• Aucun résultat trouvé

2. CADRE THEORIQUE : PANORAMA DES APPROCHES DE LA RELATION

2.4. LA SYMBIOSE OU LES APPROCHES CENTREES SUR L ’ INTEGRATION DES

2.4.1. De l’intérêt de dépasser les clivages entre les trois parties prenantes

2.4.1.3. L’approche instrumentale ou anthropocentrique

2.4.1.3. 2.4.1.3.

2.4.1.3. L’approche instrumentale ou anL’approche instrumentale ou anL’approche instrumentale ou anL’approche instrumentale ou anthropocentriquethropocentriquethropocentriquethropocentrique

Rabardel (1995) a beaucoup apporté à la conceptualisation de la relation humain- technologie-contexte. A partir de la théorie de l’activité, dont sont également issus d’autres travaux comme ceux de Bannon et Bodker (1991) qui précisent que les artéfacts ne doivent pas être étudiés pour eux-mêmes et de façon isolée du contexte d’usage, il postule que nous vivons dans un monde composé de systèmes et d’objets produits par la technologie, mais que nous vivons aussi grâce à et contre ce monde. Rabardel, comme Licklider, souhaite conceptualiser l’association des humains et des objets technique pour la mettre au service des humains et de leur développement. Il écrit, en faisant référence à Martin (1989) : « Il est nécessaire de développer des technologies anthropocentriques qui associent les habiletés et l’ingéniosité humaine avec les formes avancées et adaptées de la technologie en une véritable symbiose. » (Rabardel, 1995, p. 21). Son approche critique les approches technocentrées aussi bien qu’anthropocentriques qui laissent une place trop minime à la technologie. Pour lui, les deux ont un rôle équivalent et doivent avoir une place conséquente dans l’appréhension de la relation qui se noue entre les deux partenaires. Il postule qu’ il y a codétermination entre les deux partenaires et que celle-ci ne peut s’appréhender que dans l’analyse de l’activité, de la situation d’usage, se situant ainsi dans la lignée de travaux en anthropologie mais aussi en psychologie, à la suite de Piaget et Vygotski.

Rabardel articule trois concepts centraux dans son approche instrumentale : l’artéfact, l’instrument et le schème d’utilisation. La différenciation entre l’artéfact et l’instrument est tout à fait cruciale puisqu’elle met en relief la distance entre un objet nu fabriqué, l’artéfact et un objet en usage, l’instrument. Cet usage repose justement sur des schèmes d’utilisations, concept repris à Piaget. Il peut s’agir d’un schème associé à l’usage d’un autre artéfact qui va être transféré ou bien d’un nouveau qui va être construit dans le temps par l’utilisateur au cours de l’usage. Finalement, l’instrument ne se réduit pas à sa partie matérielle, qui est l’artéfact ; il est le produit conjoint de la technologie et de l’interprétation qu’en font son ou ses utilisateurs. Pour résumer, on peut dire que l’instrument est une construction composée de l’artéfact d’un côté et des schèmes d’utilisation de l’autre. L’artéfact est construit par le concepteur à partir d’une anticipation de ce qui sera son utilisation future probable mais il n’est pas seulement porteur d’un ensemble de contraintes, de possibilités et de modèles de l’activité issus de ses concepteurs, il est également porteur de son Il y a reconception

de la technologie par son utilisateur.

histoire. Ainsi, il est possible d’y repérer son développement et ses moments clés. Les schèmes d’utilisation sont le produit du ou des sujets engagé(s) dans une activité finalisée. Par conséquent, comme dans la symbiose, « l’instrument n’est pas seulement une partie du monde externe au sujet, un donné disponible pour être associé à l’action. Les schèmes d’utilisation constituent les entités psychologiques organisatrices des actes instrumentaux au sens où l’entend Vygotski » (Rabardel, 1999 p.260).

Figure 10. Etapes de transformation de l’outil vers l’instrument (d’après Rabardel, 1995)

Pour Rabardel, il s’agit bien d’une relation psychologique qu’entretiennent les sujets avec les instruments qu’ils utilisent. Ainsi, la technologie est aussi bien un objet matériel externe au sujet, construit socialement, mais aussi un objet, possédant un ou de(s) schème(s) d’utilisation qui doit être reconstruit de façon interne par le sujet. Cette reconstruction est la genèse instrumentale dans laquelle l’activité de l’utilisateur et le contexte sont décisifs. Cette genèse s’inscrit dans la durée. Cette idée de la constitution de l’instrument sous-entend certaines conséquences :

− Ce n’est pas l’usage anticipé, prévu, prescrit qui amène l’objet à devenir un instrument.

− Ce n’est pas seulement la fonction portée qui conditionne la situation mais aussi l’interprétation que va en faire l’utilisateur. Il n’y a pas de priorité entre utilisateur et technologie. Les deux se créent mutuellement. Une technologie n’est pas en tant que telle utile à telle ou telle chose, elle n’est qu’une proposition. C’est son usage qui l’est, selon la manière dont il est développé par l’utilisateur.

− Le sujet aussi est initiateur de l’usage. En projetant des schèmes d’utilisation, il peut apporter de nouvelles fonctions à l’artéfact, les fonctions constituées.

Fonctions

constituantes Fonctions constituées

Instrument en devenir Inscription dans l’artéfact des fonctions constituées Modes opératoires prévus Schèmes d’utilisation Nouveaux modes opératoires Genèse instrumentale Nouvelle conception Conception initiale Poursuite du cycle Fonctions

constituantes Fonctions constituées

Instrument en devenir Inscription dans l’artéfact des fonctions constituées Modes opératoires prévus Schèmes d’utilisation Nouveaux modes opératoires Genèse instrumentale Nouvelle conception Conception initiale Poursuite du cycle

− La relation entre le sujet et l’objet modifie aussi bien l’objet que le sujet.

− L’humain et la technologie sont interdépendants.

− L’appropriation est conditionnée par un va-et-vient entre deux processus : l’instrumentation, tournée vers les utilisateurs et orientée par l’artéfact qui va conditionner l’activité et l’instrumentalisation, tournée vers l’artéfact et issue des utilisateurs qui vont projeter des schèmes d’utilisation vers l’artéfact.

Historiquement, l’instrument, tel qu’il est défini par Vygotski est soit psychologique soit technique. L’instrument psychologique est une élaboration artificielle, sociale ou individuelle qui vise le contrôle du comportement, le sien ou celui des autres. Il s’agit par exemple du langage, des diverses formes de calcul, des moyens mnémotechniques, symboles algébriques, œuvres d’art, de l’écriture, des cartes, plans et de tous les signes possibles. Ils modifient le déroulement et la structure des fonctions psychiques. Par contre, l’instrument technique tout en constituant aussi un élément intermédiaire entre l’activité de l’homme et l’objet externe, est destiné à obtenir un changement dans l’objet même. Rabardel propose une adaptation de cette distinction, où les instruments psychologiques s’orientent vers les sujets et les instruments techniques s’orientent vers l’objet. Pour lui, la distinction entre instruments techniques ou instruments psychologiques au sens de Vygotski n’est pas pertinente. Aussi son approche vise « à saisir dans un même mouvement dialectique tous les instruments quelle que soit leur nature (matérielle, symbolique ou conceptuelle, interne ou externe au sujet, individuelle ou collective), la direction de leur action (le réel externe, soi même, les autres), les dimensions de l’activité auxquelles ils contribuent plus spécifiquement jusque et y compris bien entendu l’affectivité » (Rabardel, 1999 p. 248).

Hormis Rabardel, de nombreux auteurs ont apporté leur contribution à cette approche. Floyd (1987) définit la technique comme un outil, un instrument pour une personne faisant une activité réelle. Nous retrouvons dans cette définition les trois parties prenantes de l’approche symbiotique : l’utilisateur, la technologie et le contexte.

Un autre aspect de cette approche est très intéressant : la prise en compte de l’aspect temporel de la relation entre l’individu et la technologie. Ainsi, Rabardel perçoit que l’usage évolue et fait évoluer les utilisateurs. Pour lui, l’instrument est le produit d’une histoire particulière. En conséquence de tous ces postulats, l’étude de la relation humain-technologie nécessite une approche participative et itérative.

Pour l’approche instrumentale, une technologie anthropocentriquepeut-être définie comme suit (Corbett, 1988). Celle-ci :

− S’appuie sur les compétences existantes et cherche à les développer.

− Cherche à augmenter les degrés de liberté laissés aux opérateurs pour définir leurs objectifs et activités.

− Réduit la division du travail.

− Facilite la communication sociale.

Son périmètre s’étend de la situation de l’individu au travail jusqu’aux dimensions collectives et culturelles.

L’approche instrumentale contribue à « la réflexion théorique et à l’examen empirique des relations » (Rabardel, 1995, p.23) homme-technologie lorsque l’homme est engagé dans une activité située dans un contexte précis (professionnel ou personnel). Elle a contribué et continue à transformer la manière d’envisager la relation reflexive que l’utilisateur entretient avec la technologie. Selon Hatchuel (1992), l’idée d’accorder une fonction à un objet est une simplification abusive puisque c’est l’humain qui la lui accorde en fonction de ses capacités, de la situation… Ainsi, d’un côté, l’approche instrumentale est une manière tout à fait différente d’envisager la technologie et le rôle que va jouer l’utilisateur et le contexte dans sa définition ; la technologie devenant alors une possibilité, un objet mouvant. D’un autre côté, cette approche reconsidère le rôle de la technologie dans la construction de l’humain. En psychologie du développement, Vygotsky (1934) insiste sur le caractère constructif des interactions aux instruments et Wallon (1951) signale que les techniques ont un effet sur le développement de la cognition des enfants. Par exemple, la réalité virtuelle affecte et transforme la perception de l’espace et du temps. D’une manière générale, la nouvelle technique agit sur l’homme et le forme ou le transforme. Chaque technique nouvelle amène donc une modification mentale nouvelle. L’homme tout entier est transformé jusqu’à son esprit. Apprendre c’est créer de nouveaux effets pour envisager d’autres instruments… Et cette réaction est en perpétuel renouvellement, un instrument conduisant à une nouvelle invention dans un cercle sans fin. Ainsi, l’humain se trouve modifié en même temps qu’il modifie le système technique. Celui-ci n’est donc pas figé mais en constante évolution. Autrement dit, les contextes et les finalités d’emploi peuvent diverger de ce qui avait été prévu par les concepteurs (Perriault, 1990).