• Aucun résultat trouvé

Les actes à l’initiative du procureur de la République

§1 Les actes de la juridiction de jugement

B. Les actes à l’initiative du procureur de la République

43. Tant l’ordonnance pénale (1) que la procédure de C.R.P.C. constituent des actes

juridictionnels (2). 1. L’ordonnance pénale

44. Concernant le critère organique, celui-ci peut poser des difficultés dans la mesure où

la procédure de l’ordonnance pénale est proposée par le ministère public mais la décision est prise par le président du tribunal correctionnel ou de police, donc par un organe

juridictionnel279. Néanmoins, ce dernier étant le seul à pouvoir décider ou non de la mise en

œuvre de l’ordonnance pénale, le critère organique est en principe rempli. Il peut d’ailleurs paraître étonnant que seul le procureur de la République puisse proposer l’ordonnance pénale. Cette règle s’explique néanmoins, par le souci du législateur, d’alléger le travail de la juridiction de jugement et de remédier ainsi au problème d’engorgement des tribunaux répressifs. Le critère matériel ne pose pas de problème non plus dans la mesure où l’ordonnance pénale permet d’apporter une réponse pénale définitive. Elle permet donc de

trancher le litige opposant le ministère public et le délinquant280. De plus, le législateur

emploie le terme de « peine »281 ce qui suppose que l’ordonnance pénale ait les mêmes effets

qu’une condamnation pénale constitutive d’un acte juridictionnel282. Le critère formel fait

apparaître plus de difficultés. En effet, la procédure de l’ordonnance pénale diffère de celle suivie en cas de condamnation pénale par la juridiction de jugement. En effet, la décision du

président du tribunal est prise sans débat préalable283 ce qui peut paraître critiquable au regard

du principe du contradictoire. Néanmoins, le législateur a prévu la possibilité pour le prévenu

279 En matière correctionnelle, l’art. 495-1 du C. de proc. pén. dispose en sont 1er al. que « le ministère public qui choisit la procédure simplifiée communique au président du tribunal le dossier de la poursuite et ses réquisitions ». L’al. 2 prévoit que « le président statue sans débat préalable par une ordonnance pénale portant relaxe ou condamnation (…) ». Il en est de même en matière contraventionnelle, comme le dispose l’art. 525 du dit code.

280 V. not. B. Bouloc, Procédure pénale, 2010, Dalloz, Précis, 22e éd., p. 819 : « le juge statue sans débats, par voie d’ordonnance tranchant le fond du procès (…) ».

281 L’al. 2 de l’art. 495-1 du C. proc. pén. dispose que « le président statue sans débat préalable par une ordonnance pénale portant relaxe ou condamnation à une amende ainsi que, le cas échéant, à une ou plusieurs des peines complémentaires encourues, ces peines pouvant être prononcées à titre de peine principale. L’alinéa 1er de l’article 495-2 du même code prévoit que l’ordonnance mentionne (…), en cas de condamnation, la ou les peines prononcées ». L’al. 2 de l’art. 525 du code dispose que « le juge statue sans débat préalable par une ordonnance pénale portant soit relaxe, soit condamnation à une amende ainsi que, le cas échéant, à une ou plusieurs des peines complémentaires encourues ».

282 V. not. J. Pradel, Procédure pénale, Cujas, 15e éd., 2010, p. 511 : « Le procureur de la République, s’il estime une audience inutile, saisit le juge qui pourra rendre une ordonnance portant condamnation de l’auteur des faits ».

62

de former opposition à l’ordonnance pénale afin de pouvoir bénéficier d’un débat contradictoire et public devant un tribunal au cours duquel il pourra être assisté d’un

avocat284. De plus, si la procédure de l’ordonnance pénale ne débouche pas automatiquement

sur une audience publique, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la procédure est conforme à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle estime qu’un Etat peut avoir de bons motifs de décharger ses juridictions du soin de réprimer des infractions légères. Confier cette tâche à des autorités administratives ne heurte pas la Convention pour autant que l’intéressé puisse saisir de toute

décision ainsi prise à son encontre un tribunal offrant les garanties de l’article 6.285 Le

Conseil constitutionnel considère de la même manière que la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale correctionnelle présente, quant au respect des droits de la défense, des garanties équivalentes à celles dont le prévenu aurait bénéficié devant un tribunal correctionnel et que l’ensemble des dispositions garantit de façon suffisante l’existence d’un

procès juste et équitable286.

Par ailleurs, si le législateur ne prévoit pas explicitement que le président du tribunal statue sur la culpabilité du prévenu après constatation de l’infraction constituée en tous ses éléments, les principes de présomption d’innocence et de séparation des fonctions de poursuite et de jugement ne sont pas pour autant violés. En effet, le procureur ne peut proposer le recours à

l’ordonnance pénale uniquement pour les infractions de faible gravité287. Le délinquant peut

toujours former opposition à cette proposition afin que le juge statue sur sa culpabilité lors d’une audience publique et contradictoire. Cette procédure ne contrevient pas non plus au principe de séparation des fonctions de poursuite et de jugement, le procureur de la République ne proposant pas lui-même la sanction au délinquant. Aussi, le tribunal reste libre de proposer ou non l’ordonnance au délinquant et peut choisir de relaxer ou de condamner ce

284 Art. 495-3 et 527 du C. proc. pén.

285 CEDH, 21 février 1984, n° 8544/79, Öztürk c./ Allemagne, Série A, n° 73.

286 Cons. const., 29 août 2002, n° 2002-461 DC, Loi d’orientation et de programmation de la justice, JO du 10 septembre, p. 14953, Rec. p. 204, Cons. 81.

287 L’art. 495 du C. proc. pén. dispose que « le procureur de la République peut décider de recourir à la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale (…) lorsqu’il résulte de l’enquête de police judiciaire que les faits reprochés sont simples et établis, que les renseignements concernant la personnalité, les charges et les ressources de celui-ci sont suffisants pour permettre la détermination de la peine, qu’il n’apparaît pas nécessaire, compte tenu de la faible gravité des faits, (…) ». Les art. 524 et s. prévoient que l’ordonnance pénale peut également concerner les contraventions qui sont moins graves que les délits. La procédure simplifiée ne peut concerner les crimes.

63

dernier288. Enfin, le législateur prévoit la nécessité de motiver de l’ordonnance pénale au

regard notamment des dispositions de l’article 495 du Code de procédure pénale. Toutefois, cette exigence n’est pas prévue en matière contraventionnelle. Or, cela n’ôte pas le caractère juridictionnel de l’ordonnance pénale dans la mesure où l’article 528-1 du présent code dispose expressément que l’ordonnance à laquelle il n’a pas été formé opposition, a les effets

d’un jugement passé en force de chose jugée289.

45. La qualification de condamnation pénale peut également être retenue dans la mesure

où l’ordonnance pénale donne lieu au prononcé de peines. Le législateur emploie lui-même ce terme aux articles 495-1 et 525 du Code de procédure pénale. Un raisonnement similaire peut être adopté quant à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (2).

2. La Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

46. Créée par la loi du 9 mars 2004, la comparution sur reconnaissance préalable de

culpabilité 290 permet au procureur de la République, dans les conditions prévues par le

législateur, de proposer à une personne qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés, de

proposer une ou plusieurs peines que cette personne accepte ou refuse.291 A la différence

d’une condamnation pénale292, la décision du procureur fait l’objet d’une reconnaissance

préalable de l’infraction par le délinquant et d’une acceptation de celui-ci de la sanction pénale proposée. Il semble donc que la C.R.P.C. ne puisse être assimilée à une telle condamnation.

47. Il convient alors de vérifier si ces distinctions empêchent à la C.R.P.C. d’être qualifiée

d’acte juridictionnel. Concernant le critère matériel, celui-ci ne pose pas de problème. En effet, la C.R.P.C. consiste au prononcé d’une peine en réponse à une infraction commise par le délinquant. Elle permet donc de trancher le litige opposant le ministère public au

288 Art. 495-1 et 525 du C. proc. pén.

289 En matière correctionnelle, voir art. 495-5 in fine du C. proc. pén.

290 V. not. A. Valoteau, Le jugement sur reconnaissance préalable de culpabilité : une autre procédure de jugement ou une autre manière de juger ?, Dr. pén. 2006.

291 Art. 495-7 à 495-9 du C. proc. pén.

292 G. Cornu, Vocabulaire juridique H. Capitant, op.cit., v° Condamnation, p. 227 : « décision prononcée par une autorité ayant pouvoir de juridiction et imposant à un individu une sanction à raison des agissements qui lui sont imputés ».

64

délinquant. Il en va de même concernant le critère formel. L’ordonnance issue de la C.R.P.C. est prise dans le respect des règles de procédure de droit commun. Aussi la procédure est mise en œuvre dans le respect des droits de la défense, du contradictoire, du droit au recours, de

motivation293. En effet, l’article 495-8 du Code de procédure pénale dispose que le procureur

convoque le prévenu en présence de son avocat et lui laisse un délai de réflexion pour accepter ou refuser sa proposition. De plus, la procédure d’homologation de l’ordonnance se déroule en audience publique. Le président du tribunal entend la personne et son avocat, vérifie la réalité des faits et leur qualification juridique et statue par ordonnance motivée. L’article 495-11 du présent code dispose que le prévenu peut interjeter appel de cette ordonnance. Toutes ces règles prévues à l’article 495-9 du même code correspondent à celles mises en œuvre lors de la prise d’un acte juridictionnel.

Il existe toutefois deux différences fondamentales qui pourraient remettre en cause le caractère juridictionnel de la C.R.P.C. La première correspond au fait que le délinquant doive reconnaître sa culpabilité avant que celle-ci ne soit établie par le juge. Cela peut alors être

considéré comme une violation du principe de présomption d’innocence294. Néanmoins, le

législateur a prévu une garantie au prévenu dans la mesure où celui-ci peut accepter ou refuser la proposition du procureur de la République. La décision doit être prise librement et

sincèrement par le délinquant295. En outre, en cas d’accord du délinquant, la proposition est

transmise au tribunal et la personne est présentée au président qui entend l’intéressé en

audience publique296. L’ordonnance d’homologation doit être motivée par les constatations de

la reconnaissance de culpabilité297 et du caractère justifié des peines, d’après les circonstances

de l’infraction et la personnalité de l’auteur298. La Circulaire du 2 septembre 2004299 précise

également que le président ou le juge délégué doit vérifier la réalité des faits et leur qualification juridique. Aussi, l’homologation ne pourra intervenir que si ce magistrat a l’intime conviction de la culpabilité de la personne, indépendamment du fait que celle-ci

293 J. Pradel, Défense du plaidoyer de culpabilité, J.C.P. 2004, n°5, act. 58.

294 V. not. P.-Y. Collombat, Rapport n° 120 relatif à la proposition de Loi portant réforme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, novembre 2013.

295 Circulaire du 2 septembre 2004 présentant les dispositions de la Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice à l’évolution de la criminalité relatives à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, NOR :JUS-D-04-30176C.

296 Cons. const. 2 mars 2004, n° 2004-492 DC, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JO du 10 mars, n° 59, p. 4637,cons. 117; J.C.P. 2004, II, 10048, note J. Cl. Zarka.

297 Art. 495-9 du C. proc. pén. et J. Pradel, Vers un « aggiornamento » des réponses de la procédure pénale à la criminalité. Apports de la Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 dite Perben II, J.C.P. 2004, n° 19, p. 826.

298 Art. 495-11 du C. proc. pén.

65

reconnaît cette culpabilité et même si cette reconnaissance est évidemment un élément de nature à emporter la conviction du juge. La procédure de C.R.P.C. est donc très différente de celle utilisée dans les pays anglo-saxons, dans lesquelles la primauté est donnée à la reconnaissance de culpabilité de la personne et non à la réalité des faits ayant effectivement été commis. L’autorité de poursuites peut alors transiger et abandonner certaines charges en

échange d’un plaider coupable et d’une acceptation de peines sur d’autres charges300. Dans sa

décision du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a rappelé l’importance du respect de cette procédure et du rôle du président du tribunal quant à la vérification des faits et de la

culpabilité du prévenu301. Enfin, en cas d’échec de la procédure, l’aveu du prévenu ne peut

être utilisé lors de la nouvelle procédure. L’alinéa 2 de article 495-14 dispose en effet que le procès-verbal de non homologation de l’ordonnance ne peut être transmis à la juridiction d’instruction ou de jugement, et ni le ministère public ni les parties ne peuvent en faire état devant cette juridiction. En revanche, la nécessité d’un tel accord pourrait s’opposer à la qualification d’acte juridictionnel dans la mesure où celui-ci est en principe un acte imposé au délinquant. Or, la décision définitive revient à l’autorité judiciaire. De plus, l’article 495-11 du Code de procédure pénale dispose expressément que l’ordonnance a les effets d’un

jugement de condamnation auquel il peut être interjeté appel302.

La seconde concerne l’existence du critère organique. En effet, la C.R.P.C. est proposée par le procureur de la République qui prend lui-même la décision concernant la peine encourue par le délinquant. Or, le procureur de la République ne constitue pas un organe juridictionnel capable de trancher un litige conformément au droit. Celui-ci a, en principe, le seul pouvoir de décision de la mise en œuvre de l’action publique. Toutefois, le législateur prévoit que la décision du procureur doit être présentée devant le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui aux fins d’homologation de celle-ci. De plus, le Conseil constitutionnel a considéré que la procédure ne portait pas atteinte au principe de séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement. Il a également rappelé le caractère

juridictionnel de l’ordonnance pour déclarer contraires à la Constitution les mots « en

chambre du conseil ».303

300 V. not. J. Pradel, Le plaider coupable. Confrontation des droits américain, italien et français, R.I.D.C. 2005, p. 473 et s.

301 Cons. const., 2 mars 2004, op. cit.

302 V. également Cl. Saas, Le pouvoir de sanction du procureur, Rev. sc. crim. 2004, p. 833 : « les effets d’une composition pénale ou d’un plaider-coupable s’apparentent clairement à ceux d’une condamnation ».

66

48. Enfin, la même qualification d’acte juridictionnel et de condamnation, déduite d’un

raisonnement similaire, peut être retenue pour désigner l’acte de substitution pris à l’initiative du juge d’instruction et consistant, en vertu de l’article 180-1 du Code de procédure pénale, à prendre une ordonnance de renvoi de l’affaire au procureur de la République aux fins de

C.R.P.C.304. En effet, l’ordonnance de renvoi ne constitue ni un acte juridictionnel305 ni une

condamnation pénale306. Néanmoins, la mise en œuvre de la C.R.P.C. par le procureur devra

être homologuée par le président du tribunal ce qui lui confèrera, comme il l’a été démontré

précédemment, un caractère juridictionnel et la qualification de condamnation pénale307.

La qualification d’acte juridictionnel peut également être retenue pour l’autre acte de substitution pouvant être réalisé par le juge d’instruction, au même titre que le juge des libertés et de la détention et le juge des enfants. Il en est de même concernant les actes de substitution du JAP (§2).