through it”, traduction de l’auteur, ČIVLE Agnese, “A Collection That Fits Inside a Cupboard.”, art.cité.

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