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1975-1988 1989-1993 1994-1999 2000-2006 2007-2013 % des fonds italiens

2. LA CAMPANIE, UNE RÉGION « BANALE » DE L’OBJECTIF 1 ?

2.1 Les élargissements et la contrainte budgétaire

L’adoption chaotique des perspectives financières pour 2007-13 a révélé des négociations difficiles entre la Commission et les États membres liées au « coût » de l’élargissement, qui ne sont pas sans faire écho aux problèmes d’image d’ « assistanat » dont souffre la région Campanie. En effet, l’un des sujets de polémique à propos de l’élargissement était son « coût excessif » ou supposé tel sur les anciens pays membres. Pourtant jusqu’à présent, les « coûts » ont été semble-t-il en réalité peu élevés. En effet, pour la période 2004-06, si 41 milliards d’euros ont été dégagés par la Commission européenne pour des aides structurelles, l’administration publique, etc., les nouveaux États membres avaient versé environ 15 milliards d’euros au budget communautaire. Pour d’aucuns, on a en réalité à faire à un élargissement au rabais. En outre, les perspectives financières 2007-13 de la politique de cohésion avaient sensiblement diminué comme « peau de chagrin » (Encadré 1.7), ce qui atténuait encore plus le « poids » relatif de ses principaux bénéficiaires : les pays de l’Europe centrale et orientale.

Encadré 1.7

L’évolution du budget de la politique de cohésion (1988-2013)

Pour la période 2007-13, la politique de cohésion dispose d’environ 308 milliards d’euros soit

une augmentation d’environ 45% par rapport à l’enveloppe financière de 2000-06 pour une population de 493 millions d’habitants. Mais à l’échelle européenne, ce budget est peu significatif face au défi à relever et aux inégalités régionales croissantes. Pourtant, les États membres ne semblent pas vouloir faire plus d’effort. En effet, l’enveloppe prévue au départ était bien supérieure. La Commission avait proposé au Conseil 336,1 milliards d’euros, dont 264 milliards pour l’axe « convergence », mais le Conseil avait donné son accord pour seulement 307,6 milliards d’euros.

Pour la période 2000-06, l’Europe mettait à disposition une enveloppe budgétaire de l’ordre de 234 milliards d’euros pour sa politique de cohésion après de nombreuses modifications durant la période. Pour la période 1994-99, la politique de cohésion disposait dans une Europe des douze d’environ 150 milliards d’écus et de 56 milliards d’écus pour la période

1989-93, toujours dans une Europe des Douze.

La population couverte par les fonds structurels montre également une plus grande rigueur de la politique de cohésion, qu’on peut certes interpréter comme un souci de plus grande efficacité mais aussi un risque de désengagement ? En effet, pour la période 1989-93, 44% du territoire européen (Ue=12) était couvert par les fonds structurels. L’objectif 1 concernait alors 22% du territoire. Pour la période suivante (1994-99), 52,2% du territoire européen était couvert, dont presque 27% concernait l’objectif 1. À partir de la période de programmation 2000-06, la population couverte par les objectifs territorialisés des fonds structurels sur les quatre programmes pluriannuels se réduit passant à 40% et 22% pour l’objectif 1.

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Enfin, pour la période actuelle, 2007-13, 35% de la population couverte par les aides communautaires concerne l’objectif « convergence ». En ce qui concerne l’objectif « compétitivité régionale et emploi », l’ensemble des territoires et de la population sont désormais éligibles.

Source : DG REGIO

Certains auteurs craignaient déjà au début des années 2000 que « ces insuffisances compromettent le succès de ce dernier élargissement d’une Union européenne qui n’est au fond que l’addition d’intérêts nationaux : la France défend la PAC, l’Allemagne veut limiter sa contribution financière au budget communautaire, l’Espagne lutte pour rester le principal bénéficiaire des fonds structurels […] » (Gauthier, 2003, p.342). On peut donc se demander si le temps ne leur a pas donné raison. Dans le cas qui nous occupe ici, un point important est celui du jeu d’échelle Nation/Europe. Le député européen Alain Lamassoure dans un entretien accordé au Centre d’information sur l’Europe déclarait en 2007 :

[…] Il y a 20 ans, Madame Thatcher s'était illustrée en déclarant, à propos du budget européen : "I want my money back !", qui signifie concrètement que "ce que je retire du budget européen est aussi important que ce que j'y apporte". Cela va à l'encontre de l'esprit communautaire. Si chaque gouvernement fait preuve de cet état d'esprit, pourquoi faire un budget commun si le seul objectif est d'en retirer autant que ce qu'on y apporte ? Aujourd'hui, avec ce système de contributions nationales, nous avons autour de la table non pas une Madame Thatcher mais vingt-sept […].

Source : http://www.touteleurope.fr/

Pour comprendre ce contexte somme toute menaçant pour la Campanie, il nous faut faire un détour par les logiques budgétaires européennes. En effet, la contribution au budget communautaire de chaque pays dépend essentiellement de la richesse des États membres.

Pour l’année 2008, l’Allemagne a été le plus important contributeur de l’Union européenne avec une contribution atteignant 19,6% du budget, suivi de la France avec 16,9%, de l’Italie « en équilibre » avec 13,3% et enfin du Royaume-Uni avec 11,4%71. Or la perspective d’une augmentation de la contribution des États membres a poussé certains États, en particulier le Royaume-Uni, la Suède ou encore les Pays-Bas, dans leur retranchement, proposant une renationalisation de la politique de cohésion, qu’ils qualifient parfois de « clientéliste » ou encore de « budgétivore ». Au-delà du cas de ces pays riches de longue date, le « non irlandais » en 2008 à la ratification du Traité de Lisbonne peut lui aussi s’inscrire en partie comme une réponse au processus d’élargissement et à la baisse des allocations des fonds

71 JO de l’Union européenne L71, 51ème année, mars 2008, Arrêt définitif du budget général de l’Union

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structurels pour la période 2007-13, qui ont peut-être ou non pesé dans le choix (Brehon, 2008) (Encadré 1.8).

Encadré 1.8

L’élargissement et l’opinion publique

L’opinion publique ne reste pas insensible aux débats nationaux liés au budget européen et à l’élargissement. Le sondage Eurobaromètre n°57 du printemps 200272, au sujet de l’attitude des européens vis-à-vis de l’élargissement de l’Union européenne (Ue15) montrait que 50% des européens étaient plutôt favorable à l’élargissement contre 30% contre. 49% des répondants

pensaient cependant que « quand d’autres pays l’auront rejointe, notre pays recevra moins d’aides financières de l’Union européenne (contre 25% qui ne sont pas d’accord).

En 2002, l’opinion publique dans la majeure partie des pays était donc favorable à

l’élargissement. En effet, que ce soit l’Allemagne (43%), l’Irlande (56%), le Royaume Uni

(38%), le Danemark (68%) ou encore l’Autriche (45%), l’opinion publique était favorable à l’élargissement. Seule l’opinion publique française était défavorable à l’élargissement avec 47% de « contre », contre 40% de soutien positif.

En revanche, les italiens (61%) directement concernés par la perte de fonds liée à l’élargissement au même titre que l’Espagne (64%) ou encore le Portugal (57%) faisaient partie des Européens les plus favorables à l’Union européenne.

Soutien des pays membres à l’élargissement de 2004

Source : Extrait de l’Eurobaromètre n°57, Printemps 2002.

Sources : Extrait de l’Eurobaromètre n°57, Printemps 2002.

72 « L’échantillon des sondages Eurobaromètre standard est de 1000 personnes par pays, sauf au

Luxembourg (600) et au Royaume-Uni (1000 en Grande- Bretagne et 300 en Irlande du nord). Afin d’évaluer l’impact de l’intégration des cinq nouveaux Länder au sein de l’Allemagne unifiée et de l’Union européenne, 2000 personnes sont interrogées en Allemagne depuis l’Eurobaromètre 34 : 1000 sur le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est et 1000 sur celui de l’ex-Allemagne de l’ouest » (Extrait de l’Eurobaromètre n°57, Printemps 2002).

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À travers ces polémiques sur l’élargissement, c’est aujourd’hui l’existence même de la politique de cohésion qui est en jeu et ceci joue directement sur la sécurité ou non des actions engagées par les pouvoirs publics en région Campanie (métropolitain, requalification des friches, etc.). En effet, une politique de renationalisation « pourrait également remettre en cause le caractère de solidarité interétatique que revêt le système actuellement en place face à une Europe déjà critiquée pour son rôle trop strictement économique » (Mesclier, 2007, p.142). Or, en Italie, cette crise de la solidarité européenne se double de la crise de solidarité Nord-Sud dans laquelle la région Campanie se trouve être en première ligne (Encadré 1.3, p.56) (Rivière, 2004).

La figure 1.4 qui présente les bénéficiaires et les contributeurs nets des politiques structurelles met en évidence deux points majeurs. Le premier est que les bénéficiaires nets des politiques structurelles restent sans conteste les « pays de la cohésion » : l’Espagne, le Portugal, la Grèce et l’Irlande ainsi que les pays d’Europe centrale et orientale depuis 2004. Le second point est que l’Italie reste l’un des États membres dont les fonds structurels alloués pour la période 2000-06 sont les plus importants (plus de 15% du budget de la politique régionale pour la période de programmation) et en particulier en faveur du Mezzogiorno, mais elle constitue néanmoins, un contributeur net.

Sans entrer ici dans les équilibres qui sous-tendent cette situation, cela pose notamment la question du Sud italien et de l’apport réel des fonds structurels sur le territoire, notamment en région Campanie. Dans ce cadre et si l’on suit jusqu’au bout le paradoxe (qui n’est que la logique même du « juste retour »), les fonds dits européens seraient avant tout des fonds « nationaux ». En effet, la contribution versée par l’Italie au budget européen se trouve être reversée en partie à travers la politique de cohésion au Mezzogiorno. L’augmentation éventuelle des contributions jouerait donc directement sur les fonds attribués au Sud italien. En outre, il faut « aggraver » cette approche ! En effet, l’Italie connaît d’importantes difficultés d’absorption des fonds européens liées aux mécanismes institutionnels bloqués, à l’absence de projets ce qui diminue d’autant le « retour »73. Cela pose de nouveau la question de la place du Mezzogiorno et de la région Campanie en Italie et en Europe.

73 « C’est ce qui explique le faible taux de retour calculé sur la base des décaissements effectifs (8% en

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Fig.1.4

Budget communautaire : contributions et bénéfices nets en 2008

Source : Martins, 2008, p.74. Modifiée par E. Manceau, 2010.

À nouveau, cette question budgétaire vue sous l’angle des incertitudes pesant sur la politique de cohésion, n’est pas récente. Ainsi, à chaque fois que la question budgétaire s’est posée, la région Campanie s’est positionnée comme si elle se trouvait directement menacée par la perte de ses crédits. Elle s’est ainsi activement mobilisée depuis la fin de l’intervention

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extraordinaire en 1992, avec les autres régions du Sud italien, pour défendre ses intérêts. L’enjeu a d’autant été plus important que depuis la fin de la politique méridionale et jusqu’en 2002, qui voit la création du Fonds pour les aires sous-utilisées (FAS), le développement de la Campanie, comme des autres régions méridionales, était étroitement lié au versement des fonds communautaires qui sont alors la référence quasi-exclusive de l’ «aménagement du territoire » italien. Déjà pour la programmation 1994-99, les régions méridionales étaient sous le coup d’une diminution des aides communautaires face « à la forte concurrence de l’Allemagne, fortement intéressée par les fonds structurels pour ses régions » (Puledda, La Repubblica, 20/10/1993). Aujourd’hui, on relève qu’à l’échelle régionale, l’élargissement apparaît comme une épée de Damoclès sur la région napolitaine, voire sur Bagnoli et le métropolitain, comme en témoigne Antonio Bassolino, alors Président de Région, dans les colonnes de La Repubblica :

[…] La bataille des pays du Nord de l’Europe pourrait produire un effet indésirable sur la région Campanie : le risque serait de perdre trois milliards d’euros de ressources pour les grandes opérations et les infrastructures (on pense à Bagnoli et au Métropolitain).

(A. Bassolino, La Repubblica, 09/06/05). Au-delà du vocabulaire - toujours - guerrier (la « bataille »), il semble que les discussions autour du budget aient effectivement menacé directement les projets portés en région Campanie. En témoigne le fait qu’alors que se négociait le budget européen pour les perspectives 2007-13 entre les États membres, Antonio Bassolino et les gouverneurs de Régions du Sud italien, Gianfranco Fini, alors vice-président du Conseil des Ministres, les parlementaires européens du Mezzogiorno, le ministre de la politique de cohésion, Gianfranco Miccichè et le Ministre de la politique communautaire Giorgo La Malfa se rencontraient en juin 2005 à Rome, afin de discuter des possibilités d’actions.

Selon Antonio Bassolino, le risque pour la Campanie était effectivement de perdre plus de trois milliards d’euros voire le double si l’on considérait le critère d’additionalité. Au terme de la rencontre des présidents de Région et des membres du Gouvernement, deux solutions ont émergé : d’une part, un « pacte bipartisan pour le Sud » composé des Ministres G. Fini, G. La Malfa, G. Gargani, A. Andria et des gouverneurs du Sud du Centre gauche a été défini, d’autre part, les Présidents de Régions avaient invité le Gouvernement à exercer son droit de veto sur le budget de l’Union européenne.

Ces « options » traduisent d’un côté, une forme de solidarité Nord-Sud, représentés par le Gouvernement italien et les Présidents de Région du Mezzogiorno pour ne pas perdre les fonds européens. De l’autre, le droit de véto aurait participé à bloquer les négociations pour

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l’adoption du budget européen et n’a pas été utilisé. Mais on peut souligner que l’usage en soi d’un tel argument est notable. Le débat budgétaire, d’échelle européenne, a donc eu un impact direct sur les articulations Région/Nation en Italie et aussi par-delà, sur les relations entre le Parti Démocrate campanien et le Parti du Peuple de la Liberté (PdL) de G. Fini.

En somme, les questions budgétaires d’échelle européenne ont eu et gardent un effet direct sur la région Campanie, ce qui pose le problème de l’obtention des fonds, par delà ici, du fameux sésame de l’indice 75 du PIB/hab. Antonio Bassolino témoigne de la période difficile et des risques encourus pour les régions pauvres des pays riches :

[…]C’est un moment délicat et difficile dans toute l’Europe. Je pense que nous devons agir avec intelligence et de façon conjointe. Nous nous rencontrons pour voir quelle position commune nous devons adopter sur les fonds. Nous savons qu’ils sont importants pour notre futur, tout en sachant que seuls ils ne suffiront pas et qu’ils devront être accompagnés de financements nationaux publics et privés, mais les fonds restent pour les prochaines années une base essentielle pour tous nos choix de développement.

(A. Bassolino, La Repubblica, 02/06/2005)