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2. CADRE THEORIQUE : PANORAMA DES APPROCHES DE LA RELATION

2.4. LA SYMBIOSE OU LES APPROCHES CENTREES SUR L ’ INTEGRATION DES

2.4.1. De l’intérêt de dépasser les clivages entre les trois parties prenantes

2.4.1.5. Les apports de la philosophie des techniques

2.4.1.5. 2.4.1.5.

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Un courant actuel de la philosophie s’intéresse de près à la notion de technique. Cette question est remise au centre du débat en liaison avec la question « qu’est-ce que l’homme ? ». Son apport permet de justifier le recours à une manière différente d’envisager la relation entre l’humain, la technologie et leur contexte, en redonnant à la technologie une place plus importante. Plus spécifiquement, la philosophie des techniques envisage la technologie ou plus largement la technique comme humainement constituée autant qu’humainement constitutive. Comme Varela, Simondon (1969) envisage la technique « en tant que médiateur et non en tant qu’instrument » mais aussi comme une manière d’être au monde pour la conscience. Dans sa lignée, Stiegler soutient le caractère anthropologiquement constitutif de la technique (1994). Comme pourrait le dire Poitou (1994), l’intelligence a toujours été artificielle via les techniques. Ainsi, la technique devient une question existentielle qui ne peut pas être explorée par une seule science. A partir de la philosophie, mais aussi et surtout de l’histoire, de l’anthropologie, de la paléontologie, de la génétique et de la physiologie, Stiegler propose la technique en tant que genèse de l’humain, en

tant que « l’ustensilité est constitutive de l’être au monde » (1994, p.276), tout à fait dans le même ordre d’idée que chez Varela.

L’intérêt majeur des auteurs que nous évoquerons dans cette partie est leur ouverture sur de nombreuses disciplines. Ainsi, Stiegler se réfère à différents chercheurs dont notamment, le paléontologue André Leroi-Gourhan. Ce dernier, par l’étude des outils et de leur relation à l’humain, postule qu’il existe un couplage structurel entre l’outil et la physiologie humaine et non seulement dans l’aspect moteur ou extérieur mais jusque dans la manière de penser le monde (Leroi-Gourhan, 1964). Il va même jusqu’à définir les outils comme une extériorisation des capacités humaines. Par exemple, il propose que « nous percevons notre pensée comme un bloc et nos outils comme le noble fruit de notre pensée. L’Australanthrope, lui, paraît avoir possédé ses outils comme des griffes. » (Leroi-Gourhan, 1964, cité par Chavaillon, 1967, p.123).

Pour définir cela, Stiegler emploie, dans le premier Tome de La Technique et le Temps (1994), la métaphore de la faute d’Epiméthée. Dans cette métaphore, la distribution des qualités aux êtres vivants laisse les êtres humains sans aucune qualité, par le fait d’Epiméthée, conduisant Prométhée à voler aux dieux le feu et le logos (ou intelligence issue du langage –considéré également comme un outil-). Ainsi, l’humain serait, à partir de ces deux éléments, dans une quête perpétuelle d’innovation dans le but de combler un manque physiologique, mais hors de lui- même. Ainsi, l’homme en tant que tel, pourrait-on dire « naturel » ou « originel » n’existe pas. La technique lui est indispensable pour s’adapter à son milieu ou plutôt pour adapter son milieu pour lequel il n’est pas, comme le serait l’animal, biologiquement préparé.

A partir de Rousseau, Stiegler montre que si l’on se pose la question de l’origine de l’homme, se pose également celle de l’extériorisation et de la compensation. Extériorisation que Stiegler nomme « la poursuite de la vie par d’autres moyens que la vie » (p. 31). Leroi-Gourhan en arrive même, à la fin de Le Geste et la Parole (1964), en regard aux technologies numériques, à se demander si nous sommes encore des hommes. Ainsi, la notion d’homme est restituée dans une temporalité, une évolutivité, dans son lien avec la technique, qui apporte sa propre dynamique. Il est donc nécessaire d’envisager la plupart des phénomènes humains, qu’ils soient sociaux, culturels, et même cognitifs, dans cette construction conjointe homme- technique.

Par l’affirmation du caractère anthropologiquement constitutif de la technique, Stiegler (1994) affirme le caractère technique de toute cognition (ou action) et même bien au-delà, de toute humanité. Selon lui, « tout agir humain a quelque chose à voir avec la tekhnè, est en quelque sorte une tekhnè » (p. 106). Ainsi, « l’être de l’homme est d’être hors de lui » (p.201). Dans cette approche, le contexte intervient également ; d’une part, en tant que donneur de sens à l’artéfact et d’autre part, en tant que transformé par l’artéfact. Cet artéfact, en tant qu’anthropologiquement constitutif, ouvre des espaces de signification et d’accomplissement humain, en facilitant les actions sur l’environnement. Tout comme son disciple, Simondon (1958) postule que la technique contient de la réalité humaine. Il parle d’« humain cristallisé ». Cet entrelacement de l’humain et de la technique permet selon lui une Il y a un couplage

structurel entre l’humain et la technologie qui devient comme une partie de l’humain.

La technologie est humainement constituée et constitutive.

coprésence et une coévolution, sans relation de domination de l’un sur l’autre dans une sorte de société, de milieu associé qui évolue aussi, corrélativement.

Evidemment ces manières d’envisager les choses ne sont pas exemptes de défauts et de détracteurs. Par exemple, Simondon accorde une trop faible place à l’intentionnalité humaine. Il tend à envisager la technique comme ayant une vie propre, étant une fin en soi, quasi indépendante de son utilisateur qui n’est plus qu’un coordinateur. Il va même jusqu’à penser que l’usage n’est pas un problème et que celui-ci s’adapte aux objets. Les besoins, la société, tout est donc taillé selon les mesures des technologies. C’est pour contrer cette limite évidente que Deleuze et Guattari (1980) ont proposé le concept d’agencement machinique, dans lequel l’étude porte sur les ensembles matériels, idéologiques, psychiques et sociaux que représentent les techniques prises avec leurs usages et les autres paramètres. Dans ce cas, c’est l’usage qui donne également sens à la technique et non uniquement l’inverse.

Autre limite non négligeable, Simondon étaye son raisonnement sur une idéalisation complète de la technologie comme libératrice de la nature mais aussi de l’asservissement politique et idéologique.

Sans pour autant proposer une approche aussi stricte que Simondon, Stiegler a une vision par trop techno-centrée, délaissant en quelques sortes les phénomènes purement sociaux ou culturels et réduisant la société comme si tout ce qui la constitue était issu de la technique. Il n’est cependant pas possible de parler dans ce cas de déterminisme. Enfin, le discours de ce philosophe, malgré le regard critique apporté, peut parfois paraître exagérément optimiste par rapport à certaines technologies dont Internet. Malgré ces quelques limites dont nous ne minimiserons pas l’importance, les travaux issus de la philosophie des techniques nous apportent un appareillage d’une richesse formidable pour penser la relation entre l’humain et la technique. Que ce soit Stiegler ou Leroi-Gourhan ou d’autres encore, cette manière d’envisager la technique et l’humain nous offre de nombreuses hypothèses de travail que nous allons mettre en œuvre au travers de notre concept de symbiose, après avoir synthétisé les différentes approches présentées dans cette partie.