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L’origine des approches de l’acceptation sociale : la sociotechnique (Emery, 1959)

2. CADRE THEORIQUE : PANORAMA DES APPROCHES DE LA RELATION

2.3. L’ ACCEPTATION SOCIALE DES NOUVELLES TECHNOLOGIES OU LES APPROCHES

2.3.1. L’origine des approches de l’acceptation sociale : la sociotechnique (Emery, 1959)

« Historiquement, la sociotechnique a été la première approche à percevoir l’interpénétration entre les composantes psychologiques et sociales, et les dispositifs techniques d’un même système. Partant du principe que l’intégration d’un système technique aura forcément des répercutions sur le système social en place (Emery, 1959), le Tavistock Institute of Human Relations avait souligné qu’il était impossible d’optimiser le rendement d’une organisation sans tenir compte conjointement des faces sociales et techniques. » (Brangier & Hammes, 2007b) Ces découvertes sont issues d’expériences de perturbation de l’équilibre social suite à l’introduction de technologies nouvelles dans le domaine du charbonnage en Angleterre. La conclusion qui en a été tirée est la suivante : la résolution des problèmes n’est possible que si l’on trouve des ajustements entre les contraintes humaines et sociales et les contraintes technologiques. Plus précisément, les tenants de cette approche envisagent les deux versants sociaux et technologiques de manière parfaitement imbriquée en postulant que le système technique impose des contraintes de travail qui doivent être traitées et organisées selon des règles sociales et psychologiques. De plus, ce système formé des deux versants est ouvert sur son environnement donc mouvant.

« La sociotechnique fut une étape très importante dans l’étude de la relation humain-technologie puisqu’elle a permis le passage d’une vision technocentrée, où le système social est strictement déterminé par le système technique, à une vision nouvelle où la technologie et le social occupent une place équivalente. » (Brangier & Hammes, 2007b) Finalement, au contraire de l’approche basée sur l’acceptation dans laquelle l’humain rationnel occupe une place centrale, ici c’est le système dans son ensemble qui est pris en compte. Plus précisément, ce système comprend des personnes, des structures, des supports technologiques et a une finalité. On comprendra dès lors que puisque l’on s’intéresse ici à un système bien particulier d’une complexité extrême, il n’existe que peu de théorie permettant une explication de tous les cas de figure mais plutôt des approches ad hoc permettant de comprendre pourquoi dans telle entreprise, une technologie particulière est acceptée ou non par des personnes spécifiques.

2.3.2.

De nombreux transferts théoriques

En matière d’acceptation sociale ou organisationnelle, le plus souvent, les approches sont plutôt empiriques et appliquées aux cas particuliers. Cependant, certaines tentatives ont été faites pour parvenir à des théories unifiées, en combinant diverses Interpénétration

des versants sociaux et technologiques.

autres théories et en accolant les facteurs sans réel appui théorique sous-jacent. Grover (1993) propose un modèle intégrateur de l’adoption des systèmes d’information inter-organisationnels à 6 facteurs :

− Orientation technologique proactive,

− Poussée interne et support organisationnel,

− Taille du marché,

− Compétitivité du marché,

− Compatibilité du système avec les besoins informationnels de l’organisation,

− Possibilité d’adapter la technologie.

A partir de ces 6 facteurs, il obtient une efficacité remarquable dans l’adoption d’une technologie par une organisation puisqu’il parvient à expliquer 65 % de la variance dans l’usage.

Chau et Tam (1997) ont utilisé la théorie de Rogers (1995) et le modèle de Tornatzky et Fleischer (1990) pour affirmer que la satisfaction par rapport à l’existant et les barrières technologies sont des facteurs de non adoption. Le modèle de Tornatsky et Fleischer (1990) est un modèle d’explication de l’adoption d’innovations technologiques par les organisations à partir de 3 facteurs : le contexte technologique (c'est-à-dire les technologies internes et externes qui sont pertinentes pour l’entreprise), le contexte organisationnel c'est-à-dire les caractéristiques et ressources de l’entreprise (par exemple : la taille, la centralisation, la structure managériale, les ressources humaines, les relations entre employés) et le contexte environnemental qui renvoie à ce qui se passe au niveau économique et politique en dehors de l’entreprise. Ces trois éléments présentent « à la fois des contraintes et des opportunités pour l’innovation technologique » (Tornatsky & Fleischer, 1990, p. 154).

Figure 9. Modèle de Tornatzky et Fleischer (1990)

Une autre tentative de croisement utilise le modèle de Tornatzky et Fleischer (1990) mêlé au modèle TAM de Davis (1989). Celle-ci a été proposée par Hu, Chau et Sheng (2000). Trois facteurs ont été dégagés : l’attitude collective positive et les bénéfices attendus qui ont une influence positive sur l’usage tandis que les risques perçus ont un impact négatif. Cette fois le point de vue est davantage tourné vers les individus qui composent l’organisation.

Certains ont tenté la méta-analyse afin d’identifier les principaux facteurs organisationnels en jeu dans l’adoption d’une innovation. L’une d’entre elles (Damanpour, 1991) permet de dégager 9 facteurs principaux :

− Spécialisation des tâches

− Professionnalisme

− Division verticale

− Centralisation des décisions

− Attitude des gestionnaires par rapport au changement

− Intensité administrative

− Ressources en connaissances technologiques

− Disponibilité des ressources

− Communications externes

Plus précisément, Subramanian et Nilakanta (1996) ont identifié la centralisation de la prise de décision comme étant un frein tandis que la spécialisation des tâches, la disponibilité des ressources et la taille de l’organisation sont plutôt des moteurs ou facilitateurs.

Utilisant, une autre stratégie, certains ont préféré porter leur attention à la réalité empirique de chaque situation précise, afin d’en retirer certains enseignements ad

Environnement extérieur Caractéristiques de l’industrie et structure du marché Infrastructure de support technologique Régulation gouvernementale Organisation Structures de lien formelles et informelles Processus de communication Taille Souplesse Décision d’innovation technologique Technologie Disponibilité Caractéristiques Environnement extérieur Caractéristiques de l’industrie et structure du marché Infrastructure de support technologique Régulation gouvernementale Organisation Structures de lien formelles et informelles Processus de communication Taille Souplesse Décision d’innovation technologique Technologie Disponibilité Caractéristiques

hoc, dont la généralisation n’est pas chose facile. Dans une étude plus qualitative portant sur un changement d’environnement de programmation dans une entreprise informatique, les travaux de Bobillier-Chaumon et Brangier (2000) ont montré que l’acceptation des nouvelles technologies de conception informatiques par les informaticiens, dépendaient davantage des impacts générés sur l’activité et sur la coopération entre les parties prenantes au sein du cycle de travail que de la complexité technique de ces dispositifs. Plus largement, ils proposent que le changement technologique ne doit pas être envisagé comme une simple transition technique mais plutôt « être pensé comme un processus de changement et d’innovation dans les organisations. Plus que la simple transposition d’une technique dans un contexte de conception, le changement technologique conduit à des modifications et/ou à des ajustements des structures socio-organisationnelles et humaines préexistantes. Il provoque, bien sûr, des changements techniques (matériels, logiciels, infrastructures techniques, réseau…), mais conduit aussi et surtout à la reconfiguration des savoir-faire et des modèles organisationnels en place (Bobillier-Chaumon, Bessière, & Brangier, 2003). » En définitive, accepter le changement de technique de programmation revient à admettre « d’introduire de nouveaux principes de travail dans un ensemble de règles socioprofessionnelles dont l’équilibre s'exprime dans un réseau d’habitudes. » (Brangier, Hammes-Adelé & Bastien, 2010)

Prasad et Prasad (1994) utilisent la théorie institutionnelle (DiMaggio & Powell, 1983) pour expliquer que l’adoption de la technologie ne repose pas uniquement sur des considérations instrumentales comme la recherche de l’efficience, de la performance et du profit et ce, particulièrement dans des organisations de services. Des facteurs non instrumentaux, qui réfèrent aux croyances, normes, valeurs et aux finalités des organisations, sont également à l’œuvre lorsqu’une nouvelle technologie est introduite. Toujours dans une perspective institutionnelle, Scott (1990) utilise plutôt l’explication de la rationalité limitée pour justifier de l’usage des nouvelles technologies. Dans ce cas, l’organisation doit être considérée comme un système de type concurrentiel où chacun cherche à s’attribuer une partie des ressources disponibles. Il en naît des règles et de rôles qui dépassent totalement le prescrit. Les droits acquis par des membres de l’organisation constituent alors des sources importantes de résistance à un changement qui peut modifier ou menacer l’équilibre existant dont ils bénéficient.