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La Campanie est-elle vraiment une région « assistée » ?

1. LA CAMPANIE UNE RÉGION PRIVILÉGIÉE DE L’EUROPE ?

1.1 La Campanie est-elle vraiment une région « assistée » ?

Aujourd’hui, si le débat sur « l’aide », voire la « manne » ou la « pluie de financements », octroyée au Sud et à la Campanie s’inscrit en partie dans le cadre des fonds structurels européens, il s’est longtemps joué, pour l’essentiel, au niveau des transferts réalisés de l’État vers un Sud marginalisé. Aujourd’hui encore, le « poids » du Sud et l’Italie « utile » du Nord sont encore fortement ancrés dans les esprits (Rivière, 1996, p.261-266). Pour autant, il fait depuis longtemps l’objet de polémiques, la Svimez en particulier déniant ou nuançant régulièrement cet « assistanat » dans ses rapports annuels. Sans prétendre retracer l’ensemble des débats, si l’on observe les dépenses publiques par habitant pour la période 2001-07, tout compris - Europe, État et collectivités - nous constatons, sur la base des sources issues de la Svimez mais aussi des sources directement étatiques, un bilan qui va effectivement à l’encontre des clichés sur l’assistanat (Fig.1.1).

Fig.1.1

Dépenses publiques : investissements et transferts pour la période 2001-07 (euro/hab.)

Source : DPS, 2008, p.131.

Le rapport annuel du Département pour le développement et la cohésion économique (DPS) (2008) montrait globalement, dans le cadre du secteur public élargi42, des dépenses publiques par habitant plus importantes au Nord (1 202 euros) qu’au Sud (1 070 euros) de la péninsule. En outre, si les transferts restent un peu plus importants dans le Mezzogiorno (382 euros par

42 Le secteur public élargi comprend l’Administration publique (État, ANAS, universités, hôpitaux …)

et le secteur extra de l’Administration publique avec les entreprises nationales (ENEL, La Poste …) ainsi que les entreprises publiques locales.

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habitant) que dans le Centre Nord (233 euros par habitant), le Nord bénéficie en revanche d’investissements directs plus importants, avec 969 euros par habitant enregistrés, contre 688 euros par habitant dans le Mezzogiorno. Cet écart trouve bien entendu son origine en large part dans le fait que les collectivités du Centre-Nord de l’Italie sont plus riches que celles du Sud et que l’État investit aussi … au Nord !

Ce bref détour par les investissements et les transferts dans le secteur public pour la période 2001-07 permet d’appréhender d’emblée un peu différemment le « fossé » entre le Mezzogiorno et le Nord italien et la façon dont il joue sur l’allocation des ressources européennes. Par exemple, l’article d’Alessandro Trocino « Galan, Président de la Vénétie, attaque : trop de fonds pour le Sud, maintenant ça suffit » (Corriere della Sera, 23/01/09) témoigne dans son contexte de ces rapports actuels Nord/Sud tendus (l’auteur parle d’« incendie ») et plus largement de l’enjeu que représentent les fonds structurels sur fond de crises nationale et internationale (Encadré 1.3). Le vocabulaire employé montre à la fois les écarts entre le Nord de l’Italie et le Sud mais aussi la perception négative du Mezzogiorno par certains élus des régions du Nord. Par exemple, Giancarlo Galan43, l’ancien Président de Région Vénétie, parle de « maux d’estomac », de « pluie de financements », du caractère assisté des régions. En l’occurrence, alors que le Ministre de l’Économie et des Finances, Giulio Tremonti envisageait de réorienter une partie des subventions européennes en faveur des amortisseurs sociaux44, le président forziste de Vénétie, reprochait l’importance des fonds structurels versés au Sud qui viendrait s’ajouter aux « transferts ordinaires ».

Encadré 1.3

« Galan, Président de la Vénétie, attaque : trop de fonds pour le Sud, maintenant ça suffit »

« ROME - À gauche, critiques et remarques. Mais aussi entre les gouverneurs de centre droit le mécontentement s’affirme. Le ministre Tremonti souhaiterait réorienter une partie des fonds

européens pour le financement des amortisseurs sociaux. Et l’incendie s’embrase surtout entre le Nord et le Sud. Avec Giancarlo Galan, Président forziste de Vénétie, qui parle de

plusieurs « maux d’estomac » et dénonce « une pluie de financements pour le

Mezzogiorno ». Raffaele Lombardo, gouverneur de Sicile, au contraire, bat le fer et réclame le

respect des engagements et le début des travaux pour le Pont suspendu sur le détroit de Messine. […] Galan […] : « Il y a un souci, le fossé entre le Nord et le Sud reste impressionnant.

43 Giancarlo Galan, membre du parti Forziste puis du Parti du Peuple de la Liberté (PdL), n’est plus le

Président de Région. Il a été remplacé lors des dernières élections régionales de 2010 par Luca Zaia, appartenant à la Ligue du Nord.

44 Les amortisseurs sociaux sont une « assurance en cas d’absence d’emploi […] L’Italie est la lanterne

rouge en Europe en ce qui concerne les dépenses pour le chômage (Lagala, 2007, Maddaloni, 2008). Aux amortisseurs sociaux est destiné 0,7 % du PIB contre une moyenne OCDE supérieure à 1 %. Les ressources consacrées aux politiques d’activation (formation, création directe de postes de travail, job

sharing, etc.) se limitent à 0,6 % du PIB. Si elles sont légèrement supérieures à la moyenne des pays de

l’OCDE (0,5 %), elles viennent loin derrière des pays les plus vertueux, tels le Danemark, les Pays-Bas et la Suède (qui dépassent 1 % voire 2 % du PIB) » (Léonardi, 2008, p.1).

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Beaucoup de fonds vont aux régions méridionales, qui n’ont pas encore approuvé leur plan. Puis nous aidons le Sud depuis des siècles : avec quels résultats ?

Toujours dans le même article, Raffaele Lombardo reprend : « À écouter Galan, nous devrions remercier la providence ». […] Les fonds touchés n’ont pas toujours été bien dépensés, admet-il aussi : « Mais ce sont nos affaires. Ce n’est pas Galan qui donne ces fonds venus de l’Europe. Puis nous voulons parler d’infrastructures ? Anas et FS - ponts et chaussées - ne sont pas des entreprises régionales, me dit-il. En effet, nous dépensons des milliards d’euros pour économiser 15 minutes de trajet entre Milan et Bologne : nous, pour nous rendre de Catane à Palerme, nous mettons cinq heures ». […] Plus permissif que ses collègues, pour le gouverneur lombard Roberto Formigoni : « la situation est difficile et les différences d’évaluation ne manquent pas, mais je suis optimiste. L’important est que soit respectée la territorialité : c'est-à-dire qu’à

la fin chaque région se retrouve avec les fonds qu’elle avait au départ. Et que cet argent doit aussi être utilisé pour améliorer la qualité du travail, pas seulement pour redistribuer le revenu ».

Source : Trocino, Corriere della Sera, 23/01/09.

Pourtant, au-delà de ce discours et des difficultés structurelles, quelque soit le contexte national, à effectuer toute comptabilité territoriale précise des subventions, il est vrai que les aides versées dans le cadre de la politique méridionale - estimées à environ 43,6 milliards d’euros entre 1950 et 1992 (Leonardi, 2005, p.109), aujourd’hui de la politique de cohésion et ces dernières années dans le cadre de la loi 289/02 relative au Fond pour les aires sous utilisés (FAS) - Pas moins de 18 milliards d’euros ont été versés pour la période 2000-08 tous fonds confondus (Ministero dello sviluppo economico, 2008, p.200) - sont notables.

Comment s’y retrouver dans ces points de vue et ces chiffres qui peuvent sembler contradictoires ? Suivre l’apport de l’Europe « pas à pas », programme après programme, de 1975 à nos jours, peut nous permettre de dénouer en partie au moins cet écheveau. En effet, comme nous le verrons, ces soutiens financiers ne positionnent pas la région de Naples comme prioritaire de l’Europe et de l’Italie (Fig.1.1, p.55). Un critère aussi élémentaire que l’aide par habitant montre un tout autre visage de la répartition des fonds structurels entre la région napolitaine et les autres régions italiennes et européennes (Fig.1.2, p.61).

La région Campanie a certes capté l’essentiel des fonds structurels alloués à l’Italie depuis l’institution du FEDER en 1975 jusqu’à la réforme des fonds structurels de 1988. Entre 1975 et 1988 (Fig.1.2a, p.61), le budget européen global était faible et celui alloué à la politique régionale atteignait environ 24 392 millions d’écus (Ue12) (CE, ERDF, 1988, p.90). Mais dans ce contexte général, ce sont plus de 40% des fonds européens accordés à l’Italie qui ont été reversés à la région Campanie, soit plus de 3 056 millions d’écus contre par exemple 1 114 millions d’écus pour la région Sicile. Ce montant prend en considération l’Opération

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Intégrée en faveur de Naples (OIN) ainsi que le Programme intégré méditerranéen (PIM) pour lequel son « poids » est nettement inférieur : de l’ordre de 8% (Encadré 1.4).

Encadré 1.4

Le financement du Projet intégré méditerranéen en région Campanie

Sur le plan financier, vingt-neuf projets intégrés méditerranéens ont été approuvés par la Commission jusqu’au 31 décembre 1988 avec une dépense totale de 7 000 millions d’écus dont 3 200 millions d’écus de concours communautaires. À titre de comparaison, c’est 1 000 millions de moins que les montants attribués à la seule région Campanie pour la période de la programmation 2000-06 dans le cadre de l’objectif 1.

L’État italien est celui qui a demandé les sommes les plus importantes pour les PIM, avec un montant de 5 791 millions d’écus, dont 2 413 millions d’écus de concours budgétaires, tandis que la demande nationale dans le cadre des PIM grecs s’élevait par exemple à 3 670 millions d’écus. Toutefois, les montants approuvés par la Commission ont différé et accordé à la Grèce les aides les plus importantes : 3 213 millions d’écus dont 1 828 millions d’écus de concours communautaires (dont plus de 691 millions d’écus de FEDER).

On peut supposer que l’importance de ces montants est liée au fait qu’Athènes se trouve être dans le zonage de l’intervention communautaire. Pour l’Italie, la Commission a finalement accordé 2 568 millions d’écus, dont 1 009 millions d’écus de concours communautaires. L’apport spécifique du FEDER dans le cadre des PIM italiens s’est élevé à environ 292 millions d’écus, soit 27% du total (1 084 millions d’écus) (CEE, 1989).

Plan de financement pour le PIM Campanie (en milliers d’écus)

Source : PIM, Regione Campania, 1988.

À l’échelon régional, la Campanie a bénéficié dans le cadre du PIM, d’un montant global de

172 460 écus, soit environ 6,7% du total national. Parmi cette somme allouée, 46,5% des

fonds provenaient de l’Europe (80 249), soit 2,5% du montant total de l’aide européenne. Près de 58% de ce montant étaient issus du FEDER. La région Campanie a donc obtenu près de 8%

des fonds communautaires européens pour la période 1988-92. De la même façon, l’aide par

habitant pour l’ensemble de la période dans les zones concernées par le projet intégré a atteint 246 écus, ce qui encore ici est dérisoire si l’on compare les montants alloués par habitant sur la période 1975-87.

Source : Regione Campania, 1988, CE, 1989.

La Campanie est donc de loin la région qui a perçu l’aide la plus importante si nous la comparons aux autres régions italiennes ou européennes. En effet, les engagements européens

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en faveur de la région Campanie ont été, sur cette même période 1975-88, plus importants que ceux de la France tout entière (2 814 millions d’écus) et des pays dits de la cohésion45, il est vrai très tard entrés dans la Communauté : la Grèce en 1981 (2 447 millions d’écus), l’Espagne (2 034 millions d’écus) et le Portugal (1 199 Millions d’écus) en 1986 ou encore l’Irlande (1 301 millions d’écus) beaucoup moins peuplée (CEE, ERDF, 1988).

En revanche, si nous rapportons l’aide engagée à la population, la Campanie ne constitue plus une région aussi prioritaire pour l’Europe. Si pour l’Irlande, l’aide par habitant atteint 371 écus, le montant des aides versées pour la même période s’élève en région Campanie à 541 écus par habitant contre 1 038 écus pour la Basilicate ou encore 1 141 écus pour la région Toscane (pourtant région du Centre nord de l’Italie !) (CEE, ERDF, 1988). Il faut toutefois nuancer ce montant pour la Toscane puisqu’il ne couvre pas l’ensemble de la population46 (aujourd’hui 3,581 millions d’habitants). Seuls 30 000 habitants étaient éligibles au FEDER47.

La réforme des fonds structurels de 1988 a entraîné plusieurs modifications dans la mise en œuvre des fonds communautaires qui ont joué directement sur les subventions en région Campanie. Tout d’abord, à l’échelle de l’ensemble de la CEE, la dotation budgétaire a été doublée48. En outre, à travers l’institution des quatre principes fondateurs de la politique régionale européenne reformée - de partenariat, d’additionnalité, de programmation et de concentration, l’Europe a souhaité permettre à l’ensemble des régions en difficulté, de bénéficier de subventions européennes. Or, même si l’objectif 1 concentre à lui seul les deux tiers des fonds à l’échelle européenne, cette « révolution » a eu un impact direct sur la région Campanie, qui a vu dans un premier temps ses subventions largement … diminuées (Tab.1.1).

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Les pays de la cohésion sont les territoires éligibles au Fonds de cohésion. Le Fonds de cohésion est un instrument structurel qui, depuis 1994, aide les États membres à réduire les disparités économiques et sociales, ainsi qu’à stabiliser leur économie. Il finance jusqu’à hauteur de 85% les dépenses éligibles de vastes projets consacrés à l’environnement ou aux infrastructures de transport, renforçant ainsi la cohésion et la solidarité à l’intérieur de l’UE. Le Fonds de cohésion s’adresse aux États membres dont le produit national brut (PNB) par habitant est inférieur à 90% de la moyenne communautaire (c’est-à- dire, depuis le 1er mai 2004, Chypre, l’Espagne, l’Estonie, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie) (DG REGIO).

46 Voire pour l’ensemble des chiffres l’Annexe : Répartition par hab. au niveau régional et par

population éligible au fonds structurels 1975-2013 pour l’Italie, p.438.

47 Cette population éligible correspond à l’archipel toscan (composé de sept îles) dont les infrastructures

en matière d’approvisionnement en eau (surtout l’été) et pour le tourisme sont déficientes (CE, ERDF, 1984).

48 « Le doublement en termes réels est calculé par rapport à l’ensemble de l’enveloppe des fonds

structurels, soit beaucoup plus que le budget de la politique régionale proprement dite, qu’on pouvait antérieurement identifier au FEDER » (Drevet, 2008, p.130).

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Tab.1.1

Pourcentage des fonds européens alloués à la région Campanie sur le total des fonds versés à l’Italie

1975-1988 1989-1993 1994-1999 2000-2006 2007-2013