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L’avantage des baby-boomers

qui sont les déclassés ?

3.1. Les déterminants du statut social

3.2.3. L’avantage des baby-boomers

S’il est possible de distinguer analytiquement les effets paternel, maternel et généalogique, ces derniers font en réalité système et sont en étroite interaction. Il est donc nécessaire d’aller au-delà des éléments descriptifs présentés plus haut et d’introduire une analyse toutes choses égales par ailleurs : ces effets persistent-ils lorsque l’on contrôle le niveau de diplôme dont on a montré le rôle déterminant ? Une telle analyse permet également d’introduire à nouveau la génération de naissance : à autres caractéristiques contrôlées, les individus nés dans les années 1960 continuent- ils à connaître une situation moins favorable que leurs aînés63 ?

La population retenue est celle des enfants de père et/ou de mère cadre. Un tel choix permet de contrôler un minimum la position de la mère et de pouvoir comparer – prudemment – les effets respectifs des caractéristiques du père et de la mère ; de plus, même si les cas où la position professionnelle de la femme est plus élevée que celle de son conjoint demeurent marginaux64, ce

choix permet de donner une indication sur le devenir professionnel des enfants dont seule la mère a été cadre.

La régression logistique (TAB.3.8) permet d’estimer pour les individus âgés de 35 à 44 ans et dont le père et/ou la mère était cadre (N=1305) la probabilité de devenir cadre (N=899) plutôt qu’employé ou ouvrier (N=406).

63 Pour les raisons évoquées dans la première section du chapitre (liées aux effets de colinéarité entre les variables

mesurant l’âge et la génération de naissance), l’analyse se cantonne ici aux individus âgés de 35 à 44 ans. Par ailleurs, dans la mesure où l’introduction de la génération de naissance parmi les variables explicatives implique la compilation des trois dernières vagues de l’enquête FQP, l’effet de la lignée ne peut être mesuré, la profession des grands-parents n’étant pas renseignée dans l’enquête de 1993.

64 Les trois générations confondues, les cas où seule la mère est cadre représentent moins de 7%, mais ce

pourcentage s’élève au fil des générations, de 4% pour la génération 1941-1950 à presque 9% pour la génération 1959-1968.

TAB.3.8. Probabilité de devenir cadre plutôt qu’employé ou ouvrier

Variable Modalité Coefficient Erreur type Odds ratio

Constante -1,24 * 0,52 Femme Réf. Réf. Sexe Homme 1,26 *** 0,18 3,5 Age Un an de plus 0,01 0,009 Aucun diplôme Réf. Réf.

BEPC CAP BEP -0,11 0,34

Bac technique /

général 1,51 *** 0,33 4,5

Bac + 2 2,63 *** 0,35 13,9

Diplôme

2ème ou 3ème cycle 4,32 *** 0,38 75,2

Aucun diplôme Réf. Réf.

BEPC CAP BEP -0,16 0,29

Bac technique /

général -0,03 0,30

Diplôme du père

Supérieur 0,26 0,25

Aucun diplôme Réf. Réf.

BEPC CAP BEP 0,18 0,24

Bac technique /

général 0,33 0,29

Diplôme de la mère

Supérieur 0,60 * 0,26 1,8

Père et mère cadres Réf. Réf.

Père cadre seulement -0,51 0,29 Situation professionnelle des parents Mère cadre seulement -0,88 * 0,41 0,4 1941-1950 Réf. Réf. 1949-1958 -0,66 ** 0,26 0,5 Génération de naissance 1959-1968 -1,01 *** 0,21 0,4 Source : Enquêtes FQP 1985-1993-2003

Champ : individus âgés de 35 à 44 ans dont le père et/ou la mère est/était cadre *** significatif au seuil de 1‰, ** significatif au seuil de 1%, * significatif au seuil de 5%

Lecture : à autres caractéristiques contrôlées et comparés aux femmes, les hommes ont 3,5 fois plus de chance de devenir cadre plutôt qu’employé ou ouvrier.

L’analyse toutes choses égales par ailleurs confirme que le niveau de diplôme est de loin la variable qui exerce l’effet le plus important. Cet effet est linéaire (à l’exception des niveaux de diplômes inférieurs au baccalauréat qui n’offrent pas de protection significative) et par exemple,

comparés aux individus non diplômés, les titulaires d’un deuxième ou troisième cycle universitaire ont 75 fois plus de chances de devenir cadre plutôt qu’employé ou ouvrier. L’effet du niveau d’éducation est donc massif et le titre scolaire détenu conditionne pour une large part l’accès à la catégorie des cadres.

Ceci posé, l’effet du diplôme n’épuise pas totalement l’effet des autres variables introduites dans le modèle. Celui du sexe d’abord, puisque toutes choses égales par ailleurs, les hommes ont une probabilité significativement plus élevée de reproduire la position de leurs parents. Concernant l’impact de la position professionnelle des parents, il convient de souligner le désavantage des individus dont l’origine cadre est imputable à la seule mère : comparés aux individus dont les deux parents étaient cadre, ceux dont seule la mère l’était ont ainsi une probabilité significativement plus faible de maintenir la position de cadre. Ce désavantage ne frappe pas les individus dont seul le père était cadre. La faiblesse des lignées « maternelles » semble ainsi avérée : l’origine cadre est plus solide lorsqu’elle est portée par le père de sorte qu’être issu d’un couple hétérogame du point de vue professionnel est un désavantage lorsque la position la plus élevée est occupée par la mère, même si c’est le fait d’avoir deux parents cadres qui offre la meilleure protection contre les déclassement social.

Autre résultat, le contrôle du niveau de diplôme de l’individu épuise l’effet du niveau de diplôme du père : si le niveau d’éducation de ce dernier est à prendre en compte, c’est en ce qu’il est étroitement corrélé à celui atteint par les individus. Pour autant, à niveau de diplôme équivalent, les individus dont le père est titulaire d’un diplôme élevé ne se caractérisent pas par un accès plus fréquent à la position de cadre.

Quant à éventuel effet du diplôme de la mère, il ne subsiste que dans le cas des enfants de mères titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Comparés aux mères non diplômés, ces dernières offrent alors à leurs enfants une probabilité légèrement plus élevée (le rapport des chances vaut 1,8) d’accéder au statut de cadre.

Enfin, l’introduction de la génération de naissance dans l’analyse permet de confirmer l’avantage des individus nés dans les années 1940 : comparés aux 35-44 ans nés dans les années 1960, ces derniers ont ainsi 2,5 fois plus de chance de devenir cadre plutôt qu’employé ou ouvrier. Par ailleurs, même si se désavantage des individus nés dans les années 1940 est net pour les individus nés dans les années 1960, il apparaît également pour les individus nés dans les années 1950. Comment interpréter un tel résultat ? A l’évidence, pour les enfants de cadre, la reproduction de la position des parents devient plus difficile au fil des générations. Ce résultat ne fait que confirmer la dégradation des perspectives de mobilité sociale décrite dans le chapitre précédent. Malgré l’élévation sensible du niveau d’éducation, et alors même que le niveau de diplôme demeure le meilleur gage de réussite sociale, les enfants de cadre nés dans les années 1950 et plus encore dans les années 1960 font face à des risques accrus de déclassement social. L’exemple du devenir professionnel des enfants de cadre illustre là-encore les effets de l’inflation et de la dévaluation des titres scolaires : en l’espace de trois générations décennales, un même niveau de diplôme a significativement perdu de son « pouvoir » certificateur65.

Comparés aux autres enfants de cadre qui parviennent à reproduire la position de leurs parents, les « déclassés » apparaissent comme étant issus de lignées où la position de cadre est récente et au sein desquelles le capital culturel est moins abondant. Dès lors, dans un contexte ou le diplôme demeure le principal vecteur de réussite sociale et continue à revêtir une dimension héréditaire, les individus dont l’origine cadre est fragile font face à des risques accrus de déclassement social.

Pour achever de dresser le portrait de ces déclassés, il reste à les comparer aux autres salariés d’exécution : les enfants de cadre qui descendent les échelons de la hiérarchie sociale sont-ils des

65 Il faut ajouter à cela l’élévation des origines sociales : parmi les individus nés dans les années 1960, les enfants de

cadre sont plus nombreux que parmi les individus nés vingt ans plus tôt. L’augmentation n’est toutefois pas spectaculaire : 8,1% des individus nés entre 1944 et 1948 avaient un père cadre contre 9,9% de ceux nés entre 1964 et 1968 (voir chapitre précédent).

employés et des ouvriers comme les autres ? De ce point de vue, il apparaît que les déclassés sont plus diplômés que les autres employés et ouvriers, de sorte que pour une part significative d’entre eux, le déclassement intergénérationnel se double d’un déclassement scolaire (overeducation).

3.3.

Déclassement intergénérationnel et déclassement scolaire

(overeducation)

La nomenclature des catégories socioprofessionnelle de l’Insee est moins cohérente et organisée pour les employés que pour les ouvriers. Alain Chenu (1990) a montré à quel point les employés formaient un « archipel » hétérogène : du point de vue des salaires, des conditions de travail ou de du degré de qualification exigé, le vocable « employés » dissimule des situations très différentes. Dans un article ultérieur, Chenu et Burnod (2001) proposent un aménagement de la nomenclature pour les employés qui permet d’opérer une double distinction, entre les employés qualifiés et non qualifiés d’une part, et entre les employés de la fonction publique et ceux du secteur privé d’autre part. C’est cet aménagement que nous avons repris ici : concernant les employés, nous distinguons donc sept catégories (trois catégories d’employés qualifiés et quatre d’employés non qualifiés).