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Les actes du juge de l’application des peines

§2 Les actes des autres juges

B. Les actes du juge de l’application des peines

57. Le JAP peut réaliser des actes de substitution substantielle imparfaite ou parfaite.

Concernant les premiers, il s’agit de prononcer un SME331 ou un STIG332 ou encore

d’accorder un aménagement de peine333 (1). Quant aux seconds, il s’agit de remplacer la peine

prononcée par une autre (2).

1. Le prononcé d’un sursis ou d’un aménagement de peine

58. Pendant longtemps, le caractère juridictionnel des actes du JAP n’était pas reconnu.

Aussi, avant l’entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000, l’article 733-1 du Code de procédure pénale disposait que les décisions du JAP constituaient des mesures

d’administration judiciaire334. Or, contrairement aux actes juridictionnels, celles-ci ne sont pas

soumises aux éléments essentiels du procès équitable à savoir le principe du contradictoire, le droit à un avocat, la motivation de l’acte et l’existence de voies de recours. Seul le ministère public pouvait saisir le tribunal correctionnel d’une décision prise par le JAP. Ce recours suspensif ne pouvait exister que pour violation de la loi et devait intervenir dans les 24h suivant la décision ou la notification au procureur. Il y avait donc inégalité des armes et violation du principe de séparation des fonctions de poursuite et de jugement. Ce dernier

330 Art. L. 3413-1 du C.S.P.

331 L’art. 132-45 du C. pén. dispose que « la juridiction de condamnation ou le JAP peut imposer spécialement au condamné l’observation de l’une ou de plusieurs des obligations suivantes :(…) ».

332 Art. 132-57 du C. pén.

333 Une semi-liberté ou un placement à l’extérieur en vertu de l’art. 723-1 du C. proc. pén. un placement sous surveillance électronique en vertu de l’art. 723-7 du même code.

334 Projet de Loi présenté par Alain Peyrefitte, Doc. Ass. Nat., 1978-1979, n° 562 : « la procédure juridictionnelle s’arrête où commence l’exécution de la peine (…) ».

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principe n’était également pas respecté dans le cadre de la libération conditionnelle qui faisait

l’objet d’une compétence partagée entre le JAP et le ministre de la Justice335.

59. Aussi, un mouvement de juridictionnalisation de l’exécution des peines a permis

d’étendre ce caractère aux actes du JAP. Le but d’une telle réforme était d’assurer le respect des droits de la défense au stade de l’exécution de la peine. En effet, il était considéré que le condamné, en raison des infractions qu’il a commises, devait être privé de ses droits de

citoyen en tout ou partie336. Or, au fur et à mesure du temps, celui-ci s’est vu reconnaître de

nombreux droits337. Toutefois, il ne pouvait encore bénéficier de garanties procédurales

pourtant nécessaires, dans la mesure où l’exécution des peines n’est pas une simple phase administrative, mais une période ayant vocation à permettre la réintégration du délinquant au sein de la société et à prévenir de la récidive. De plus, il était important pour le droit français de se mettre en conformité avec les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. Or, celle-ci a pu décidé, dès 1984, que le JAP devait être considéré, dans l’adoption des

mesures administratives intéressant le condamné, comme un tribunal338. Aussi a t-elle jugé en

1997 339, que l’exécution d’un jugement ou d’un arrêt fait partie intégrante du procès. Enfin,

dans une autre affaire, la Cour a proclamé le droit à un recours de nature juridictionnelle dans

l’exécution de la peine340. Plusieurs propositions ont alors été élaborées afin d’aboutir à une

véritable juridictionnalisation des actes du JAP341. La création du PSE par la loi du 19

décembre 1997 a permis d’amorcer la juridictionnalisation de l’exécution des peines en conférant au condamné le droit d’y consentir et de se faire aider d’un avocat et en prévoyant

335 Art. 730 du C. proc. pén. avant l’entrée en vigueur de la Loi du 15 juin 2000.

336 P. Faucher, La juridictionnalisation de l’application des peines, une révolution tranquille, Rev. pén. 2001, p. 215-216.

337 Le droit à l’accès aux journaux sans censure, le droit à l’accès à la radio et à la télévision, le droit de porter des vêtements personnels, le droit au parloir sans dispositif de séparation, le droit aux soins et à la couverture sociale, le droit de voter par procuration, le droit à l’enseignement et à la formation, le droit à une garantie en matière disciplinaire, le droit à l’information du détenu sur le régime de sa détention et sur statut. V. P. Lemaire,

in Le droit en prison, préface, p. VIII.

338 CEDH, 22 octobre 1984, n° 8790/79, Sramek c./ Autriche, Série A, n° 84 et CEDH, 28 juin 1984, Campbell et Fell c./ Royaume-Uni, n° 7819/77 et n° 7878/77, Série A, n° 80.

339 CEDH, 19 mars 1997, n° 18357/91, Hornsby c./ Grèce, Rec. des arrêts et décisions 1997-II, p. 510-511 ; J.C.P.1997, II, 22949, obs. O. Dugrip et F. Sudre .

340 CEDH, 16 décembre 1999, n° 24724/94 et n° 24888/94, T. et V. c./ Royaume-Uni.

341 La commission AYDALOT mise en place pour la révision du Code pénal préconisait la création d’un tribunal d’exécution des sanctions composé de trois juges dont le JAP suivant le dossier. Ce tribunal aurait rendu des actes juridictionnels, le condamné bénéficiant d’un avocat et de voies de recours. Le juge de l’application des sanctions aurait en revanche compétence pour l’aménagement des sanctions et aurait rendu à ce titre des actes d’administration judiciaire. Ce projet n’ayant pas abouti, la commission LEAUTE a proposé la création d’un tribunal de l’application des peines ayant le pouvoir de rendre des actes juridictionnels, à l’exception des aménagements de peine qui resteraient de la compétence du JAP et constitueraient des actes d’administration judiciaire.

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un débat contradictoire ainsi qu’un droit au recours concernant la décision de placement. L’existence du débat contradictoire, de la motivation de la décision et du droit au recours ont été étendus au prononcé du SSJ mis en place par la loi du 17 juin 1998.

La commission Farge342 a souhaité donner une nouvelle impulsion au mouvement en

proposant la juridictionnalisation de la libération conditionnelle. Cette idée a été reprise par la loi du 15 juin 2000 qui procède à une juridictionnalisation globale de l’exécution des peines. Aussi, l’article 712 -6 du Code de procédure pénale issu de cette loi dispose que les mesures de PE, de SL, (…), de PSE et de libération conditionnelle sont accordées, ajournées, refusées, retirées ou révoquées par décision motivée du JAP saisi d’office, sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de la République. Cette décision est rendue, après avis du représentant de l’administration pénitentiaire, à l’issue d’un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel le JAP entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné, le cas échéant, celle de son avocat. Elle peut être attaquée par la voie d’appel par le condamné, par le procureur de la République et par le procureur général, dans le délai de dix jours à compter de sa notification. L’appel est porté devant la chambre des

appels correctionnels. Quant aux SME et STIG prononcés par le JAP343, le législateur précise

que les conditions de l’article 712-6 du Code de procédure pénale s’appliquent.

60. Les actes du JAP répondent ainsi aux trois critères de l’acte juridictionnel. Concernant

le critère organique, l’article 712-1 du Code de procédure pénale dispose expressément que le JAP constitue une juridiction de l’application des peines du premier degré. Les décisions de ce juge consistent à trancher un litige opposant le ministère public et le délinquant. Quant au critère formel correspond à l’existence de garanties relatives au principe du contradictoire, aux droits de la défense, au droit au recours ainsi qu’à la motivation de la décision. Concernant cette dernière condition, l’article 712-4 du Code de procédure pénale dispose que le JAP statue par ordonnance ou jugement motivé. Les actes de substitution substantielle imparfaite sont donc juridictionnels au même titre que ceux relatifs à une substitution substantielle parfaite (2).

342 D. Farges, Rapport au Garde des Sceaux sur la libération conditionnelle, février 2000, 117 p.

343 Art. 132-45 C. proc. pén. relatif au SME et 132-57 C. proc. pén. relatif à la conversion d’un emprisonnement ferme en emprisonnement avec STIG.

74 2. La conversion de la peine344

61. Ces actes correspondent au remplacement d’un emprisonnement avec STIG ou d’un

TIG en jour-amende. Dans ces cas, les articles 733-1 et 747-1-1 du Code de procédure pénale prévoient respectivement que la substitution constitue une décision motivée prise à l’issue d’un débat contradictoire et conformément à l’article 712-6. Or, cet article renvoie aux jugements relatifs aux aménagements de peine et prévoit donc le respect des autres droits fondamentaux à savoir le droit à un avocat et le droit au recours. Concernant l’obligation de motivation de l’acte du JAP, le législateur reste silencieux. Il est possible de se reporter à l’article 712-4 du Code de procédure pénale concernant la conversion d’un emprisonnement ferme en emprisonnement avec obligation d’accomplir un travail d’intérêt général dans la mesure où le législateur prévoit expressément que les dispositions de l’article 712-6 s’appliquent dans un tel cas. Rien ne précise si la conversion d’une peine en jours-amende est

soumise à cet article. Le législateur emploie la notion de « mesure » relevant de la

compétence du JAP sans la définir. Il paraît néanmoins justifié et nécessaire qu’un tel acte, encore plus grave que les actes de substitutions substantielles imparfaites soit motivé. L’acte de substitution substantielle parfaite pourrait donc être qualifié d’acte juridictionnel.

Toutefois, il convient de remarquer que l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est pas tout à fait respecté. Tout d’abord, le débat contradictoire se tient en chambre du conseil. Or, si la circulaire du 18

décembre 2000345 et la cour de cassation considèrent que ce principe ne s’applique pas aux

actes du JAP, cela est contraire aux dispositions européennes. Il en est ainsi concernant le principe d’égalité des armes. Celui-ci n’est pas toujours respecté. En effet, seul l’avocat a accès au dossier du condamné ce qui implique que si ce dernier se représente seul, il dispose de moins de moyens pour assurer sa défense. De même, seul l’avocat est présent lors du débat

344 V. not. G. Lorho, Dr. pén 1991. chron 1 ; Rev. sc. crim. 1992, p. 725 ; Ph. Salvage, Substitutions de peines en cascade, Dr pén. 2006, Etude 10 ; D. Boesel, La substitution d’un emprisonnement ferme par un sursis TIG ou jours-amende, AJ Pénal 2014, p. 73.

345 Circulaire CRIM 2000-15 F1/ du 18 décembre 2000 présentant les dispositions de la Loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la préemption d’innocence et les droits de la victime concernant l’application des peines et du décret du 13 décembre 2000 relatif à l’application des peines, NOR : JUSD0030216C : « Les juges d’application des peines (…) n’auront en effet pas à se prononcer sur le bien fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre une personne présumée innocente, mais devront apprécier les possibilités d’aménagement des modalités d’exécution ou de remise en cause d’une peine prononcée contre une personne qui a été définitivement condamnée. Les dispositions de l’article 6§1 de la CESDH relative au procès équitable, qui ne concernent que les procès portant sur des contestations de nature civile ou des accusations en matière pénale, ne sont pas applicables en la matière ».

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contradictoire devant la cour d’appel. Si le condamné se représente seul, il est défavorisé par rapport au ministère public omniprésent. De plus, si les magistrats de la cour d’appel peuvent procéder à l’audition du condamné avant le débat, il ne s’agit que d’une simple faculté prévue par l’article D. 116-15 du Code de procédure pénale. En outre, en cas de recours, seul l’appel du ministère public peut avoir un effet suspensif et le législateur prévoit un délai précis alors que l’appel du délinquant doit être étudié dans un délai raisonnable ce qui engendre des incertitudes. Enfin, le principe de séparation des fonctions de poursuite et de jugement n’est que relatif. En effet, la commission d’application des peines chargée de donner son avis sur la demande de libération conditionnelle et de laquelle le ministère public fait partie influence largement le JAP.

Par ailleurs, les actes de substitution substantielle parfaite posent un problème quant au principe de l’autorité de la justice. En effet, l’article 132-57 du Code pénal prévoit que la conversion d’un emprisonnement ferme en emprisonnement avec STIG ou en jours-amende n’est possible que lorsque la condamnation est devenue irrévocable. Or, une telle substitution contreviendrait alors aux principes de l’autorité de la chose jugée et de la force de la chose jugée. Cette règle n’est pas prévue en cas de substitution d’un travail d’intérêt général en jour-amende. Dans un tel cas, la décision du JAP ne porte atteinte qu’à l’autorité de la chose jugée de la condamnation pénale, atteinte qui peut être réparée en cas de recours du condamné. De même, elle ne porte pas atteinte à la force de la chose jugée dans la mesure où l’acte de

substitution peut intervenir alors que la peine substituée avait commencé à être exécutée346.

Néanmoins, il peut être souligné que l’autorité de la chose jugée désigne les effets attachés à

une décision juridictionnelle telle que la force de vérité légale347. Or cette force concerne plus

la déclaration de culpabilité que la décision sur la peine. Aussi, la conversion d’une peine par une autre ne semble pas porter atteinte à l’autorité de la chose jugée. Il en est de même concernant la force de la chose jugée dans la mesure où l’acte de substitution peut intervenir

alors que le travail d’intérêt général a déjà été exécuté partiellement348.

Quant à la peine d’emprisonnement ferme, le législateur ne précise pas si la décision du JAP doit intervenir avant son exécution. Dans tous les cas, seule la peine est remplacée, mais la

346 L’al. 2 de l’art. 733-1 C. proc. pén. dispose que « la décision du JAP peut également intervenir à la suite de l’exécution partielle du travail d’intérêt général ».

347 G. Cornu, Vocabulaire juridique H. Capitant, op. cit., v°Autorité de la chose jugée, p. 96.

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force de la chose jugée de la condamnation n’est pas remise en cause. Enfin, la conversion peut s’opposer au principe de l’autorité de la justice. L’acte du JAP porte atteinte à ce principe dans la mesure où le remplacement d’une peine en une autre met en évidence une erreur de la part de la juridiction de jugement. De plus, cette décision remettrait en cause le principe de prévisibilité de la sanction et donc la principe de légalité des délits et des peines. Ce principe ne peut être cependant absolu. Aussi, si la Cour européenne des droits de l’homme a pu sanctionné l’application rétroactive d’un revirement jurisprudentiel au

détriment de l’accusé349, la substitution a pour but de prononcer une sanction plus adaptée au

délinquant et donc en principe plus favorable. De plus, elle consiste à remplacer une peine d’emprisonnement, actuellement la plus sévère des peines, en une peine non privative de liberté. L’acte du JAP est donc favorable à l’accusé et ne contrevient pas au principe de légalité des délits et des peines. La conversion peut donc être qualifiée de juridictionnelle ce qui n’est pas le cas de tous les actes de substitution (Section 2).