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La transaction administrative

§2 Les autres contrats

A. Le contrat administratif

1. La transaction administrative

116. Elle constitue un contrat qui se différencie de la transaction civile dans la mesure où

l’ordre public fait obstacle à ce que l’administration puisse s’engager par un contrat ayant force obligatoire à exercer de façon particulière les prérogatives que la loi lui confère dans

l’intérêt général. Seule une disposition contraire et expresse de la loi pourrait l’y autoriser441.

De même, l’administré ne peut pas renoncer par avance à user son droit au recours contre une

décision administrative442 ou se désister d’un recours qu’il aurait déjà introduit443.Toutefois,

l’ordre public ne peut empêcher la conclusion de véritables transactions au sens civil du terme, en matière de responsabilité et de contrat administratif. S’il peut affecter la validité de la transaction lorsque les concessions réciproques méconnaissent l’intérêt général, il ne peut empêcher l’existence même de la transaction en droit administratif. Aussi, si les personnes

publiques devaient autrefois obtenir l’accord du corps législatif444 ou l’autorisation du Roi445,

elles sont actuellement libres de transiger. Le juge est néanmoins chargé de contrôler la validité de la transaction.

117. Celle-ci est soumise à plusieurs conditions qu’il convient d’étudier afin de déterminer

si la transaction en matière pénale peut correspondre à celle mise en œuvre en droit administratif. La transaction administrative suppose tout d’abord, comme en droit commun

441 A. Lyon-Caen, Sur la transaction en droit administratif, AJDA 1997, p. 48.

442 CE Ass., 19 novembre 1955, Andréani, Rec. p. 551. ; CE 2 février 1996, Ets Crocquet, n° 152406, Rec. p. 26, Dr. adm. 1996, n° 177.

443 CE, 27 avril 1944, Sté DocriesFrères, Rec. p. 120 ; CE, 19 avril 1950, De Villèle, Rec. p. 214 : il est possible de rétracter un désistement, même s’il a été accepté.

444 Décret des 27-31 août 1791 relatif aux fonctions de l’agent du trésor public.

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des contrats, la capacité des parties à contracter. Cette condition ne pose pas problème en matière de substitution. L’administration à l’initiative de la transaction tient son pouvoir d’une disposition législative. Quant au délinquant, la commission d’une infraction ne fait pas obstacle à sa capacité de conclure un contrat. La transaction administrative nécessite ensuite un objet licite. Là encore, cette condition est remplie en matière pénale dans la mesure où l’objet de la transaction est l’infraction commise par le délinquant. Si l’on peut évoquer les éventuelles violations des droits fondamentaux de ce dernier, telles que la présomption d’innocence, cet argument a déjà été écarté par la jurisprudence. La cour d’appel de Paris a ainsi considéré qu’un prévenu est toujours libre de choisir ses moyens de défense et que l’aveu exprès de l’infraction dans l’acte transactionnel apparaît comme une simple précaution

destinée à couvrir l’administration et non une présomption légale de culpabilité446. Aussi, le

délinquant poursuivi à la suite de l’inexécution de la transaction peut contester ce qu’il avait

précédemment reconnu447. De plus, la cour de cassation a jugé que les actes accomplis en vue

de sanctions administratives ne sauraient, quelle que soit leur nature, interrompre la prescription pénale. Seuls les actes d’instruction ou de poursuite le peuvent, ce caractère

n’appartenant pas à une procédure administrative pouvant aboutir à une transaction448. Enfin,

dans un arrêt du 19 février 1964, la cour a décidé que la transaction constituait une sanction administrative449.

118. En outre, comme pour la transaction civile, la validité de la transaction et sa

qualification comme telle repose sur l’existence de concessions réciproques. Cette notion peut être assimilée à celle utilisée en droit civil. Une distinction s’opère néanmoins au niveau du contrôle de la légalité des concessions réciproques. Le juge administratif qui en est chargé va plus loin que le juge judiciaire en ne se basant pas sur la seule licéité de l’objet de la contestation mais en regardant si l’ordre public n’interdit pas aux parties de consentir la ou les concessions convenues. Aussi, par exemple, l’administration ne peut être condamnée à payer

une somme d’argent450. En matière pénale, l’existence de concessions réciproques n’est pas

menacée par l’obstacle de l’ordre public. En effet, le délinquant est libre de renoncer à son droit d’être jugé et l’administration peut disposer de l’action publique qu’elle accepte de ne

446 CA Paris, 17 janvier 1942.

447 J.-F. Dupré, La transaction en matière pénale, thèse Nancy II, 1975.

448 Cass. crim., 9 janvier 1958, Bull. crim. n° 47 ; J.C.P .1958, II, 10537, note M. Boitard.

449 Cass. crim., 19 février 1964, n° 63-90596 et n° 63-92849, Bull. crim., n° 60 ; D. 1964, p. 376, note J. Mazard.

450 CE, 19 mars 1971, n° 79962, Sieurs Mergui, Rec. p. 235 ; AJDA 1971, p. 274, chron. D. Labetoulle et P. Cabane.

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pas déclencher. Seul le problème du caractère dérisoire de ces concessions pourrait faire obstacle à la qualification de transaction administrative.

119. Quant aux conditions de forme, celles-ci sont les mêmes que celles relatives à la

transaction pénale. En effet, la jurisprudence du Conseil d’Etat n’exige pas, comme en matière civile, l’existence d’un écrit. Un échange de lettres, le procès-verbal du conciliateur, la concordance des mémoires des parties ou encore l’absence de contestation d’une offre

peuvent suffire à en rapporter la preuve451. Il en est de même en matière de substitution. En

revanche, une distinction peut être faite concernant le contentieux du contrat de transaction. Si la transaction administrative relevait au début de la compétence des tribunaux de l’ordre

judiciaire452, elle ressort actuellement de la compétence du juge administratif. Or, la

transaction pénale fait l’objet d’une homologation de l’autorité judiciaire. Aussi, même si l’autorité qui en est à l’origine est de nature administrative, le contentieux de la transaction pénale devrait relever des autorités judiciaires. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs estimé que la décision en vertu de laquelle le ministre chargé des Finances saisit la commission des infractions fiscales et l’avis formulé par cette commission constituent des actes nécessaires à la mise en mouvement de l’action publique non détachables de celle-ci et, par la suite, ne

pouvant être déférés pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative453. Toutefois il

a également pu considéré que l’acte par lequel le chef du service départemental du contrôle des prix inflige à un contrevenant une amende transactionnelle a le caractère d’une décision, nonobstant la circonstance que ce dernier peut refuser le bénéfice de cette transaction et

contester l’existence de l’infraction devant le tribunal correctionnel454. Aussi, l’acte peut donc

être attaqué devant le Conseil de l’Etat par la voie du recours pour excès de pouvoir455. La

cour d’appel de Nîmes, dans un arrêt du 6 juin 1958, avait décidé, en matière d’eaux et forêts, que la validité de la transaction constituait une exception préjudicielle au jugement de

caractère administratif qui échappait à la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire456.

451 CE, 26 juillet 1949, Marquis, Rec. p. 470 ; CE, 23 avril 1958, Cachard, Rec. p. 993 ; CE, 6 juillet 1978,

RATP, Rec. p. 343 ; CE, 28 novembre 1990, OPHLM de la Meuse, n° 30875, Rec. p. 871.

452 J.-M. Auby, La transaction en matière administrative, AJDA 1956, p. 1. : « faute de contenir des clauses exorbitantes du droit commun, la transaction administrative relève en principe de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire, à l’exception de celles intervenant dans le domaine des dommages de travaux publics et des marchés de travaux publics, en raison du pouvoir attractif de la notion de travaux publics ».

453 CE, 26 juillet 1991, Homsy, n° 79837.

454 CE, 13 novembre 1942, Gaston Leroux, Rec. p. 314.

455 J.-F. Dupré, op. cit.

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120. Quant aux effets, la transaction administrative comme la transaction pénale acquiert

l’autorité de la chose jugée457. Celle-ci ne peut donc faire l’objet d’un recours juridictionnel

ultérieur portant sur le même litige458. Dans le cas où le juge est saisi, celui-ci doit rendre un

non-lieu459. Il en va ainsi en matière de substitution. La transaction pénale, lorsqu’elle est

acceptée par le délinquant, ne peut être remise en question par l’une des parties. En revanche, l’exécution forcée de la transaction pénale ne peut être obtenue à la différence de celle administrative qui nécessite l’intervention du juge. En droit administratif, la partie qui n’a pas obtenu l’exécution de la transaction peut demander au juge de sanctionner ce manquement à ses obligations. En cas d’inexécution de la décision du juge, des mesures de contrainte prévues par les lois des 16 juillet 1980 et 8 février 1995 peuvent être mises en œuvre. En matière pénale, la transaction ne peut donner lieu à aucune mesure d’exécution forcée et à aucune sanction de l’inexécution. Celle-ci peut néanmoins conduire au déclenchement de l’action publique et au retour de la mesure substituée, ce qui n’est pas le cas en matière administrative. Concernant les tiers, la transaction administrative a, comme la transaction

pénale, un effet relatif et n’est pas opposable aux tiers autres que les ayants droits460. En

matière de substitution, celle-ci n’empêche pas l’exercice d’une action civile de la part des victimes de l’infraction. Enfin, la transaction administrative a un effet recognitif dans la mesure où elle n’a pas pour objet de faire naître de nouveaux droits mais de constater ceux que les parties détenaient déjà. Il en est de même concernant la transaction pénale. Il convient alors de vérifier si la transaction pénale et plus largement l’acte de substitution peuvent s’analyser en contrat administratif (2).

2. Le contrat administratif

121. Celui-ci n’est pas défini par le législateur. Selon Cornu, il correspond au contrat dont,

en principe, l’une des parties est une personne publique et dont la connaissance appartient à la juridiction administrative soit en vertu d’une attribution légale de compétence, soit parce qu’il porte sur l’exécution même d’un service public ou comporte une clause exorbitante de droit

457 R. Gassin, Considérations sur le but de la procédure pénale, op. cit., n° 122.

458 CE, 8 février 1956, Dame Germain, Rec. p. 69 ; CE, 31 mars 1971, Baysse, n° 75241, Rec. p. 1116 ; CE Sect. 28 septembre 1983, Est Prévost, n° 11513, Rec. p. 376 ; CE 11 décembre 1987, Bouchaleb et Khelfa, n° 76937, Rec. p. 416 ; CE, 28 novembre 1990, OPHLM de la Meuse, n° 30875, Rec. p. 866 ; CE, 28 janvier 1994, Sté Raymond Camus, n° 49518, Rec. p. 1041 ; D. 1995, somm. p. 125.

459 CE, 30 octobre 1974, Commune de Saint-Pierre-les-Bois, n° 88044, Rec. p. 525 ; Trib. confl., 31 octobre 1885, Trochet, Dr. pén. 1887, 3, p. 36.

460 CE, 13 janvier 1984, OPHLM de Firmity, n° 34135, Rec. p. 672 ; CE, 20 juillet 1910, Cie des chemins de fer du PLM, Rec. p. 594.

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commun461. Outre les conditions de formation du contrat prévu par le droit commun, le

contrat administratif suppose donc le respect de deux conditions utilisées par la jurisprudence. Le contrat peut être qualifié d’administratif si l’une des parties est une personne publique. En matière de substitution, l’une des parties est l’administration. Celle-ci est en principe une personne publique. Toutefois, l’administration agit en tant que ministère public et donc à titre répressif. Elle ne peut donc être considérée comme autorité administrative, à moins que celle-ci agisse en tant que victime de l’infraction. De plus, le contrat administratif relève en principe de la compétence administrative ce qui n’est pas le cas de la transaction pénale.

122. Celui-ci se base sur deux critères alternatifs. Un contrat peut être qualifié

d’administratif si son objet est relatif à l’organisation et à l’exécution d’un service public462.

Ce dernier peut être défini comme une activité destinée à satisfaire un besoin d’intérêt général

dont la gestion est confiée à un organisme administratif463. Le contrat peut avoir pour objet

l’exécution du service public par l’administration ou la délégation de la gestion du service au cocontractant. Or, en matière pénale, la transaction porte sur l’infraction commise et la réponse pénale apportée dans l’intérêt de la société. L’objet de la transaction relève donc en principe d’une activité régalienne qui ne peut être confiée à une administration. Il s’agit du pouvoir de punir qui ne se négocier pas et qui illustre la puissance souveraine de l’Etat. De même, si le délinquant peut exécuter un travail d’intérêt général en faveur de la collectivité, celui-ci ne peut se voir confier la gestion d’un service public. Ce critère ne peut donc être transposé en matière pénale.

123. Toutefois, le deuxième relatif à l’existence d’une clause exorbitante de droit commun

peut être rempli. La jurisprudence considère qu’un contrat pouvait être qualifié d’administratif

dès lors qu’il contient une clause exorbitante de droit commun464, c’est-à-dire une clause

permettant à l’administration de mettre en œuvre des prérogatives de puissance publique telle

que la sanction ou inspirées par l’intérêt général465. De même, peut revêtir le caractère

d’administratif, le contrat dont le régime est exorbitant du droit commun466. En matière

pénale, l’administration possède seule le pouvoir de décider du recours à la transaction et fixe

461 R. Cornu, Vocabulaire juridique H. Capitant, op. cit., v° Contrat administratif, p. 259-260.

462CE, 20 avril 1956, époux Bertin, n° 98637, Rec. p. 167 ; D. 1956, p. 433. 463 R. Cornu, Vocabulaire juridique H. Capitant, op. cit., v° Service public, p. 958.

464CE, 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges, Rec. p. 909. 465 X. Pin, Le consentement en matière pénale, thèse, Grenoble, LGDJ, 2002, p.

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elle-même la sanction et son quantum. De plus, le cocontractant est menacé de poursuites pénales s’il ne contracte pas. Cela peut donc être analysé comme une clause exorbitante de

droit commun467. Il convient néanmoins de revenir sur la définition d’une telle clause qui

n’est pas très précise. Selon la jurisprudence, celle-ci permet de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations étrangères par leur nature à ceux qui sont librement

consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales468

.

Or, le pouvoir de

proposer une sanction ne semble pas être une obligation de nature civile. Néanmoins, le fait que la sanction ne puisse être négociée par le délinquant permet d’aller au delà de cette notion de clause exorbitante de droit commun. Aussi, la transaction pénale ne constituerait pas un contrat administratif mais un simple contrat d’adhésion.

124. Celui-ci correspond à une dénomination doctrinale générique, englobant tous les

contrats dans la formation desquels le consentement de l’une des parties consiste à accepter une proposition sans discussion, adhérant ainsi aux conditions établies unilatéralement à

l’avance par une autre partie469. La transaction pénale peut se rapprocher de cette notion par

l’absence de pouvoir de discussion du délinquant. Aussi, la peine proposée par l’administration est imposée au délinquant. Il n’existe pas d’égalité entre les parties. S’il existe des concessions réciproques, c’est toujours celui qui est titulaire du droit de déclencher l’action publique, voire d’un pouvoir délégué de transiger, qui est à l’initiative de la transaction et la propose. Aussi Anne Scattolin a pu remarqué que de nature consensuelle et synallagmatique, la transaction pénale n’est certainement pas un contrat gré à gré en raison de l’inégalité insurmontable entre l’administration et le délinquant. Elle s’apparente au contrat

d’adhésion470. Le contrat d’adhésion a toutefois la même valeur qu’un contrat négocié471. Un

tribunal ne peut lui refuser force obligatoire au simple motif qu’il n’a pas été librement

négocié472. Cette qualification a également été retenue à l’égard de la composition pénale473.

De même, Xavier Pin a fait remarqué que le consentement à la transaction se différencie radicalement du consentement au contrat car il n’est jamais question pour les parties de régir

467 M. Dobkine, La transaction en matière pénale, op. cit., p. 139.

468CE, Sect., 20 octobre 1950, Sieur Stein, Rec. p. 505. 469 Cornu, Vocabulaire juridique H. Capitant, op. cit., p. 26.

470 A. Scattolin, La volonté de la personne poursuivie, thèse Poitiers, 1996, p. 230.

471 G. Berlioz, Le contrat d’adhésion, L.G.D.J. 1973 ; F.-X. Testu, Le juge et le contrat d’adhésion, J.C.P. 1993, I, 3673.

472 Cass. civ. 1re, 19 janvier 1982, n° 80-15745, Bull. civ. I, n° 29 ; J.C.P. 1984, II, 20215.

473 J. Hederer, Un an d’expérimentation de la composition pénale dans le tribunal de grande instance, AJ Pénal 2003, p. 53.

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leurs rapports en créant des obligations, « seulement d’accepter ou d’écarter certaines faveurs

ou sujétions légales474 ». Evan Raschel souligne que l’existence de concessions réciproques

caractéristiques de la transaction475« ne sont pas à proprement parler négociées, sauf à

raisonner en terme de contrat d’adhésion, le schéma contractuel s’éloignant alors476 ». Par ailleurs, certains auteurs refusent cette qualification de contrat administratif au profit de celle de contrat pénal indemnitaire non exécutoire. Il convient donc de vérifier si celle-ci est pertinente dans une matière a priori contraire à l’idée même de contrat. (B).