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Le vieillissement du sommet de la structure sociale

Les générations nées au tournant des années 1960 face à la dégradation des

2.1. La structuration générationnelle de la hiérarchie sociale

2.1.3. Le vieillissement du sommet de la structure sociale

Une autre manière de montrer la dégradation de la position des 35-44 ans du début des années 2000 consiste à ordonner les différentes classes d’âge à chacune des cinq dates d’enquête (FIG.2.6).

FIG.2.6. Evolution de la position des différentes classes d'âge au sein de la structure sociale

0,39 0,41 0,43 0,45 0,47 0,49 1980 1985 1990 1995 2000 2005 Sco re moyen de posi ti on 25-29 ans 30-34 ans 35-39 ans 40-44 ans 45-49 ans 50-54 ans

Source : Enquêtes Emploi 1983-2003 Champ : actifs en emploi, 25-54 ans

Pour peu que l’on se cantonne aux actifs en emploi41, le mouvement global de la société depuis

vingt ans s’effectue vers le haut puisqu’au fil des enquêtes, le nuage des points progresse (pour l’ensemble des 25-54 ans, le score moyen de position passe de 0,407 en 1983 à 0,446 en 2003). Pour autant, cette évolution d’ensemble dissimule des dynamiques opposées selon les classes d’âge considérées. En effet, pour les âges extrêmes (25-29 ans, 30-34 ans, 45-49 ans et 50-54 ans), le mouvement global est réellement ascendant, la progression du score moyen des plus âgés étant même spectaculaire. A l’inverse, la tendance est à la diminution pour les âges intermédiaires. Les 35-39 ans, et dans une moindre mesure les 40-44 ans font face à une diminution de leur score moyen de position, du moins jusqu’à la fin des années 1990. En réalité, ce graphique illustre la

41 La prise en compte des chômeurs (en leur attribuant un score de position) viendrait sensiblement nuancer ce

structuration générationnelle de la hiérarchie sociale. En 1983, ce sont les 35-39 ans qui figurent au sommet de la pyramide. En 1988, ce sont les mêmes, âgés cette fois de 40 à 44 ans, puis de 45 à 49 ans en 1993 et de 50 à 54 ans en 1998 : c’est la même génération, née entre 1944 et 1948 qui vieillit au sommet de la structure sociale. A l’inverse, les natifs de 1959-1963, âgés de 35 à 39 ans en 1998 font face à la situation la plus nettement dégradée.42

Ce glissement vers le bas de la structure sociale des 35-39 ans apparaît également lorsque l’on se penche sur la structuration par âge des déciles supérieurs de la distribution (FIG.2.7.). En 1983, la structuration par âge du décile supérieur de l’échelle sociale laisse entrevoir une assez forte inégalité entre les âges. Cette dispersion diminue régulièrement au cours des vingt années suivantes : en 2003, le rapport entre la classe d’âge la moins nombreuse et la classe d’âge la plus nombreuse est de 1 à 1,4 alors qu’il était de 1 à 2,6 en 1983.

Cette réduction des inégalités entre les âges ne doit pas occulter le retournement complet qui s’est opéré dans la part des différentes classes d’âge dans le sommet de la structure sociale. Alors qu’en 1983, les trentenaires étaient les plus nombreux dans le décile supérieur de l’échelle sociale (près de 40% si l’on additionne les 30-34 ans et les 35-39 ans), leur part diminue progressivement jusque 2003 où ils ne représentent plus que 29% de l’effectif. En 2003 au contraire, ce sont les 50-54 ans qui sont les plus nombreux puisqu’ils représentent 17% du décile. Au total en 2003, 30% des individus du décile sont quinquagénaires contre 19% vingt ans plus tôt.

Le décile supérieur de l’échelle sociale est en 2003 un décile vieillissant. Les trentenaires de 1983 ont désormais plus de cinquante ans mais sont toujours les plus nombreux tout en haut de la structure sociale.

42 Il y aurait un autre résultat à développer ailleurs : si les points sont relativement dispersés en 1983, ils sont – à

FIG.2.7.Structuration par âge du décile supérieur de l'échelle sociale 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 1983 1988 1993 1998 2003 25-29 ans 30-34 ans 35-39 ans 50-54 ans 55-59 ans

Source : Enquêtes Emploi 1983-2003

Lecture : en 1983, 21% des individus appartenant au décile supérieur de l’échelle sociale étaient âgés de 35 à 39 ans

Cette situation privilégiée des natifs des années 1940 se retrouve symétriquement dans la composition par âge du décile inférieur de la distribution (FIG.2.8).

FIG.2.8. Structuration par âge du décile inférieur de l'échelle sociale 0 5 10 15 20 25 1983 1988 1993 1998 2003 25-29 ans 30-34 ans 35-39 ans 50-54 ans 55-59 ans

Source : Enquêtes Emploi 1983-2003

Tandis que la part des quinquagénaires était très majoritaire dans le décile inférieur de la structure sociale en 1983, elle diminue régulièrement et sensiblement au cours des années, passant de près de 40% en 1983 à 18% en 2003. La chute de la part des plus âgés (les 55-59 ans) est même spectaculaire car divisée par trois : en 2003, ils ne représentent plus que 6% du décile. A l’inverse, la part des trentenaires augmente sensiblement, passant de 23% en 1983 à 35% en 2003.

Comment rendre plus « lisible » cette détérioration de la position des générations nées au tournant des années 1960 ? Le recours à l’approche catégorielle et l’usage des catégories socioprofessionnelles permettent d’éclairer le constat formulé grâce au score de position.

Tout d’abord, les 35-44 ans sont nettement moins nombreux à accéder à la position de cadre supérieur (FIG.2.9).

FIG.2.9. Age et taux d'accès à la position de CPIS

5 7 9 11 13 15 17 19 21 1980 1985 1990 1995 2000 2005 25-29 ans 30-34 ans 35-39 ans 50-54 ans 55-59 ans Ensemble

Source : Enquêtes Emploi 1983-2003

Lecture : en 2003, 20% des 55-59 ans en activité sont cadres ou profession intellectuelle supérieure

Premier constat, alors que la population des cadres supérieurs était relativement homogène en terme d’âge en 1983, les inégalités de ce point de vue sont beaucoup plus grandes vingt ans plus tard, au net désavantage des trentenaires. Ainsi, entre 1983 et 2003, la part des cadres supérieurs augmente parmi toutes les classes d’âge, mais de manière inégale : la part des cadres supérieurs

augmente de 75% parmi les 35-39 ans mais de 90% parmi les 55-59 ans. Plus frappant encore, l’augmentation n’est que de 47% chez les 30-34 ans tandis que la hausse parmi les quinquagénaires est nettement supérieure à la moyenne de sorte que l’on assiste à un vieillissement de la catégorie des cadres supérieurs.

L’expansion du salariat supérieur n’a ainsi pas profité avec la même intensité à toutes les classes d’âge. L’écart s’est au contraire creusé, au profit des générations nées pendant le baby-boom. Le désavantage des générations nées au tournant des années 1960 est donc relatif : la part des cadres supérieurs parmi les 35-39 ans augmente à un rythme proche de la moyenne. C’est parce que les générations nées dans les années 1940 ont connu une situation particulièrement favorable que ces inégalités se creusent. On observe alors un retournement dans la composition de la catégorie cadres et professions intellectuelles supérieures (FIG.2.10).

FIG.2.10. Structure par âge de la catégorie CPIS

0 5 10 15 20 25 1983 1988 1993 1998 2003 35-39 ans 50-54 ans

Source : Enquêtes Emploi 1983-2003

Lecture : en 1983, plus de 20% des cadres et professions intellectuelles supérieures sont âgés de 35 à 39 ans

Alors qu’en 1983 la part des 35-39 ans parmi les cadres était majoritaire (presque deux fois plus importante que celle des 50-54 ans), c’est le contraire vingt ans plus tard : en 2003, les 50-54 ans ont non seulement rattrapé leur retard mais ont même inversé la tendance puisqu’ils sont légèrement plus nombreux que leurs cadets.

A l’autre extrémité de l’échelle sociale, parmi les ouvriers, les résultats vont également dans le sens d’une dégradation de la position des générations nées vers 1960.

La figure suivante présente l’évolution du taux d’accès à la catégorie des ouvriers selon la tranche d’âge pour la population masculine43.

FIG.2.11. Age et taux d'accès à la catégorie ouvriers

25 30 35 40 45 50 55 1983 1988 1993 1998 2002 25-29 ans 30-34 ans 35-39 ans 50-54 ans 55-59 ans Ensemble des 25-59 ans

Source : Enquêtes Emploi 1983-2003 Champ : population masculine

Lecture : en 2003, 30% des 55-59 ans en activité sont ouvriers

Entre 1983 et 2003, la proportion d’ouvriers parmi les 35-39 ans augmente, passant de 37% pour la génération 1944-1948 à près de 43% parmi les générations 1959-1963 et 1964-1968. Cette augmentation est d’autant plus remarquable qu’elle va à l’encontre de la tendance générale à la diminution de la part d’ouvriers dans les autres classes d’âge : parmi l’ensemble des hommes âgés de 25 à 59 ans, la proportion d’ouvriers a en effet diminué en vingt ans, passant de 41% à 38%. En 1983, les 35-39 ans étaient parmi les moins nombreux à occuper un emploi d’ouvrier. Ils dépassent les 50-54 ans en 1988, rejoignent la moyenne en 1993 et occupent la deuxième place en 2003, presque à égalité avec les 25-29 ans. En 2003, les quadragénaires nés au début des années

43 Vers le bas de la structure sociale, la division sexuelle des tâches est très présente : les hommes sont massivement

1960 sont aussi fréquemment ouvriers que leurs cadets de dix ans, nés au début des années 1970. Là-encore, les générations nées au tournant des années 1960, quinze ans après le baby-boom, font figure de principales « victimes » : en 2003, leurs cadets de dix ans connaissent déjà une position aussi favorable.

Cette analyse en terme de position sociale « moyenne » des différentes générations au même âge a permis de montrer la situation très favorable des générations nées dans les années 1940 et de mettre en évidence la dégradation à laquelle devaient faire face au contraire les individus nés au tournant des années 1960. L’étude de la position sociale fournit un indicateur statique qui nous renseigne sur la situation d’une génération à un âge précis. L’autre versant de l’étude de la stratification sociale consiste à raisonner en termes de trajectoire. D’où venaient les individus nés dans les années 1940 et quelles trajectoires intergénérationnelles ont-ils accomplies ? De même, l’origine sociale des individus nés dans les années 1960 diffère-t-elle significativement de celle de leurs aînés de vingt ans ? Observe-t-on des flux de mobilité intergénérationnelle comparables ?