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Chapitre 2 : Approches thématiques de la collection d’art vidéo

2.1 Une collection internationale

2.1.1 collectionneurs-voyageurs

Si les premières collections, de gravures, de peintures, puis de sculptures et de photographies sont tributaires du lieu de résidence des collectionneurs (Paris, Madrid, Londres, et Bruxelles)340, la

collection d’art vidéo est résolument marquée par les pérégrinations internationales du couple sans pour autant s’inscrire dans un contexte national particulier. Voyageurs par nécessité professionnelle, Isabelle et Jean-Conrad Lemaître se sont rendus pour de longs séjours sur les cinq continents :

Tout au long de notre vie, nous nous sommes beaucoup déplacés pour des raisons professionnelles. Nous avons fait de longs séjours aux USA, en Espagne, en Belgique et en Grande-Bretagne […]. Le travail nous a amené à voyager au Proche-Orient – Égypte, Liban, Syrie – ainsi que dans certains pays du Golfe et d’Extrême-Orient, Hong Kong, Singapour, Kuala Lumpur…341

336XIAOYAN Guo (dir.), Traces: International Video Collection of Isabelle et Jean-Conrad Lemaître, [Exposition, Péking

(Chine), Beijing Minsheng Art Museum, 30 avril – 21 mai 2016], Péking, Beijing Minsheng Art Museum, 2016.

337 NASH Mark, « Éloge de l’amour », dans VAN ASSCHE Christine (dir.), Une vision du monde : la collection vidéo

d’Isabelle et Jean-Conrad Lemaître, op.cit.

338 « Passionnés par l’image mobile, ils ont constitué en quelques années une collection très vivante d’œuvres provenant

des cinq continents », DE GALBERT Antoine, « Avant-propos », dans VAN ASSCHE Christine (dir.), Une vision du monde :

la collection vidéo d’Isabelle et Jean-Conrad Lemaître, op.cit., p. 11.

339 “Having works from every continent is a logical extension of their own life journey”, ČIVLE Agnese, “A Collection

That Fits Inside a Cupboard.”, art.cité.

340 Une liste chronologique des lieux de résidences est disponible en annexe 4, p. 8.

341VAN ASSCHE Christine, « Entretien avec Jean-Conrad et Isabelle Lemaître », dans VAN ASSCHE Christine (dir.), Une

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C’est une collection internationale qui est le reflet à la fois d’une vie nomade et, plus encore, de l’internationalisation de l’art et de son marché, du développement de la mobilité des artistes.

a. Quelques chiffres

La collection compte en juin 2016, cent-cinquante œuvres d’images en mouvement. Elle rassemble des œuvres de 132 artistes de quarante-trois nationalités différentes342. Parmi les grandes

lignes de force, il est possible de noter une forte présence des artistes français (28 artistes) et britanniques (13 artistes). Les nationalités qui sont ensuite fortement représentées sont : l’Allemagne (9 artistes), les États-Unis (7 artistes), les Pays-Bas (7 artistes) et Israël (7 artistes). Enfin, de nombreuses nationalités ne sont représentées que par un seul artiste (19 nationalités) ou deux artistes (12 nationalités). Les artistes proviennent des cinq continents et en grande majorité d’Europe (22 nationalités), puis des Amériques (8 nationalités) et d’Amérique Centrale et Latine en particulier (6 nationalités), d’Asie (8 nationalités) et enfin d’Afrique (3 nationalités) et d’Océanie (1 nationalité).

Cette répartition des artistes présents dans la collection permet de faire ressortir certaines de ses orientations géographiques en lien avec la nationalité des collectionneurs ou leur lieu de vie, à Londres notamment. Si la présence d’artistes français reste en effet majoritaire, les Anglais sont la deuxième nationalité la plus représentée dans la collection. Outre la découverte des artistes britannique, le fait d’initier cette collection d’art vidéo à Londres a également contribué à son caractère cosmopolite. Londres est dans les années 1990 et 2000 une ville d’une grande diversité culturelle où des artistes de nombreuses nationalités se côtoient et sont exposés343 . Enfin, il est

intéressant de noter que, au regard de la domination des artistes nord-américains sur le marché de l’art contemporain et de leur importance dans l’histoire du médium, ces derniers sont finalement assez peu représentés dans la collection (7 artistes). Alors que, comme le note Mark Nash, les vidéastes nord-américains sont généralement majoritaires dans les autres collections d’art vidéo et notamment dans la collection Kramlich344.

Cette grande diversité géographique de la collection témoigne en définitive de leur « vie itinérante qui offrit l’occasion aux collectionneurs de découvrir de multiples cultures345 » et de leur

« constant intérêt pour les lieux de productions des œuvres346 ».

342 Un graphique de mai 2016 représentant la répartition de ces 42 nationalités est disponible en annexe 6, p. 10. Celui-ci

ne tient pas compte de la dernière acquisition en juin 2016 qui porte le nombre de nationalités à 43.

343 « Londres est une ville phare, très cosmopolite. Un lieu de croisements et de rencontres. Dans le domaine de l’art, elle

attire des gens d’un peu partout », LEMAITRE Jean-Conrad cité par PERREAU Yann et BIDERMAN Kevin, « Comme une

image entretien avec Isabelle et Jean-Conrad Lemaître », Londres en mouvement, op.cit., p. 43.

344 NASH Mark, « Éloge de l’amour », dans VAN ASSCHE Christine (dir.), Une vision du monde : la collection vidéo

d’Isabelle et Jean-Conrad Lemaître, op.cit., p. 35.

345 Ibid. 346 Ibid.

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b. Une collection ouverte sur le monde

Le titre de l’exposition à La maison rouge – Fondation Antoine de Galbert, « Une vision du monde », rendait compte à la fois du caractère international de la collection et de son ouverture sur les problématiques mondiales. Le catalogue de cette exposition fait également le lien entre les nombreux voyages du couple et le caractère international de la collection : « Les expatriations successives vécues par ce couple de collectionneurs ont contribué à cette “ouverture sur le monde” que montre leur collection347 ». Ainsi que le souligne Antoine de Galbert, au-delà du nombre de

nationalités représentées dans la collection, ce sont plus généralement une ouverture d’esprit et une sensibilité à l’ailleurs qui se révèlent dans les œuvres de la collection. Cette idée est appuyée par les collectionneurs eux-mêmes qui reconnaissent s’être ouverts à de nouvelles orientations artistiques grâce à leurs voyages :

Le fait de vivre à l’étranger durant de nombreuses années nous a ouverts aux autres cultures, et a eu pour effet de remettre en question toutes sortes d’idées reçues et de principes que notre éducation nous avait inculqués348.

Nourris de ces nombreux voyages, ils développent surtout une idée nouvelle de l’art, plus libre que celle acquise durant leur enfance. Enfin, il est intéressant de noter que leur découverte de l’art et des pays qu’ils visitent s’est toujours faite dans un double mouvement. D’un côté, ils découvrent la culture d’un pays et ses mentalités grâce aux œuvres (le cinéma et les arts plastiques) pour « [s’intégrer] à ces pays d’accueils, découvrir, apprendre, comprendre d’autres mentalités et [se] fixer de nouveaux objectifs349 ». De l’autre côté, une fois habitués à cette nouvelle culture, ils ont pu découvrir de

nouvelles pratiques et réflexions artistiques qui enrichissaient, à chaque fois, la compréhension de leur époque, et « chacun de ces points d’itinérance semble avoir été prétexte à la découverte de nouveaux artistes, de nouvelles formes d’art350 ».

Si la volonté de construire une collection internationale ne constitue pas un préalable à l’acquisition d’une œuvre et que les problématiques au cœur de celle-ci ne doivent pas obligatoirement rendre compte des grandes questions géopolitiques, il est – a postériori – possible de faire de l’empreinte internationale de la collection et des grandes thématiques internationales qui la traversent une de ses grandes caractéristiques.

347DE GALBERT Antoine, « Avant-propos », dans VAN ASSCHE Christine (dir.), Une vision du monde : la collection vidéo

d’Isabelle et Jean-Conrad Lemaître, op.cit., p. 11.

348VAN ASSCHE Christine, « Entretien avec Jean-Conrad et Isabelle Lemaître », dans VAN ASSCHE Christine (dir.), Une

vision du monde : la collection vidéo d’Isabelle et Jean-Conrad Lemaître, op.cit., p. 25.

349 Ibid., p. 35.

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c. Le politique au cœur de la collection

Si la politique, entendue comme la gestion des affaires d’un État, ne trouve pas sa place dans la collection, l’étude des questionnements politiques et sociaux dans les pays étrangers est omniprésente. Les collectionneurs expliquent ainsi cette différence de sens :

Nous intéressent particulièrement les œuvres qui interrogent la condition humaine et touchent, non pas à la politique, mais au politique. Territories, d’Isaac Julien, aborde la problématique identitaire, Backyard, de l’artiste chinois Yang Fudong, montre les contrastes entre la Chine traditionnelle et la Chine moderne, et la pièce […] d’Allora & Calzadilla, Returning a Sound, parle de la souveraineté et de la protection de la nature… 351

Cet intérêt pour le fait politique au sens large, c’est-à-dire bien souvent géopolitique, a été pointé pour la première fois par Christine Van Assche au moment de la préparation de l’exposition à La maison rouge. Cette « poétique du monde » pensée par la commissaire de l’exposition est développée par Chantal Pontbriand dans le catalogue de l’exposition352. Elle l’a défini comme une

attention sensible aux inégalités et aux violences qui découlent des bouleversements du monde au début du XXIe siècle. Dans ce monde en mutations que laissent apparaître les œuvres de la collection

se croisent de nombreuses problématiques sociales, identitaires, géopolitiques, urbanistiques, souvent liées à la mondialisation des échanges.

Pour analyser ces questionnements, qui peuvent être regroupés par grandes aires géopolitiques, il a été choisi d’en sélectionner trois principaux : le Moyen-Orient, l’Europe de l’Est, et l’Asie de l’Est. D’autres grands enjeux, comme la mémoire des dictatures en Amérique du Sud (Enrique Ramírez), les répercussions de la crise économique (Superflex, Adrian Melis) ou la politique militariste des États-Unis (Allora&Calzadilla, Rosa Barba) auraient également pu être examinées.

351VAN ASSCHE Christine, « Entretien avec Jean-Conrad et Isabelle Lemaître », dans VAN ASSCHE Christine (dir.), Une

vision du monde : la collection vidéo d’Isabelle et Jean-Conrad Lemaître, op.cit., p. 28.

352 PONTBRIAND Chantal, « vidéo Chaosmos », dans VAN ASSCHE Christine (dir.), Une vision du monde : la collection

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