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La cognition distribuée et l’action située : deux extensions de l’approche socio-culturelle

2. CADRE THEORIQUE : PANORAMA DES APPROCHES DE LA RELATION

2.4. LA SYMBIOSE OU LES APPROCHES CENTREES SUR L ’ INTEGRATION DES

2.4.1. De l’intérêt de dépasser les clivages entre les trois parties prenantes

2.4.1.1. La cognition distribuée et l’action située : deux extensions de l’approche socio-culturelle

2.4.1.1. 2.4.1.1.

2.4.1.1. La cognition distribuée et l’action situéeLa cognition distribuée et l’action situéeLa cognition distribuée et l’action situéeLa cognition distribuée et l’action située : deux extensions de : deux extensions de : deux extensions de : deux extensions de

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Les premières théories que nous développerons ici sont la cognition distribuée (Hutchins, 1995) et l’action située, qui ont en commun d’envisager l’environnement d’usage comme un prolongement des capacités cognitives de l’utilisateur. Ce mouvement est né dans les années 90 et voit les processus cognitifs et l’activité indissociablement d’une situation dont les composantes physiques, artéfactuelles autant que sociales sont autant de ressources dont disposent les sujets dans leur action. Ce mouvement a un lien fort avec la théorie des affordances de Gibson (1979). Dès lors que l’on suit cette approche, la cognition n’est plus étudiée comme un phénomène interne mais plutôt comme un phénomène contextualisé. En réalité, ces appellations ne sont pas encore réellement des courants à proprement parler mais plutôt un « ensemble peu structuré de perspectives » (Resnick, 1996 cité par Grison, 2004). Cependant, ce flou n’empêche en aucune manière le développement de travaux intéressants sur ces sujets. Nous avons fait le choix de les traiter au sein de la même partie puisque nous envisageons leurs principes comme similaires, bien que la première s’intéresse à la cognition et la seconde à l’action. De plus, toutes deux présentent les mêmes intérêts : postuler la non-rationalité humaine et proposer un feedback entre les interactants impliqués. Cependant, certains se sont intéressé davantage à leurs différences. Notamment Grossen (2001) propose que « d’un côté, la répétition, qui devient routine, est prise à la lettre. De l'autre, la création est regardée comme une rupture, qui prend les formes diverses du « créationnisme ». On pourrait en effet comprendre ainsi la différence entre les approches interactionnistes de l'action située et celles qui privilégient l'affordance et la cognition distribuée. Quand les dernières privilégient l'invariance des situations, des artefacts ou du groupe, les premières insistent sur la création des contextes par un événement focal en cours d'interaction, au gré de la dynamique intersubjective. » (p. 66). Ainsi, prenons le temps de différencier ces approches.

La cognition distribuée

Comme l’approche instrumentale, la cognition distribuée doit beaucoup à Vygostki mais également Leontiev à sa suite. Sa ligne directrice est que chaque acte cognitif doit être envisagé comme une réponse à une série de circonstances. Dans sa version actuelle, la culture est conçue comme la source de la connaissance en cela qu’elle est formée par un réseau d’individus et d’artéfacts. Plus précisément, la cognition distribuée sous-entend l’idée d’une intelligence coopérative qui conduit à l’élaboration collective de projets ou encore la coopération en réseau, orientée vers la réalisation de tâches complexes dans un environnement donné. Les processus cognitifs sont désindividualisés (donc également collectifs) et déshumanisés (donc également artéfactuels). Pour être plus précis, lorsque nous utilisons un outil, nous profitons de toute l’intelligence contenue dans la conception de ce dernier, mais nous profitons également de celle qui est contenue dans l’environnement, constitué d’objets, de situations, de personnes (Pea, 1993).

Quelles en sont les conséquences pour l’étude des usages ? Tout d’abord, l’usage n’est plus un processus mental qui réside uniquement dans le cerveau et/ou le corps de l’utilisateur. Il devient acté, situé et distribué dans un contexte social et culturel plus large. Ensuite, l’usage s’insère dans un environnement cognitif constitué de Les processus

cognitifs sont liés à toutes les composantes (physiques, artéfactuelles, sociales) d’une situation.

ressources organisationnelles structurantes. Cet environnement cognitif peut être défini comme un réseau d’agents (humains et non-humains) cognitifs qui vont structurer l’usage. En retour, les pratiques liées à l’usage sont elles-mêmes structurantes. On entre alors dans une modélisation en forme de cercle : l’environnement cognitif structure les usages qui s’autostructurent également et structurent l’environnement. Plus largement, l’usage produit des effets qui peuvent être, par exemple, l’amplification des capacités cognitives de l’utilisateur.

Finalement, selon la cognition distribuée :

– Les capacités humaines ne peuvent être déconnectées de leur milieu naturel qui est très largement composé d’artéfacts mais qui est aussi social, culturel et historique. Cette manière d’envisager la cognition ne minimise pas son importance mais considère plutôt que celle-ci sera sollicitée différemment en fonction des objets présents.

– L’habileté de l’humain réside dans sa capacité à élaborer des réseaux coordonnés variables selon la situation.

Cette approche a de nombreux points communs avec l’approche symbiotique que nous définirons prochainement. Notamment, par le fait que les artéfacts sont envisagés comme des outils cognitifs, appelés aussi artéfacts cognitifs (Norman, 1991) voire même organes fonctionnels par Leontiev. Jonassen (1992) définit ces outils cognitifs comme « des extensions de l’être humain […], outils d’augmentation cognitive ».

La cognition distribuée a fait l’objet d’une critique majeure, celle de placer les humains et les objets en équivalence, tous deux étant des supports de traitement de l’information (Nardi, 1996, Béguin & Clot, 2004). Certains regrettent également un remplacement de la psychologie du sujet par une psychologie de la situation (Béguin & Clot, 2004) trouvant abusif de penser que les objets cognitifs puissent médiatiser notre rapport au monde. Nous préférons nous référer à d’autres auteurs qui partent du principe que les ressources cognitives présentes dans l’environnement complètent habilement celles de l’humain (Laville, 2000).

L’action située

En ce qui concerne l’action située, celle-ci est en droite lignée de l’ethnométhodologie, sociologie novatrice initiée par Garfinkel (1985 pour la traduction française) qui voit la connaissance comme une construction située. Ainsi, l’action située s’oppose catégoriquement au caractère planifié et rationnel de la cognition et présuppose plutôt celle-ci comme ayant un caractère émergent, opportuniste et adaptatif face aux contingences environnementales. Elle restitue donc tout son rôle au contexte dans lequel se déroule une activité, qui est totalement absent du cognitivisme traditionnel, dans lequel celui-ci tient le rôle d’arrière-plan de traitement de l’information (Sperber & Wilson, 1987). Bien entendu, l’action située ne nie pas l’existence de tout plan mais l’envisage plutôt comme dynamique, partie prenante de l’action sans en constituer la totalité et permettant l’improvisation. En réalité, l’action située a vraiment émergé grâce à l’ouvrage de Suchman en 1987, « Plans and situated actions ». Non qu’elle en soit l’instigatrice mais plutôt qu’elle ait très fortement contribué à sa diffusion. Dans son ouvrage, elle utilise des études L’intelligence est

émergente, opportuniste et adaptative selon la situation.

de cas en contexte réel pour développer ce qu’est l’action située. A partir d’un enregistrement vidéo, elle analyse les conversations et les actions de deux personnes lors de l’usage d’une photocopieuse. Elle remarque alors certains phénomènes qu’elle met en porte à faux avec le paradigme de l’homme comme système symbolique de traitement de l’information. Notamment, elle note que l’utilisateur ne cesse d’adapter son action en fonction de sa réinterprétation permanente de la situation à un instant donné. Selon elle, l’aspect organisé proviendrait d’une illusion a posteriori dans le récit que l’on fait de nos actions. Elle défend alors les thèses suivantes :

− L’action est sociale puisqu’elle est construite et signifiée au travers d’interaction avec d’autres qu’ils soient présents physiquement ou non.

− La situation de déroulement de l’action l’influence par de nombreux aspects ou ressources dont fait partie le plan au même titre que les autres aspects.

− L’action est flexible et ambigüe.

Finalement, cela revient à dire que: « la cognition ne se situe pas dans la tête, mais dans un entre-deux, entre l’acteur et la situation, dont font partie les autres acteurs. » Theureau (2004)